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Sommes versées par une succursale bancaire à son siège

Une décision novatrice du Conseil d’Etat

17/10/2019

Les sommes versées par une succursale bancaire à son siège sont bien des intérêts et, à ce titre, ouvrent droit à un crédit d’impôt en France.

Les sommes versées à titre de rémunération d’avances consenties par un siège bancaire à ses succursales étrangères peuvent-elles être qualifiées d’intérêts ?

La société BNP Paribas avait reçu de ses succursales bancaires établies dans plusieurs Etats asiatiques des sommes ayant pour objet de rémunérer les avances consenties par le siège à ses succursales. Les sommes en question ayant été regardées comme des intérêts par certains de ces Etats (Inde, Singapour, Thaïlande), et elles y avaient été soumises à ce titre à une retenue à la source. La société avait considéré que cette retenue à la source ouvrait droit à un crédit d’impôt en France en application des stipulations des conventions fiscales liant la France à chacun de ces Etats.

L’administration, contestant le droit de la société à bénéficier d’un crédit d’impôt, a mis à la charge de cette dernière des impositions supplémentaires procédant de la remise en cause de l’imputation de ces crédits d’impôts sur l’impôt sur les sociétés. La société a contesté ces rehaussements et a demandé parallèlement la diminution de l’impôt sur les sociétés qu’elle avait initialement acquittée en revendiquant l’imputation de crédits d’impôts « forfaitaires » ou « fictifs » au titre des sommes versées par ses succursales en Chine et aux Philippines, sur le fondement des stipulations de ces conventions.

L’administration faisait principalement valoir, pour contester le droit de la société à bénéficier de ces crédits d’impôts, que les sommes versées par une succursale à son siège ne pouvaient être regardées comme des intérêts pour l’application des stipulations conventionnelles en cause.

Oui mais ces intérêts n’ouvrent pour autant pas droit à crédit d’impôt selon les juges du fond…

La Cour administrative d’appel de Versailles par un arrêt du 13 décembre 2017, n° 15VE01061, SA BNP Paribas, rendu par trois chambres réunies sous la présidence du président de la CAA, n’avait pas suivi l’administration sur ce point, sans pour autant faire droit aux conclusions de la société.

Dans un premier temps, transposant la jurisprudence CE, 9 novembre 2015, n° 370974, SA Sodirep, la CAA avait écarté l’argument de l’administration en jugeant que « l'existence d'une relation juridique de prêteur à emprunteur génératrice d'intérêts ne saurait être exclue entre le siège d'une société de banque et ses succursales, alors qu'il est loisible au siège, nonobstant l'appartenance à une même personne morale, de financer ses succursales par des apports en capital ou par des prêts ». Elle en avait déduit que, contrairement à ce que faisait valoir l’administration, les sommes en litige présentent bien le caractère d'intérêts au sens des stipulations des conventions fiscales visées.

Toutefois, ces stipulations ne trouvent à s’appliquer à des intérêts, conformément au § 5 de l’article 11 du modèle OCDE, que lorsqu’ils peuvent être regardés comme « provenant d'un Etat contractant », notion qui désigne, d'une part, selon la première phrase de ces stipulations, les intérêts dont le débiteur est résident d'un État contractant, et, d'autre part, selon la seconde phrase de ces stipulations, ceux dont le débiteur, résident ou non d'un État contractant, a dans un État contractant un établissement stable pour lequel la dette donnant lieu au paiement des intérêts a été contractée et qui supporte la charge de ces intérêts.

