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Mise en place du CSE : les apports de la première décision de justice

TGI Evry, 15 octobre 2018, n° 18/319

11/12/2018

La société Carrefour hypermarchés, composée de 191 magasins constituant autant d’établissements distincts au regard des instances représentatives du personnel, a conclu le 5 juillet 2018 un accord collectif sur le dialogue social. Il prévoit notamment la prorogation des mandats et la mise en place échelonnée des CSE dans les établissements de la société. La validité de cet accord a été contestée par une organisation syndicale, la CGT, devant le Tribunal de grande instance (TGI). Analyse de la décision.

Pour la première fois depuis l’entrée en vigueur des ordonnances du 22 septembre 2017, une décision de justice se prononce sur la validité des modalités de mise en place du comité social et économique (CSE) définies par accord collectif au regard, notamment, des dispositions relatives à la période transitoire.

Pour rappel, l'article 9 de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 organise la transition entre les anciennes institutions et le CSE en permettant aux entreprises, par accord collectif ou par décision unilatérale : 

  • d'une part, de proroger ou de réduire les mandats en cours dans la limite d'un an1 ;
  • d'autre part, de synchroniser le terme des mandats en cours de manière à ce que leur échéance coïncide avec la date de la mise en place du CSE et, le cas échéant, du comité social et économique d'établissement (CSEE) et du comité social et économique central (CSEC).

Sur la prorogation des mandats

L’accord collectif prévoyait la prorogation des mandats en cours pour une durée d’un an et entérinait la possibilité de faire coexister, d’une part, des délégués du personnel, des comités d’entreprise (CE) et des comités d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et, d’autre part, des CSEE. La CGT contestait la validité de cette mesure au motif que la prorogation des mandats ne pouvait avoir d’autre objet que d’assurer la mise en place synchronisée des CSE.

Le TGI a rejeté cette argumentation au motif que : 

  • la synchronisation des dates des élections professionnelles dans les établissements n’est pas obligatoire ;
  • la faculté de proroger ou de réduire les mandats pour procéder à la synchronisation des élections n’interdit pas de maintenir des élections échelonnées et de procéder, sur le fondement de l’article 9, II de l’ordonnance à d'autres prorogations ou réductions des mandats en fonction des contraintes de l'entreprise.

Sur l’application des règles transitoires s'agissant du maintien des accords en vigueur

La CGT soutenait que le maintien de l’accord d'entreprise préexistant, relatif à la représentation des CE au comité central d'entreprise (CCE), était contraire à l’article 9, VII de l’ordonnance, selon lequel les accords relatifs aux anciennes instances cessent de produire effet à la date du premier tour des élections. Elle en déduisait que l’accord ne pouvait prévoir que le CCE resterait régi par les accords en vigueur au jour de sa signature et ce jusqu'à la mise en place du CSEC.

Le TGI n'a pas retenu cette analyse. Il a décidé que l’article 9, VII doit être interprété comme mettant fin, à la date du premier tour et pour l'établissement dans lequel l'élection a lieu, à l’application de l’accord relatif aux anciennes instances. En d'autres termes, cet accord continue à produire ses effets dans les établissements qui n'ont pas mis en place le CSEE.

Le TGI ajoute qu'il ne peut donc être déduit de l'article 9, VII que le CCE cesse d’exister dès que des élections CSEE sont organisées dans le premier établissement de l'entreprise, sous peine de laisser des salariés sans représentation au niveau central jusqu'au terme de la période transitoire.

Il en résulte que l'accord relatif au CSE pouvait légalement prévoir le maintien de l'accord relatif au CCE jusqu'à la mise en place du CSEC.

Sur la violation des droits des membres élus des CSE d’être représentés au niveau central

L’organisation syndicale prétendait également que l’accord du 5 juillet 2018 portait atteinte aux droits des membres élus des CSEE qui ne pouvaient être représentés au niveau central tant que le CSEC ne serait pas mis en place. Elle estimait en effet que le maintien en vigueur de l’accord relatif au CCE, qui prévoyait seulement la désignation au CCE des membres issus des comités d’établissement, excluait de fait des désignations par les CSEE. En outre, le syndicat faisait valoir que les attributions du CSEC et du CCE n’étant pas identiques, certains droits ne pourraient pas être exercés, tels que la consultation sur la santé, la sécurité et les conditions de travail, laquelle n’entre pas dans les compétences du CCE.

Là encore, le TGI a rejeté cette argumentation au motif que l’accord du 5 juillet 2018, faisant référence aux stipulations de l’accord antérieur relatif à la représentation des CE au CCE, doit être lu comme prévoyant son application aux membres du CSE qui peuvent donc désigner des représentants à l’instance centrale.

Par ailleurs, s’agissant des questions relatives à la santé, la sécurité et les conditions de travail, le TGI a retenu que les CHSCT subsistants continuent d'exercer leurs prérogatives en la matière tant que le CSEC n’est pas installé et que les CSEE disposent des mêmes prérogatives. En outre, il n’était pas démontré que la coexistence des instances nouvelles et anciennes selon les établissements et le maintien du CCE, aboutissent à une moindre capacité en matière de consultation et d’avis sur les questions relatives à la santé, la sécurité et les conditions de travail par rapport au régime antérieur à l’ordonnance. Le TGI a donc rejeté cet argument.

Sur la violation du principe d’égalité entre élus du CE et élus du CSE

Le TGI a exclu toute rupture d’égalité entre les élus des CSEE et les élus des comités d'établissement du fait des différences des règles de fonctionnement existant entre ces instances (statut des suppléants, calcul de la subvention de fonctionnement, financement des expertises, etc.) dès lors : 

  • que les établissements se trouvent dans une situation différente pendant la période de transition selon qu’ils ont ou non procédé à la constitution du CSE ;
  • et que ces différences sont limitées.

Composition des CSSCT

L’accord collectif du 5 juillet 2018 a mis en place, dans les établissements de moins de 200 salariés, des commissions santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) supplémentaires. Il a fixé à deux le nombre de membres désignés par les CSEE au sein de ces commissions. La CGT contestait cette stipulation au motif que l’article L.2315-39 dispose que la CSSCT comprend au minimum trois membres.

Le TGI a annulé la mesure litigieuse au motif que l’article L.2315-39 est une disposition d’ordre public à laquelle il ne peut être dérogé, même s'agissant de CSSCT facultatives.

Stipulation fixant le nombre de titulaires et de suppléants dans chaque établissement

Enfin, le TGI a annulé la clause de l’accord collectif prévoyant, de manière présentée comme impérative, un nombre de sièges inférieur à celui prévu par les dispositions supplétives réglementaires. En effet, pour le tribunal, une telle modification relève du protocole d’accord préélectoral, dont les conditions de validité n'étaient, en l'espèce, pas remplies.

Cette décision apporte un premier éclairage sur l’interprétation qu’il convient de donner aux règles transitoires relatives à la mise en place du CSE. Compte tenu de la complexité de ces dispositions et des très nombreuses situations pratiques auxquelles les entreprises doivent les appliquer, nul doute que d'autres décisions suivront et la position des juridictions de degré supérieur sera très attendue.


1 Les mandats expirant en 2019 peuvent être uniquement réduits dans la limite d'un an. En effet, l'ordonnance n'a pas prévu de prorogation pour ces mandats autre que celle résultant d'une synchronisation du terme des mandats.