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Bouclier fiscal et non-résidents communautaires : trop de réflexion nuit à la réflexion

05/04/2011


L'administration a tenté de se prononcer « a minima » sur la conformité du bouclier fiscal au droit communautaire. Son instruction pourrait au contraire avoir des conséquences d'envergure.


Le point de départ, une mesure de faveur française réservée aux domiciliés français

Le bouclier fiscal limite les impôts directs dus par une personne à 50% de ses revenus annuels. Selon l’article 1649-0 A du CGI, ce bouclier protège uniquement les personnes domiciliées en France au sens de l’article 4B du CGI, au 1er janvier de l’année qui suit celle de réalisation des revenus. Pour seul commentaire sur le sujet, l’administration fiscale rappelait les critères énoncés à l’article 4 B: (1) foyer ou, à défaut, lieu du séjour principal ; (2) exercice à titre principal d’une activité professionnelle ; (3) centre des intérêts économiques en France (Inst. 15/12/2006 13 A-1-06 §10).

Compte tenu de l’énoncé du texte de loi et des commentaires de l’administration, aucun contribuable ne s’était montré, à notre connaissance, suffisamment téméraire pour demander l’application du bouclier fiscal s’il n’était pas fiscalement résident de France (au sens du droit français et de la convention fiscale éventuellement applicable).

Une mesure apparemment discriminatoire

La Commission Européenne a estimé qu’en réservant le bénéfice du bouclier fiscal aux personnes fiscalement domiciliées en France, notre législation contrevient aux libertés communautaires de libre circulation des travailleurs et de libre circulation des capitaux. Elle a indiqué, dans un communiqué du 28 octobre 2010, envisager une procédure d’infraction contre la France et lui a enjoint de modifier sa législation sur le bouclier fiscal ainsi que sur le plafonnement de l’ISF, également réservé aux seuls résidents fiscaux français (limitation d’office de l’ISF et de l’impôt sur le revenu à 85% des revenus).

En réponse, des représentants de l‘administration ont annoncé que ce rappel à l’ordre leur fournirait l’occasion non seulement de traiter la problématique du bouclier fiscal, mais également de tirer les conséquences de l’arrêt Schumacker, rendu par la CJCE le 14 février 1995, arrêt sur lequel ils menaient une réflexion approfondie. Dans cet arrêt, la Cour a défini les contours du principe de non-discrimination : un non-résident ne peut être imposé plus lourdement qu’un résident par l’Etat d’où il tire l’essentiel de ses revenus.

Les attentes étaient donc grandes quant au fruit d’une réflexion administrative longue de 15 ans.

Le remède administratif

Or, l’administration opte pour la technique du retrait de venin : dans une instruction du 29 décembre 2010 (13 A-1-11), elle indique que le dispositif, en apparence contraire au droit européen, est en fait conforme à ses grands principes. Le raisonnement retenu est simple :

  1. Selon l’article 4B du CGI précité, les personnes qui exercent en France leur activité professionnelle à titre principal ou qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques sont fiscalement domiciliées en France.
  2. Les « non-résidents Schumacker » (appellation administrative désignant les personnes susceptibles d’invoquer les principes de l’arrêt Schumacker) sont domiciliés en France au sens du droit français : s’ils perçoivent essentiellement des revenus de source française, ils ont nécessairement une activité professionnelle exercée à titre principal en France et/ou des intérêts économiques concentrés en France.
  3. Le régime du bouclier fiscal ne discrimine donc pas les « non-résidents Schumacker ».

La même approche est adoptée à l’égard du plafonnement de l’ISF par une instruction du 31 janvier 2011.

Le retrait de venin s’arrête là. L’administration ne précise à aucun moment la portée pratique du raisonnement ci-dessus pour les personnes non-résidentes de France en vertu d’une convention fiscale signée par la France. Deux options d’interprétation nous paraissent possibles :

  • L’administration considère que les « non-résidents Schumacker » sont domiciliés en France et assujettis à l’impôt en tant que tels. Option improbable, car aboutissant à nier la réalité.
  • L’administration considère, sans l’exprimer expressément, que le plafonnement et le bouclier fiscal bénéficient en fait à toute personne qui aurait été domiciliée en France au sens précité, sans qu’y fasse obstacle la circonstance qu’elle n’est pas fiscalement résidente de France par l’effet de la convention fiscale applicable.

On doit donc comprendre que c’est à tort, dans cette seconde hypothèse, que les non-résidents se sont jusqu’à maintenant abstenus de demander le bénéfice du plafonnement ou du bouclier.

