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L'évolution du droit pénal fiscal

Dans le cadre du cahier spécial consacré au droit publié par le quotidien Le Temps en juin 2018, Maître Andrio Orler et Maître Daniel Kinzer, associés au sein de l'étude CMS von Erlach Poncet à Genève, commentent l'évolution du droit pénal fiscal et la nécessaire collaboration entre experts fiscalistes et pénalistes.

TEXTE: ANNE WICK

Procédures pénales fiscales: fiscalistes et pénalistes mettent en commun leurs expertises

Dans un contexte d’augmentation du nombre de procédures fiscales, le droit pénal fiscal prend de plus en plus d’importance dans la pratique des fiscalistes. Pour répondre à cette évolution, une nouvelle organisation s’impose au sein des études d’avocats, avec une collaboration étroite entre experts fiscalistes et pénalistes. Maître Andrio Orler et Maître Daniel Kinzer, associés au sein du cabinet CMS à Genève, nous en parlent.

Dans quelle mesure, et depuis quand constatez-vous une augmentation du nombre des procédures pénales fiscales au sein de votre étude?

Maître Andrio Orler: Il s’agit d’une tendance générale qui s’observe au sein de nombreuses études, et plus particulièrement dans la nôtre. Par le passé, notre travail consistait presque exclusivement à proposer des services de conseil fiscal aux entreprises et aux particuliers. Nous leur présentions des moyens de contrôler voire limiter leurs charges fiscales et nous les aidions à obtenir des rulings* avec l’autorité fiscale afin de s’assurer, de manière anticipée, du traitement fiscal de certaines opérations. En revanche, nous n’avions affaire qu’à un nombre limité de procédures contentieuses. Graduellement, cela a changé. Je dirais que depuis cinq ou six ans la gestion de procédures contentieuses, et notamment des procédures pénales fiscales, a pris une importance significative dans notre pratique. Désormais, une part de notre travail consiste à traiter ce type de procédures, où les dossiers s’avèrent souvent longs et complexes. Il s’agit d’un nouveau pan d’activité qui s’ajoute à notre domaine d’activité traditionnel de conseil fiscal.

Quels sont les facteurs qui ont contribué à cette évolution?

Maître Daniel Kinzer: Cela est probablement dû à une multitude de facteurs. Parmi eux, l’augmentation de la transparence en matière fiscale a certainement eu un impact majeur. L’échange de renseignements, que ce soit automatique, spontané ou sur demande, a contribué à l’ouverture de nombreuses procédures et a poussé beaucoup de contribuables à des dénonciations spontanées. A leur tour ces procédures ont fourni aux autorités fiscales des renseignements permettant d’effectuer des recoupements d’informations et d’ouvrir de nouvelles enquêtes. Les sources de renseignement des autorités sont toutefois variées. On peut ainsi notamment penser aux différentes fuites de données issues des Panama Papers ou des Luxleaks. Parfois de simples informations disponibles sur internet ou révélées dans la presse suffisent à attirer l’attention de l’autorité fiscale sur un contribuable et éventuellement à ouvrir une enquête. Il s’agit d’un fait dont les contribuables n’ont pas toujours conscience.

En quoi ces changements ont-ils modifié votre pratique?

Maître Andrio Orler: Les affaires pénales prennent de l’importance dans la pratique. De plus, le caractère pénal de ces procédures est plus reconnu que par le passé. Ces procédures se rapprochent donc davantage des procédures pénales ordinaires et le fiscaliste doit faire appel aux services du pénaliste beaucoup plus souvent que par le passé. En effet, si le fiscaliste a souvent une meilleure vision du fond du dossier (qui est à caractère fiscal), l’aide du pénaliste est souvent très utile voire indispensable pour contester des mesures d’instruction non justifiées, revoir les aspects relatifs à la fixation de la peine et s’assurer du respect du droit d’être entendu. Le fiscaliste et le pénaliste doivent donc apprendre à travailler ensemble. Dans ce contexte, il est évidemment très utile de disposer, au sein d’un même bureau, d’équipes de fiscalistes et de pénalistes expérimentés.

Lorsqu’une procédure fiscale est ouverte, de quels moyens l’autorité dispose-telle pour conduire son enquête?

