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Abus de position dominante

Un simple soupçon de contrefaçon ne justifie pas un refus de vente discriminatoire

31/01/2019

Une entreprise peut-elle adopter un comportement anticoncurrentiel pour contrer les prétendus actes de contrefaçon d’un concurrent ?

Un litige opposait deux sociétés concurrentes spécialisées dans la gestion de bases de données médicales, Cegedim et Euris. Dans un premier temps, Cegedim avait poursuivi en contrefaçon Euris à laquelle elle reprochait d’avoir utilisé des extractions de sa base de données pour constituer et mettre à jour une base de données concurrente ; après expertise, elle avait été déboutée de son action faute de preuves suffisantes.  Dans un second temps, l’Autorité de la Concurrence l’avait condamnée pour abus de position dominante caractérisé par le refus discriminatoire de vendre sa base de données aux utilisateurs des solutions logicielles commercialisés par Euris, en lui infligeant une sanction pécuniaire de 5.567.000 euros.

Dans le cadre d’un recours en révision de l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui avait confirmé cette décision, Cegedim espérait échapper à la sanction pour abus de position dominante en défendant de nouveau la légitimité de son comportement. Elle alléguait que « le refus d’accès à sa base de données constituait une réaction proportionnée, limitée dans le temps et justifiée par des soupçons légitimes de contrefaçon » et non une pratique d’éviction de son concurrent du marché des bases de données d’informations médicales. Elle s’appuyait cette fois sur des témoignages d’anciens salariés d’Euris, obtenus après que la décision d’appel fut devenue irrévocable, révélant que ces derniers avaient été chargés par leurs supérieurs hiérarchiques d’effacer certaines informations contenues dans la base de données d’Euris. Selon elle, l’expert chargé d’apprécier la concurrence déloyale de la société Euris avait donc traité des informations altérées et falsifiées, ce qui caractérisait une fraude de la part d’Euris justifiant la révision de l’arrêt.

S’appuyant sur la décision de l’ADLC selon laquelle « une situation prétendument illicite n’autorise pas les entreprises à commettre elles-mêmes des pratiques anticoncurrentielles » et sur l’analyse de l’arrêt révisé selon laquelle « la mise en œuvre d’une pratique anticoncurrentielle ne peut être légitimée par un comportement illicite d’un opérateur contre lequel il existe des voies de droit appropriées », la cour d’appel de Paris affirme que « même si la contrefaçon avait pu être établie, la décision de la cour d’appel de Paris aurait été identique, l’existence d’actes de contrefaçon ne pouvant pas être l’élément justificatif d’un refus de vente caractérisant un abus de position dominante ».

Elle ajoute que le simple soupçon de contrefaçon, fût-il renforcé par la connaissance des agissements décrits dans les témoignages, n’aurait pas pu amener la cour d’appel de Paris à prendre une décision différente, faute pour la contrefaçon d'être positivement établie. Le recours en révision devait donc être rejeté.

Quand bien même la protection de droits de propriété intellectuelle serait en jeu, l’interdiction de se faire justice à soi-même prévaut en droit de la concurrence, comme ailleurs.

CA Paris, 21 juin 2018, n° 17/11.795


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Cet article a été publié dans notre Lettre Concurrence/Economie de janvier 2019. Cliquez ci-dessous pour découvrir les autres articles de cette lettre.


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Elisabeth Flaicher-Maneval
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