Face à un risque contentieux croissant lié à l’invalidation de nombreux accords collectifs instituant les conventions de forfait en jours, les entreprises doivent s’assurer de la conformité de leur dispositif conventionnel et si nécessaire le faire réviser.
La licéité des conventions de forfait en jours sur l’année a été affirmée par la jurisprudence sous réserve que l’accord collectif les instaurant garantisse le respect des durées maximales du travail, ainsi que des repos journalier et hebdomadaire.
Ces exigences dont l’objet est de protéger la sécurité et la santé des salariés peuvent cependant s’avérer parfois difficilement conciliables, en pratique, avec l’autonomie dont bénéficient les salariés concernés. Dans ce contexte, la question se pose des Mesures pouvant être prises par l’entreprise pour renforcer et sécuriser leur dispositif conventionnel.
Les conditions de licéité des forfaits en jours sur l’année
Seuls les salariés dont la durée du travail ne peut-être prédéterminée, disposant d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l’année.
Ces conventions sont toutefois subordonnées à la conclusion :
- d’une part, d’un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, d’une convention ou d’un accord de branche, déterminant les catégories de salariés susceptibles d’en bénéficier, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi et les caractéristiques principales de ces conventions ;
- et, d’autre part, d’une convention individuelle de forfait, laquelle requiert l’accord du salarié et doit nécessairement faire l’objet d’un écrit.
Les salariés sous convention de forfait en jours pouvant théoriquement travailler jusqu’à 78 heures par semaine (soit 13 heures x 6 jours), les conditions d’application de ce dispositif font l’objet d’un contrôle approfondi par les juges judiciaires.
Depuis un arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2011, les juges vérifient en effet que les dispositions de l’accord collectif mettant en place le forfait jours prévoient des « garanties suffisantes » pour assurer le respect des durées maximales du travail, ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires et, de manière plus large, le respect du droit à la santé et au repos.
A défaut de telles garanties, la convention est nulle et le temps de travail doit donc être décompté en heures, ce dont il résulte notamment un important risque de demandes de rappel d’heures supplémentaires.
Un audit indispensable des accords collectifs instituant les forfaits jours
Il est dans ce contexte tout d’abord impératif d’analyser les dispositions conventionnelles de branche, d’entreprise ou d’établissement autorisant la conclusion de convention de forfait en jours, afin de déterminer si celles-ci prévoient des « garanties suffisantes ».
Si tel n’est pas le cas, il est alors indispensable, via la négociation collective d’entreprise ou d’établissement, de définir des mesures précises visant à garantir une amplitude et une charge de travail raisonnable, ainsi qu’une bonne répartition du travail dans le temps.
La voie contractuelle pour renforcer les conditions d’application du dispositif en l’absence d’accord d’entreprise est en revanche à exclure lorsque la convention de branche n’est pas conforme. Il a en effet été jugé que la convention de forfait en jours est sans effet en cas d’accord collectif renvoyant au contrat de travail le soin de fixer ses conditions de mise en œuvre, ses principales caractéristiques et ses modalités de contrôle du nombre de jours travaillés (Cass. soc. 31 janvier 2012).
Quelles sont les « garanties suffisantes » à prévoir ?
Sans aller jusqu’à un décompte des heures de travail, qui serait antinomique avec l’autonomie dont doivent effectivement bénéficier les salariés sous convention de forfait en jours, un éventail des mesures déclinées dans un accord collectif permet de satisfaire aux exigences de la jurisprudence.
Ces mesures peuvent à titre illustratif consister dans la mise en œuvre des procédures suivantes :
Modalités de décompte :
- Compteur de jours travaillés avec remise hebdomadaire à la Direction pour contrôle
- Relevé du nombre de jours et demi-journées réellement travaillés et du nombre de jours de repos pris avec le détail du positionnement et de la qualification juridique
- Décompte auto-déclaratif des temps de repos quotidien et hebdomadaire
Suivi et contrôle :
- Remise du planning prévisionnel d’activité annuel par le salarié à sa Direction pour vérification qui, le cas échéant l’harmonise et contrôle du nombre de journées travaillées à l’aide d’un outil de gestion
- Contrôle régulier par le supérieur hiérarchique de l’amplitude et de la charge de travail à travers un suivi de l’organisation du travail du salarié
Dispositif d’alerte :
- Espace spécifique dans le support de contrôle pour que le salarié puisse indiquer d’éventuelles difficultés
- En cas de dépassement de forfait, alerte du responsable hiérarchique et en cas de charge de travail trop importante alerte des services RH/supérieur hiérarchique
Entretien annuel :
- Organisation d’entretiens périodiques avec le supérieur hiérarchique
- Thèmes abordés : charge de travail, amplitude des journées, l’organisation du travail, articulation vie professionnelle et vie privée et rémunération
Organisation et charge de travail :
- Amplitude journalière maximale : 13 heures. Surveillance du respect des dispositions légales concernant les repos des salariés
- La charge de travail doit être adaptée au nombre de jours travaillés
- Auto déclaratif régulier de la reconnaissance d’une charge de travail « adaptée » ou « raisonnable »
Enfin et bien évidemment, il importe que ces mesures soient effectivement mises en œuvre. A défaut, le risque de poursuites devant les juridictions civiles et, le cas échéant, pénales, subsistera.
Article paru dans Les Echos Business du 6 novembre 2013
par Pierre Bonneau, avocat associé et Ghislain Dintzner, avocat
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