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Apport-cession de titres : le Comité de l’abus de droit fiscal révise sa position

04/06/2012


Le Comité considère désormais que les apports de titres opérés sous le régime du sursis d’imposition en vigueur depuis 2000 ne sont pas à l’abri d’une critique fondée sur l’abus de droit. Mais ses avis du 15 novembre 2011 et 2 février 2012(1), donnent aux praticiens de précieuses indications sur la validité et la structuration de telles opérations.


1. L’utilité d’une opération d’apport-cession de titres

Vendre des titres pour ensuite réemployer le produit de la cession dans une nouvelle activité, revient à réinvestir une somme amputée de l’impôt de plus-values dû actuellement au taux global de 34,5 %(2), sans compter la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus due aux taux de 3 et 4 %.

Une opération d’apport-cession de titres permet d’améliorer cette situation. A cette fin, le contribuable apporte d’abord ses titres, en bénéficiant automatiquement d’un sursis d’imposition, à une société qu’il contrôle. Cette société les cède alors ensuite à un tiers acquéreur, pour un prix identique à leur valeur d’apport donc sans plus-value taxable.

A l’issue de l’opération, la société dispose d’une trésorerie égale au produit de cession des titres. Le contribuable bénéficie d’un différé de taxation de la plus-value de ses titres d’origine jusqu’à la date de cession des titres reçus de la nouvelle société.

2. Les derniers développements jurisprudentiels sur une opération parfois contestée

Ces opérations sont examinées attentivement par l'administration fiscale qui, en suivant la procédure de l’abus de droit, a le pouvoir d’exiger l’impôt sur la plus-value, majoré de 80 %.

Le Conseil d’Etat ne s’est pour l’instant prononcé que sur des opérations d’apport-cession placées sous l’ancien régime optionnel du report d’imposition applicable jusqu’au 31 décembre 1999 ayant précédé le régime actuel du sursis automatique d’imposition entré en vigueur le 1er janvier 2000.

Il a fixé pour règle qu’il est abusif de recourir à une telle opération si la société contrôlée par le contribuable n’a pas réinvesti dans un délai maximal de trois ans une part significative du produit de la cession des titres dans une activité économique(3).

Certaines cours administratives d’appel ont d’ores et déjà transposé ces critères sous le régime actuel du sursis. Ainsi, la cour administrative de Versailles vient récemment de juger que l’automaticité du sursis d’imposition n’exclut pas l’abus de droit(4).

Au contraire, le Comité(5) avait estimé en 2005 que de telles opérations ne pouvaient être constitutives d’un abus de droit au regard du caractère automatique du sursis d’imposition(6).

La même question était de nouveau posée au Comité chargé d’émettre un avis sur le bien fondé du recours par l’administration fiscale à la procédure d’abus de droit.

3. Le revirement opéré par le Comité

Par deux avis du 2 février 2012, le Comité opère un revirement décisif dans l’attente d’une prochaine décision du Conseil d’Etat.

Contrairement à la position qu’il avait retenue dans deux avis rendus en 2005, le Comité considère désormais que le caractère automatique du sursis d’imposition ne saurait faire échec à l’application de la procédure de l’abus de droit et reprend corrélativement les critères dégagés par le Conseil d’Etat sur les opérations d’apport- cession placées sous l’ancien régime du report d’imposition.

Ainsi, le Comité précise que l’abus de droit fiscal n’est pas caractérisé si la société bénéficiaire de l’apport a réinvesti, conformément à son objet social, pour un montant significatif du produit de la cession des titres dans des activités économiques.

Le Comité apporte également d’importantes précisions sur les modalités de ce réinvestissement dans des activités économiques.

4. Les précisions apportées par le Comité sur les modalités d’un réinvestissement éligible

Dans une première affaire(7), le Comité émet un avis favorable aux contribuables. Il relève, à cet égard, que la société contrôlée par les contribuables a réalisé des apports dans deux filiales créées, l’une pour une activité de négoce de bijoux, l’autre pour l’exploitation d’une galerie d’arts.

L’avis retient comme réinvestissement éligible les avances en compte courant ayant permis à la filiale de financer son activité commerciale. Cette analyse est conforme à celle du Conseil d’Etat qui subordonne cette éligibilité à la démonstration de l’affectation effective de ces sommes aux activités économiques de la filiale(8). Les sommes prêtées à la filiale ne doivent pas constituer un simple placement de trésorerie.

