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« La Suisse a une carte à jouer en matière de trust »

Encore dépourvu de cet outil de planification patrimoniale, le système juridique helvétique s’active pour changer la donne. Le Conseil fédéral s’est récemment vu confier la mission d’établir un projet de loi destiné à introduire le trust dans l’ordre juridique suisse. Cette démarche est accueillie avec optimisme par les différents acteurs concernés. Entretien avec Christian Lüscher et Pierre Ducret, associés au sein de l’étude CMS von Erlach Poncet à Genève, pour comprendre les enjeux liés à cette évolution législative en cours.  

TEXTE: THOMAS PFEFFERLÉ

Ancienne institution juridique développée en Angleterre dès le Moyen Âge, le trust désigne les rapports juridiques en vertu desquels une personne, le constituant, confie des biens patrimoniaux à une autre personne, le trustee, chargée de les administrer et de les gérer dans l’intérêt d’un bénéficiaire ou dans un but préalablement déterminé.  

A l’heure actuelle, les trusts ne sont pas codifiés dans la législation interne suisse. Il n'est donc pas possible de constituer un trust de droit suisse. L’introduction d’une telle institution dans le droit civil suisse – actuellement en discussion au niveau fédéral – offrirait un accès facilité à cet instrument de transmission de patrimoine. Il permettrait aussi à la Suisse de gagner en compétitivité et attractivité par rapport à ses voisins européens. Pour analyser les enjeux liés à cette évolution juridique en cours, Christian Lüscher et Pierre Ducret, associés de l’étude CMS von Erlach Poncet, nous en expliquent davantage. Interview croisée.

Smart Media: Avant de nous intéresser au projet d’introduction du trust dans le droit interne suisse, rappelez-nous ce que cette institution permet de faire.

Pierre Ducret: Le trust permet à une personne de confier l’administration et la gestion d’un patrimoine à un trustee dans l’intérêt d’un bénéficiaire ou dans un but déterminé. Il constitue un outil de structuration patrimoniale d’une grande utilité. On peut notamment penser à la transmission et à la protection de biens sur plusieurs générations ou la nécessité de pourvoir à l’entretien d’un descendant vulnérable. Cela étant, le trust peut revêtir une multitude de formes en fonction de son but et de son domaine. Il n’obéit donc pas à un modèle unique et rigide.

Mais le système juridique helvétique en est encore dépourvu…

Christian Lüscher: C’est exact. Si les trusts de droit étranger sont reconnus en Suisse à certaines conditions depuis l’entrée en vigueur, en 2007, de la Convention de La Haye sur les trusts, cette figure juridique n’est pas encore inscrite dans le droit privé suisse. Les choses sont toutefois en train d’évoluer suite aux impulsions données durant ces dernières années par différents groupes parlementaires. En octobre de l’année dernière, le Conseil fédéral s’est vu confier  la mission de présenter un projet de loi destiné à introduire le trust dans notre législation. En parallèle, un groupe d’experts a été mis en place pour élaborer un cahier des charges des effets juridiques visés par la nouvelle institution et développer sur cette base divers modèles règlementaires. Le train est donc en marche.

Concrètement, qu’est-ce que le trust suisse va permettre d’apporter au sein du système législatif?

Pierre Ducret: L’application d’une institution de droit étranger comporte des nombreux inconvénients pour les particuliers et les entreprises souhaitant y recourir, notamment en termes de coûts. Les actes constitutifs du trust font par ailleurs appel à des notions étrangères à notre tradition juridique. L’introduction d’un trust de droit suisse permettrait de faciliter l’accès à cette institution dans le respect des règles fixées par notre ordre juridique. Cela doit par ailleurs permettre à la Suisse de rester concurrentielle. Notre pays a donc une carte à jouer afin de conserver son attrait dans une réalité globale et compétitive. La motivation et l’optimisme que l’on peut observer chez l’ensemble des acteurs concernés se reflètent d’ailleurs dans la volonté marquée du parlement fédéral à légiférer sur le sujet.

Christian Lüscher: Notons également que le fait de bénéficier de notre propre institution en matière de trust va globalement permettre de mieux encadrer et contrôler les bonnes pratiques. Et cela notamment en vue de garantir la sécurité juridique pour l’ensemble des acteurs concernés. Les nouvelles lois sur la surveillance des services financiers (LSFin) et sur les établissements financiers (LEFin), dont l’entrée en vigueur est prévue pour janvier 2020, s’inscrivent dans la même voie. Les trustees actifs en Suisse devront dorénavant être autorisés par la FINMA et seront surveillés par un organisme de surveillance.  

Y a-t-il tout de même des raisons de s’inquiéter de l’adoption de la forme suisse du trust, par exemple en matière de contournement des lois pénales, voire des règles prévues dans le droit matrimonial ou successoral ?

Christian Lüscher: Absolument pas. Il faut bien comprendre le fait que la volonté partagée en Suisse de bénéficier de notre propre outil juridique en matière de trust est pleinement conforme à la politique de l’argent propre. Il n’y a donc aucune inquiétude à avoir par rapport à cela. Comme expliqué, le fait de se doter de notre propre institution doit surtout permettre au «consommateur» de bénéficier d’un nouvel outil de planification patrimoniale encadré et contrôlé et dont la sécurité juridique est garantie.

Pierre Ducret: J’ajouterais encore que le trust ne peut bien entendu pas s’affranchir des règles fondamentales de notre ordre juridique. Dans ce sens, les actes de disposition se rapportant au patrimoine confié en trust n’échappent nullement aux règles impératives découlant des lois pénales en vigueur ni, par ailleurs, des diverses règles de protection prévues notamment dans le droit matrimonial et successoral. La jurisprudence rendue suite à l’entrée en vigueur de la Convention de La Haye sur les trusts est très claire sur ce point. Il n’y a donc pas matière à inquiétude.

Finalement, pour les acteurs juridiques, quel impact engendre cette évolution législative?

Pierre Ducret: Suite à la prochaine entrée en vigueur de la LSFin et de la LEFin, les avocats suisses intervenant en qualité de trustee devront prendre les mesures afin de remplir leurs obligations légales, que ce soit en termes d’organisation ou de garantie financière.

Christian Lüscher: A l’heure actuelle, la reconnaissance civile des trusts de droit étranger n’implique pas nécessairement sa reconnaissance en matière fiscale, dès lors que la Convention de La Haye sur les trusts réserve expressément ce point. Les effets fiscaux liés à l’introduction d’un trust de droit suisse devront donc éventuellement être examinés.

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