Un impact direct potentiellement important

L’impact pourrait être important tant pour les demandes de bouclier à déposer avant la disparition du dispositif que pour l’application du plafonnement, promis à un avenir renforcé (son seuil de déclenchement pourrait être abaissé à 70%). En effet, les cas de personnes fiscalement domiciliées en France au sens de l’article 4B mais résidentes d’un autre Etat en vertu d’une convention fiscale sont nombreux et recouvrent notamment les situations suivantes :

  • Les personnes qui travaillent en France tout en maintenant une vie personnelle et familiale dans un autre Etat de l’Union Européenne ;
  • Les personnes qui disposent en France d’un important patrimoine productif de revenus, tout en ne disposant d’aucune habitation en France et/ou ayant une vie personnelle et familiale dans un autre Etat de l’Union Européenne.

Ces personnes pourraient donc revendiquer le bénéfice du plafonnement et celui du bouclier fiscal, ce qui ne leur éviterait pas de rester placées dans une situation discriminatoire : les impôts que ces personnes auront supportés hors de France ne seront pas additionnés aux impôts français pour le calcul de l’écrêtement qui s’applique aux cotisations excédant globalement 50% ou 85% du revenu, mais simplement déduits des revenus de source étrangère dont le montant reste compris dans le décompte du revenu.

Extension à d’autres dispositifs : à vos réclamations !

L’instruction, mûrement réfléchie, ne vise expressément que le régime du bouclier fiscal (et celui du plafonnement). Cela dit, l’administration semble indiquer en substance qu’il suffit aux « non-résidents Schumacker » de lire simplement le texte de loi : ils doivent bénéficier de toutes les mesures fiscales qui s’appliquent aux contribuables ayant leur « domicile fiscal en France » et ne doivent, à l’opposé, pas être visés par celles qui s’appliquent aux personnes n’ayant pas de « domicile fiscal en France ». Petite revue de ce qui changerait dans cette optique :

Possibilité de revendiquer le bénéfice de mesures réservées aux seules personnes ayant leur domicile en France : il s’agit de la possibilité de bénéficier des divers crédits d’impôt au titre des dons à des organismes d’intérêt général, de l’emploi d’un salarié à domicile, ou au titre du dispositif Scellier ; Possibilité de s’opposer à l’application de mesures qui visent les personnes n’ayant pas de domicile fiscal en France. C’est ici que le raisonnement de l’administration ouvre les perspectives les plus prometteuses :

  • Les retenues à la source prévues par le code général des impôts au titre des salaires, dividendes ou intérêts (pour ces derniers, versés avant le 1er mars 2010) visent tous les revenus de source française versés à des personnes qui ne n’ont pas de domicile fiscal en France. Ces retenues ne sont donc pas applicables aux « non-résidents Schumacker ». L’administration fiscale vient en fait de proclamer la fin d’une bonne partie des retenues à la source appliquées aux dividendes et salaires perçus par des personnes physiques résidentes d’un Etat membre de l’UE.
  • L’article 244 bis A du CGI vise les plus-values immobilières réalisées par des personnes qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France. Les « non-résidents Schumacker » devraient donc bénéficier du régime fiscal, sensiblement proche, applicable aux cédants domiciliés en France. Ce faisant, ils seraient exemptés de l’obligation de désigner un représentant fiscal et d’en payer les honoraires.

On peut aussi s’interroger sur le sort des salariés impatriés. En effet, il résulte de l’article 155 B du CGI que les personnes qui viennent exercer un emploi salarié (ou une fonction de direction au sein d’une société française) et deviennent à cette occasion fiscalement domiciliées en France ont droit à une prime d’impatriation exonérée d’impôt (sous certaines conditions). L’administration estime (Inst. 5 F-13-09, n°30) que ce dispositif n’est pas applicable aux personnes qui restent fiscalement résidentes hors de France en vertu d’une convention fiscale. Cette position apparaît aujourd’hui en contradiction avec celle adoptée à l’égard des « non-résidents Schumacker » et avec le principe communautaire de non-discrimination. Elle deviendrait donc caduque.

Il est possible qu’en procédant à sa mise au point centrée sur le domaine d’application du bouclier fiscal et du plafonnement, l’administration n’ait pas pleinement mesuré la portée de sa nouvelle approche. Cela pourrait bien créer quelques nouvelles crispations avec les contribuables.


Fréderic Roux et Dimitar Hadjiveltchev, avocats,

Article paru dans la revue Option Finance du 28 février 2011

Auteurs

Portrait deDimitar Hadjiveltchev
Dimitar Hadjiveltchev
Associé
Paris
Frédéric Roux