Surtout, le Comité retient comme suffisant un réinvestissement du produit de cession à hauteur de 39 % dans des activités économiques. Cette précision est importante dès lors que le Conseil d’Etat n’a pas pour l’instant défini précisément ce critère. Il avait simplement précisé que doit être considéré comme non significatif un réinvestissement à hauteur de 15 %.

Dans une seconde affaire(9), le Comité émet un avis défavorable aux contribuables. Il relève, à cet égard, que le seul investissement effectué dans une activité économique trois ans après la cession ne représente que 3 % du produit de la cession des titres.

Le Comité sanctionne ainsi des contribuables au demeurant incapables de justifier in concreto les diligences effectuées pour rechercher de nouveaux investissements et encore moins les raisons d’un tel échec.

5. L’appréhension interdite du produit de cession des titres

Dans un avis rendu le 15 novembre 2011, le comité s’est intéressé au débouclage d’une opération d’apport-cession de titres réalisé 17 mois seulement après l’apport initial.

Il estime abusive une opération de réduction de plus 99 % du montant du capital de la société holding par la réduction de la valeur nominale de ses titres. A cette fin, il met en exergue l’absence de toute justification autre que la volonté par les contribuables de retirer les liquidités dont disposait la société sans pour autant mettre fin au mécanisme du sursis d’imposition.

A cette occasion, le Comité rappelle que le maintien du sursis d’imposition de la plus-value est subordonné à l’absence d’appréhension directe par les apporteurs des liquidités issues de la cession.

Observons qu’une appréhension similaire du produit a déjà été sanctionnée par le Conseil d’Etat dans une affaire d’apport d’une entreprise individuelle(10). Pour sa part, l’administration fiscale condamnait déjà dès l’ancien régime du report d’imposition de tels mécanismes de réappropriation du produit : selon elle, tout remboursement d’apport ou de prime d’émission entraînait l’expiration du report nonobstant ses conséquences au regard du régime des revenus distribués.

6. Certitudes, risques et ambiguïtés d’une telle opération dans le contexte fiscal actuel

Par crainte d’une hausse rétroactive au 1er janvier 2012 du taux de l’impôt de plus-value, de nombreux contribuables sur le point de céder leur société s’interrogent sur l’opportunité de réaliser une telle opération.

A ceux qui sont prêts à réinvestir le produit de la vente notamment dans des activités commerciales, industrielles ou agricoles, la nouvelle jurisprudence du Comité apportera des précisions utiles sur le délai de réalisation, la fraction et la nature du réinvestissement à effectuer.

Certaines interrogations demeurent toutefois. L’exercice d’une activité de capital-développement consistant en la prise de participations minoritaires dans des sociétés non cotées permettra-t-elle d’échapper au grief de l’abus de droit ? La prudence demeure également pour des activités pourtant commerciales par nature comme celles d’achat-revente de titres(11) et de location meublée.

Un réinvestissement à l’étranger ne devrait pas soulever de difficultés particulières pour autant que son éligibilité puisse être vérifiée par l’administration fiscale. Telle a été l’analyse de la cour administrative de Versailles lors de l’examen d’un prêt consenti par une société française à sa filiale canadienne.

Il n’est pas interdit au contribuable d’apporter ses titres à une société de droit étranger, le régime du sursis d’imposition s’appliquant aux opérations d’apports de titres réalisées en France, dans un autre Etat membre de l’Union Européenne ou dans un Etat ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. Mais le contribuable qui envisage de transférer son domicile hors de France ne devra pas oublier que l’Exit Tax frappe également les titres d’une société étrangère.


1. Instruction du 24 avril 2012 13 L 2-12 et instruction du 15 novembre 2011 13 L 8-11.

2. 19 % d’impôt, plus 15,5 % de prélèvements sociaux et la contribution exceptionnelle de 3 et 4 %.

3. CE 8 octobre 2010 n° 301934.

4. CAA Versailles 24 janvier 2012 n° 09VE02217 - 09VE02218

5. Le comité consultatif pour la répression des abus de droit devenu depuis le comité de l’abus de droit fiscal

6. Instruction du 20 mars 2006 13 L 3-06

7. Affaire 2011-17

8. CE 8 octobre 2010 Bazire n° 301934 et CE 24 août 2011 Ciavatta n° 316928

9. Affaire 2011-16

10. CE 8 octobre 2010 n°321361

11. En matière d’ISF : Cour d'Appel de Versailles, 20 octobre 2011


Par Pierre Sappey, avocat,

Article paru dans la revue Option Finance le 4 juin 2012