Maître Daniel Kinzer: Tout dépend de la procédure qui a été engagée. En effet, la procédure pénale fiscale n’est pas encore unifiée et ses modalités varient en fonction du type d’infraction présumée, du type d’impôt concerné, ou encore de l’autorité chargée de l’enquête. Dans certains cas, notamment lorsqu’il existe un soupçon fondé de graves infractions fiscales et que la DAPE (Division Affaires pénales et enquêtes de l’Administration fédérale des contributions) est engagée, l’autorité dispose de moyens importants et très invasifs, en tous points comparables à ceux utilisés dans le cadre de procédures pénales ordinaires. La DAPE peut ainsi procéder à des auditions de témoins et à des perquisitions au domicile du contribuable ou dans les bureaux de l’entreprise. Elle peut également demander la production de documents bancaires sans que la banque puisse se prévaloir du secret bancaire. En plus de ces mesures, visant l’obtention d’informations utiles pour l’enquête, l’autorité fiscale peut adopter des mesures conservatoires visant à garantir la possibilité d’encaisser d’éventuelles amendes. Ces mesures peuvent être très incisives. L’autorité peut notamment bloquer les comptes bancaires ou les immeubles du contribuable. Il s’agit donc de procédures parfois difficiles à vivre pour le contribuable et son entourage, tant personnel que professionnel. D’où l’importance pour lui d’être bien conseillé en amont et accompagné par un avocat.

De quelle façon aidez-vous vos clients à se préparer à cette éventualité?

Maître Daniel Kinzer: Nous les conseillons par exemple pour la mise en place de plans et de procédures en amont, qui permettent de prévoir précisément comment les choses vont se dérouler, ou encore quelles seront les tâches précises allouées à certains collaborateurs dans le cadre d’une perquisition. Notre principal enjeu est de faire en sorte que cette procédure soit robuste, afin qu’elle puisse être véritablement respectée le jour venu, et ce malgré le stress provoqué par la situation. Maître Andrio Orler: Une entreprise a en effet tout intérêt à se préparer à l’éventualité d’une perquisition et à y préparer ses employés, ne serait-ce que pour éviter de créer des difficultés d’ordre pratique. On peut par exemple prendre le soin de séparer à l’avance les documents qui peuvent faire l’objet d’une saisie et les autres, ceci afin de ne pas risquer de devoir se séparer d’éléments qui seraient indispensables à la bonne organisation du travail au sein de la société.

Comment réagir en cas de perquisition afin qu’elle se déroule au mieux?

Maître Daniel Kinzer: On sous-estime souvent l’effet disruptif d’une perquisition. Les agents arrivent généralement tôt le matin et en nombre, bien préparés, et se retrouvent souvent face à des employés surpris, qui ont par ailleurs d’autres tâches urgentes à régler. L’application des plans et des procédures consignées sur papier par l’entreprise est souvent perturbée en raison de l’aspect inattendu et stressant de la perquisition. Les responsables de la société sont parfois invités à faire des déclarations, et ne peuvent faire autrement que de laisser aux collaborateurs le soin de répondre aux demandes des agents, entre deux tâches urgentes. Il est évidemment conseillé d’adopter une attitude de collaboration, tout en ménageant les informations confidentielles légitimes. Les enquêteurs sont généralement prêts à trouver des modus vivendi et des solutions qui leur permettent d’obtenir les documents qu’elles recherchent tout provoquant le moins de dérangement possible. L’important pour le contribuable et ses collaborateurs, c’est d’être bien organisé et de veiller à le rester. Il est également utile de pouvoir compter sur un intervenant extérieur, comme un avocat, qui peut garder la tête froide car il n’a que cette mission à mener. Il ne faut pas hésiter à demander que les autorités laissent un temps raisonnable à l’avocat pour se rendre sur place et lui permettre d’assister son client, avant d’entamer les recherches proprement dites.

N’est-il pas contre-productif de ne pas donner un accès plein et inconditionnel aux équipes d’enquête?

Maître Andrio Orler: Tout dépend bien sûr des circonstances et du cas. Mais dans le cas, par exemple, où l’on est dépositaire d’un secret légitime et que l’on doit ce secret à des tiers dont on détient les informations, on peut être tenu responsable si on ne les a pas correctement protégées. Il existe des moyens de droit à disposition, qui doivent normalement être annoncés par l’autorité au début de la perquisition, qui permettent de protéger ces informations. C’est le cas notamment de la mise sous scellés. Dans le doute, il est donc préférable de demander la mise sous scellés des documents. Cela n’a rien d’irréversible, et il sera toujours possible pour le contribuable de consentir à leur levée dès le lendemain à tête reposée. Dans le cas contraire, il tiendra au juge de se prononcer et de dire si oui ou non, l’autorité fiscale peut y avoir accès.

*Ruling: accord qu’une entreprise conclut avec l’administration fiscale et qui établit les modalités de son imposition

Revue de presse
Interview - Le Temps - Procédures fiscales pénales
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