C’est sur l’application de ces stipulations, reprises dans des termes similaires par les conventions fiscales applicables au litige, que s’est alors fondée, dans un second temps, la CAA en jugeant d’une part que les succursales ne pouvaient être considérées comme des « résidents » - ce que ne contestait pas la société -, et d’autre part que les intérêts ne pouvaient être regardés comme provenant d’un établissement stable dont le débiteur disposerait dans l’Etat de source. Sur ce dernier point, la CAA a plus précisément estimé qu’il ne résultait pas de l’instruction que les succursales de la société, qui devait selon la CAA être regardées comme « débitrices de ces intérêts », auraient eu « dans un Etat contractant un établissement stable ou une base fixe, pour lequel la dette donnant lieu au paiement des intérêts aurait été contractée et qui supporterait la charge de ces intérêts ». Cette interprétation conduisait à nier tout effet utile à la seconde phrase du §5 de l’article 11 dans l’hypothèse en cause puisque, par nature, un établissement stable, à défaut de personnalité morale, ne peut lui-même avoir d’établissement stable.

La CAA en a conclu que, bien que les sommes versées à leur siège situé en France par les succursales constituent bien des « intérêts », ils ne peuvent être regardés comme « provenant d’un Etat contractant » au sens des stipulations conventionnelles applicables et n’ouvrent donc pas droit à crédit d’impôt en France.

La société a formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat contre cette dernière branche du raisonnement de la CAA relative à la seconde phrase du § 5. Elle soutenait que la CAA avait commis une erreur de droit en interprétant les stipulations de cette seconde phrase comme excluant la possibilité de les appliquer à des intérêts versés par une succursale à son siège.

La solution novatrice et favorable du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat (10 juillet 2019 n° 418108, SA BNP Paribas) fait droit à l’argumentation de la société en ne se prononçant explicitement que sur l’application des stipulations correspondant, dans les conventions fiscales en litige, à la seconde phrase du § 5 de l’article 11 du modèle de convention.

Le Conseil d’Etat a en effet jugé que c’est la société BNP Paribas, et non ses succursales, qui devait être regardée comme débitrice des intérêts versés par ses succursales au sens de cette seconde phrase. Dans ces conditions, le Conseil d’Etat en conclut que la CAA a commis une erreur de droit pour s’être abstenue de rechercher si la société avait dans les Etats concernés, par l’intermédiaire des succursales, des établissements stables pour lesquels les dettes donnant lieu au paiement des intérêts ont été contractées et qui supportent la charge de ces intérêts, de sorte que ces intérêts devaient être considérés, pour l'application de ces stipulations, comme provenant de ces pays. L’affaire est ensuite renvoyée devant la Cour administrative d’appel qui devra faire application de ces principes.

Le Conseil d’Etat ne s’est donc pas prononcé explicitement sur le premier temps du raisonnement de l’arrêt attaqué, selon lequel la circonstance que les sommes en cause avaient été versées dans le cadre d’une relation siège-succursale ne faisait pas obstacle par principe à la qualification d’intérêts. Ceci s’explique parce que cette motivation de l’arrêt de la CAA n’était bien entendu pas contestée par la société et elle ne l’avait pas davantage été par l’administration fiscale au stade de la cassation.

Mais, comme l’a observé le rapporteur public Karin Ciavaldini dans ses conclusions sur cette décision en proposant de confirmer le raisonnement de la CAA, cette question devait nécessairement être examinée par le juge dans le cadre de son office. Il faut donc en conclure que la position de la CAA sur ce point a été entérinée, implicitement mais nécessairement, par le Conseil d’Etat.

Il résulte de cette importante décision que les sommes versées par une succursale bancaire à son siège en France peuvent être qualifiées d’intérêts au sens des conventions fiscales et ouvrir corrélativement droit à crédit d’impôt en France. La question de la transposition de cette solution à des situations qui ne concernent pas le secteur bancaire reste ouverte, dans la mesure en particulier où, dans ses conclusions sur la décision, Karin Ciavaldini avait fait état, pour justifier la solution, des commentaires de l’OCDE sous l’article 7 (points 28 et 29), qui indiquent certes que « la fiction de l'entreprise distincte et indépendante [constituée par l'établissement stable] ne s'étend pas à l'article 11 et, aux fins de cet article, une partie d'une entreprise ne peut être considérée comme ayant payé des intérêts à une autre partie de la même entreprise » mais en réservant spécifiquement le cas des entreprises financières.

Analyse parue dans le magazine Option Finance le 30 septembre 2019 


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