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Décision du Conseil d’Etat : Le décret RCD n’a aucune base légale et ne peut donc être qu’annulé

27/04/2018

Saisi par le SNITEM et MEDTECH, le Conseil d’Etat a, par un arrêt rendu le 26 avril 2018, annulé le décret n° 2016-1716 du 13 décembre 2016 relatif au résumé des caractéristiques du dispositif médical (RCD).

Les faits :

On se souvient que la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a inséré dans le code de la santé publique (CSP) un article L 5211-4-1 qui prévoit que lors de la mise en service sur le territoire national de dispositifs médicaux dont la liste est fixée par arrêté ministériel, les fabricants ou leurs mandataires transmettent à l’ANSM un résumé des caractéristiques de leur dispositif. Le décret d’application de cette disposition nouvelle a été adopté le 13 décembre 2016 et est entré en vigueur le 1er juillet 2017. L’article 1er du décret prévoit que les dispositifs soumis à l’obligation de transmission fixée par la loi sont les dispositifs implantables et les dispositifs de classe III. Le II de cet article fixe la composition du dossier à notifier à l’Agence.

La décision :

Le Conseil d’Etat juge successivement que la disposition législative en cause est incompatible avec les objectifs des directives relatives aux dispositifs médicaux, qu’il s’agisse de la directive 90/385/CEE relative aux dispositifs médicaux implantables actifs ou de la directive 93/42 relative aux autres dispositifs, de sorte que le décret ne peut trouver sa base légale dans l’article de loi (1). Ayant ainsi écarté la loi contraire, le Conseil confronte alors directement le décret aux deux directives DM (2a), puis au futur règlement européen (2b), pour en conclure que ni l’un ni l’autre de ces textes de droit « dérivé » ne peuvent servir de base légale au décret (2). Constatant alors que le décret n’a pas de base légale, ni en droit interne ni en droit européen, il en prononce l’annulation (3).

1) L’article L 5211-4-1 du CSP n’est pas compatible avec les objectifs des directives 90/385 et 93/42/CEE :

Pour parvenir à cette première conclusion, qui lui est nécessaire pour se prononcer sur le point de savoir si le décret dont l’annulation lui est demandée trouve sa base légale dans l’article législatif, le Conseil d’Etat rappelle « qu’il ressort clairement de (…) l’économie générale des directives que celles-ci visent à assurer une harmonisation complète des dispositions nationales relatives à la mise sur le marché et à la mise en service des dispositifs médicaux implantables actifs et des autres dispositifs médicaux, afin de garantir, dans le respect des règles qu’elles fixent, la libre circulation de ces dispositifs. Par suite, un Etat membre ne pouvait, sans méconnaître les objectifs de ces directives, instituer une obligation supplémentaire relative à la mise sur le marché ou à la mise en service de ces dispositifs assortie de sanctions, notamment pénales, en cas de méconnaissance de cette obligation » (soulignement ajouté) (voir point 4 de l’arrêt).

Ceci conduit logiquement le Conseil à écarter l’article législatif qui ne peut donc servir de base légale au décret, à partir du moment où il n’est pas conforme au droit européen, qui prime sur lui (voir point 6).

2) Le décret ne peut trouver sa base légale ni dans les directives d’harmonisation (a) ni dans le futur règlement européen (b) :

a) A défaut de soubassement législatif, le décret peut-il trouver directement sa base légale dans les directives ?

Les visas du décret se réfèrent à l’article 14 ter de la directive 93/42 relatif aux mesures de veille sanitaire. Mais la Haute Instance juge que, contrairement à ce que soutient le ministère, cet article « n’a pas pour objet d’autoriser la mise en place de dispositions transitoires en cas de modification des normes applicables, mais seulement de permettre à un Etat membre qui estimerait devoir (…) interdire ou soumettre à des exigences particulières la mise sur le marché et la mise en service d’un produit ou d’un groupe de produit donné, de prendre toutes les mesures transitoires nécessaires et justifiées, dans l’attente que la Commission émette son avis sur le caractère justifié des mesures nationales » (soulignement ajouté). Ceci conduit au constat que ni l’article 14 ter ni aucun autre article de la directive 93/42 ou de la directive 90/385 ne peuvent servir de base légale au décret attaqué (point 5 de l’arrêt).

b) A défaut de soubassement législatif, le décret peut-il trouver directement sa base légale dans l’article 32 du nouveau règlement européen ?

C’est probablement la partie la plus intéressante de l’arrêt puisque le Conseil d’Etat est, de façon tout à fait inhabituelle, conduit à se prononcer sur la portée d’une disposition qui n’était pas encore entrée en vigueur le 13 décembre 2016, date de la signature du décret. Le juge est conduit à cette solution tout à fait inhabituelle s’il veut répondre à l’argumentation développée par le ministère et selon laquelle la France n’a fait qu’anticiper l’entrée en application, le 26 mai 2020, du nouveau règlement européen dont l’article 32 prévoit, pour les dispositifs implantables et de classe III, une obligation de notification à l’organisme notifié d’un dossier dont le contenu est sensiblement identique à celui prévu par le décret attaqué. Or, la réponse à cette argumentation circonscrit de façon particulièrement intéressante pour les opérateurs la marge de manœuvre des Etats membres au cours de la période transitoire, pendant laquelle le règlement est entré en vigueur sans être encore applicable.

Le Conseil juge en effet que la période transitoire qui sépare la date d’entrée en vigueur du nouveau règlement (25 mai 2017) de la date de son application effective (26 mai 2020) permet seulement « par dérogation aux directives, la mise sur le marché de dispositifs médicaux conformes au règlement, afin notamment que les opérateurs économiques puissent s’adapter aux modifications introduites par » le règlement « et n’autorise pas les Etats membres à déroger » aux directives pour imposer l’application anticipée, sur leur territoire, de dispositions du règlement » (soulignement ajouté) (voir point 7 de l’arrêt). Il s’agit donc là d’un considérant de principe qui va très au-delà du seul cas du décret RCD et qui fixe la marge de manœuvre des opérateurs, seuls à pouvoir déroger aux directives, toujours applicables, en appliquant par anticipation le règlement, ce que les pouvoirs publics ne sont pas autorisés à faire. En d’autres termes encore, la période transitoire est consentie à l’avantage exclusif des industriels, seuls autorisés à anticiper son application.

L’article 32 du nouveau règlement, invoqué en défense, ne peut donc à son tour servir de base légale au décret attaqué qui est ainsi dépourvu de toute base légale et ne peut donc être qu’annulé (voir point 8 de l’arrêt).

3) Dépourvu de base légale, le décret attaqué ne peut être qu’annulé :

Ce constat conduit inéluctablement la Haute Instance à prononcer l’annulation du décret qui lui est déféré. Cette annulation pure et simple est rétroactive. Elle prend donc effet au 1er juillet 2017, date fixée par le décret pour son entrée en vigueur, de sorte que le décret annulé est réputé n’avoir jamais existé.

Il en résulte que les entreprises qui se sont exécutées et ont notifié à l’ANSM un RCD de leurs produits et qui seraient en mesure de justifier du surcoût représentant le coût de l’exécution de cette obligation peuvent donc obtenir réparation dans le cadre d’un contentieux de la responsabilité de l’Etat. Si des entreprises ont été sanctionnées pour non-exécution du décret, elles peuvent de la même façon solliciter la restitution de l’amende infligée. 

26.04.2018, Conseil d’Etat, SNITEM, req. 407982 

Auteurs

Bernard Geneste
Marine Devulder