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Olivier Carrard continue d’aiguiser les ambitions des épéistes suisses

Entretien avec une fine lame

L’avocat genevois, champion d’Europe en 1982 et arbitre au TAS, terminera l’été prochain son quatrième et dernier mandat à la tête de la Fédération suisse d’escrime. Il rêve d’une touche finale heureuse, sur la piste olympique de Tokyo.

Un shooting photos à l’ombre du Grand Théâtre. Olivier Carrard (63 ans) se met en garde et tombe le masque. Le personnage d’apparence austère se fend alors d’un large sourire. Cela fait trois ans que l’ancien champion d’Europe n’a plus dégainé son épée. La faute à un accident de ski. Finies les passes d’armes récréatives à Florimont. L’avocat genevois, spécialisé dans le droit commercial et judiciaire, ferraille ailleurs. La fine lame est un rhétoricien habile, un arbitre respecté auprès du Tribunal arbitral du sport (TAS), à Lausanne. En vingt-cinq ans d’activité, il a géré plus de 400 dossiers.

Pas de doute, le monde du sport n’est pas un parangon de vertu. «Mais l’escrime n’est guère gangrenée par les affaires de dopage ou de corruption. Normal, il y a beaucoup moins d’argent en jeu que dans d’autres sports», se flatte-t-il. Là, c’est le président de Swiss Fencing et de la Commission d’éthique de la fédération internationale qui parle. Dire qu’il y a cinquante ans, le Fribourgeois né à Sainte-Croix a empoigné une épée par hasard, «pour pratiquer un sport individuel, qui préserve mon indépendance».

Les exploits des Mousquetaires ou de Zorro, bretteurs justiciers, n’ont donc pas bercé votre jeunesse et fait naître une vocation?

Non, pas vraiment. Ce n’est pas non plus par tradition familiale que je me suis mis à l’escrime. En fait, elle est venue à moi d’une façon très ordinaire. À Fribourg, la salle d’armes se trouvait tout près du Collège St-Michel, dans les murs de l’université où j’ai fait plus tard mes études de droit. C’était pratique, je ne perdais pas de temps entre les salles de cours et la piste. Ma carrière sportive n’était pas toute tracée, l’appétit est venu en mangeant.

À considérer votre palmarès et votre carrière, le hasard a bien fait les choses?

Disons que je me suis assez vite découvert des aptitudes. J’ai compensé une technique un peu lacunaire par d’autres qualités, la vitesse et la stratégie. Je me suis inventé un jeu basé sur l’explosivité. Un combat d’escrime, c’est une partie d’échecs à cent à l’heure, il faut savoir exploiter les fautes de l’adversaire en un éclair. Plus tard, lorsque j’ai atteint le niveau international, certains ont dit que j’avais les jambes les plus rapides du circuit! Et puis, je suis gaucher, ça aide à trouver des angles d’attaque inattendus. Aujourd’hui, l’escrime est plus professionnelle et plus pauvre, moins romantique. Son jeu est devenu attentiste, il évite la prise de risques.

Les années 70 et 80, c’est l’âge d’or de l’escrime helvétique, bien avant le couronnement olympique de Marcel Fischer en 2004. C’était une époque stimulante?

Oui, l’émulation était formidable. L’exemple de Michel Poffet, champion du monde juniors à 16 ans, m’a beaucoup inspiré. Au même âge, je n’étais encore qu’un débutant. La première fois qu’on a croisé le fer, il m’a infligé un 5-0 en trente secondes. Puis, je me suis mis à le titiller, à le rattraper, à le battre parfois. Mais face à lui et à d’autres, comme Kauter, Gaille ou Giger, je n’ai jamais été champion suisse. En revanche, c’est avec eux que je suis devenu vice-champion du monde, la même année que mon titre européen. On formait une sacrée équipe. L’escrime est aussi un très beau sport collectif, où la complicité et l’amitié priment autant que la virtuosité technique.

Votre titre, en 1982 à Vienne, c’est un peu la réplique d’un révolté?

Oui, deux ans plus tôt, le boycott des JO de Moscou par notre fédération nationale, m’avait ulcéré. J’avais interrompu mes études pour gagner ma place dans l’équipe. On était «médaillables», la décision ridicule de nos dirigeants a été un vrai coup de massue, je ne l’ai encore pas digérée! Là-bas, d’autres sportifs suisses ont participé aux épreuves et gagné des titres, comme le pistard Robert Dill-Bundi. C’est un peu pour cela aussi que j’ai accepté de prendre la direction de la fédération en 2004, pour éviter qu’une telle situation se reproduise. Un président doit être au service de ses athlètes. Alors oui, j’avais la rage à Vienne. Au moins, ma frustration m’a fait beaucoup progresser. En éliminatoire directe, puis en finale, j’ai battu deux fois le Hongrois Ernö Kolczonay, contre lequel je m’étais toujours incliné en trente combats. C’était un peu l’état de grâce.

Les Jeux olympiques, ça reste pour vous une histoire contrariée?

J’ai disputé ceux de Los Angeles en terminant 9e par équipes, je m’étais blessé à la cuisse durant la période de sélection. C’était la fin d’un cycle, la fin de ma carrière. J’étais déjà avocat stagiaire, marié et papa. J’ai toutefois un regret. Personne à la fédération n’est venu me voir pour m’encourager à continuer. Dommage, je pense que j’avais encore du potentiel. Quand, après le fiasco olympique de Rio, Benjamin Steffen a voulu tout plaquer, je l’en ai dissuadé et depuis, il a remporté trois médailles mondiales.

Rio, la déroute contre l’Italie en quart de finale, c’est un crève-cœur?

À l’époque, la performance de l’équipe m’a fâché. Les gars étaient redevenus de «petits-Suisses» alors que sur le papier, ils avaient tous les atouts pour aller loin. Ils se sont fait manger par plus rusés qu’eux.

Est-il difficile, pour un président, d’entretenir une tradition d’excellence qui pèse huit médailles olympiques? D’ailleurs, à quoi tient-elle?

À la qualité de nos infrastructures et de nos entraîneurs nationaux, mais aussi au fait que l’escrime helvétique ne se prévaut pas d’une seule école, d’un seul style comme c’est le cas en Russie, en France ou en Italie. Nos épéistes ont une formation panachée, leur tactique est plus imprévisible, plus difficile à lire et à parer. Historiquement, ils se sont nourris de l’influence française, puis du style commando de l’Allemand Rolf Kalich, puis de la tactique italienne. Aujourd’hui, c’est le Français Didier Ollagnon qui apporte sa méthode de travail. J’espère qu’avec lui, on se déplacera en force à Tokyo. En août 2021, ce sera la fin de mon quatrième et dernier mandat présidentiel. J’espère finir en beauté.

La crise du coronavirus vous a coupé l’herbe sous les pieds. Que reste-t-il à faire pour qualifier l’équipe?

C’est vrai qu’on avait déjà nos billets pour Buenos Aires, là où devait se disputer le dernier tournoi de sélection. Puis tout a été arrêté. Il nous manque quelques touches gagnantes pour assurer le coup. Ce sera au printemps prochain. Pour que l’escrime helvétique reste à la pointe, il est crucial de se qualifier pour Tokyo. Si l’équipe gagne sa place, c’est aussi l’assurance d’inscrire trois épéistes dans le tournoi individuel.

L'interview est disponible sur le site de la Tribune de Genève ici.

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Revue de presse
Interview Olivier Carrard 25.08.20 - Tribune de Genève
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