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Diversité au travail et lutte contre les discriminations : le nouveau défi des entreprises

04/10/2007

Alors que la législation antidiscriminatoire de l'Union européenne compte parmi les plus complètes du monde, des inégalités sont encore dénoncées par les différents acteurs du travail en Europe. Par ailleurs, le Bureau International du Travail (BIT) vient de rendre son deuxième rapport global sur l'égalité au travail . Ce rapport relève notamment
la persistance au plan international des inégalités entre les sexes et de la discrimination fondée sur le handicap, et recense des nouvelles formes de discrimination au travail, fondée par exemple sur le mode de vie, l'état de santé, voire la prédisposition génétique... Si ces dernières manifestations de discrimination ne sont pas encore très répandues en France, il n'en demeure pas moins urgent aujourd'hui pour les entreprises qui y sont implantées de se mettre en conformité avec les nouvelles normes légales et réglementaires et d'être parfaitement informées des procédures et structures impliquées (HALDE ,
syndicats, Inspection du travail, LICRA etc.), sous peine d'être sanctionnées par des juges de plus en plus sévères dans ce domaine.

Le principe de non-discrimination en milieu de travail se retrouve déjà dans le Préambule de la Constitution de 1946. Mais l'effectivité de ce principe est assurée par le Code du travail, dans son célèbre article L.122-45 (devenu article L. 1132-1 dans la nouvelle codification du Code du travail en 2007) ainsi que par le Code pénal . Au plan communautaire, quatre Directives fondamentales (entre 1975 et 1997) sont venues consacrer le principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes et l'interdiction des discriminations directes et indirectes fondées sur le sexe. Par la suite, deux Directives ont interdit la discrimination fondée sur la race ou l'origine ethnique et instauré un « cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière
d'emploi et de travail » , visant à lutter contre les discriminations fondées sur la religion, les convictions, le handicap, l'âge et l'orientation sexuelle. Ces dispositions ont dû être transposées par tous les Etats membres au plus tard le 31 décembre 2006. En droit français, ces principes ont été transposés par la loi du 16 novembre 2001, qui a
notamment ajouté à l'article L.122-45 l'orientation sexuelle, l'âge, la situation de famille, l'apparence physique, le patronyme. Cet inventaire à la Prévert a également été complété en 2002 du motif des caractéristiques génétiques et comporte désormais pas moins de 17 critères. Une nouvelle loi sur l'égalité salariale a en outre été adoptée le 23 mars 2006, ses modalités d'application venant d'être précisées dans une circulaire du 19 avril 2007 . Rappelons que le non-respect par un employeur du principe de non-discrimination peut entraîner à la fois des sanctions civiles (nullité des mesures discriminatoires, réintégration, dommages-intérêts accordés aux salariés reconnus victimes), mais également des sanctions pénales (jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 45.000 Euros d'amende). De plus, le régime de la preuve de la discrimination a été revu par la loi de 2001 : désormais, le salarié ou candidat qui s'estime victime de discrimination doit apporter au juge « des éléments de fait susceptible de caractériser une atteinte à l'égalité de traitement », à charge pour l'employeur d'établir que la disparité de traitement est fondée sur des « critères objectifs étrangers à toute discrimination », ce qui n'est pas toujours aisé. Enfin, la pratique dite du testing, consacrée par la Cour de cassation, est désormais validée par la loi du 31 mars 2006 comme mode de preuve d'un comportement discriminatoire.
Selon une étude menée par l'entreprise de travail temporaire ADIA en 2006 grâce à une méthode de testing (envoi de CV fictifs), un candidat âgé de 48 à 50 ans reçoit 3 fois mois de réponses positives pour un entretien d'embauche qu'un homme de 28-30 ans. Par ailleurs, un candidat cadre au patronyme maghrébin reçoit 6 fois moins de réponses positives pour un entretien d'embauche. L'écart est encore plus conséquent en matière de recrutement de commerciaux, les candidats au patronyme maghrébin reçoivent 25 fois moins d'invitations à un entretien d'embauche.

Le rapport 2007 de la Commission européenne sur l'égalité hommes-femmes révèle que l'écart moyen de la rémunération brute horaire est de 15 %, tandis qu'une étude récemment publiée par la DARES et portant sur l'année 2002, démontre que seulement 27 % des cadres en France sont des femmes, avec un salaire horaire inférieur de 20 % à celui des hommes cadres. Conscients de l'enjeu de la diversité et de ses retombées positives, tant sur le climat social que sur les résultats de l'entreprise, certains groupes se sont engagés conventionnellement dans la lutte contre les discriminations. Aujourd'hui, près de la moitié des entreprises du CAC 40 a signé la Charte de la Diversité lancée en octobre 2004 par l'Institut Montaigne. Un accord national interprofessionnel relatif à la diversité dans l'entreprise a également été signé le 11 octobre 2006, contenant essentiellement des déclarations de principe et des suggestions (recensement des bonnes pratiques, expérimentation du CV anonyme, lutte contre les stéréotypes...). Particulièrement concernées par les problématiques de discrimination, les entreprises de travail temporaire ont signé le 16 mars 2007 un accord de branche relatif à la diversité et à l'égalité de traitement. Par ailleurs, de plus en plus d'entreprises signent des accords internes relatifs à la diversité. Citons par exemple Areva, qui a conclu avec la Fédération Européenne de la Métallurgie un accord visant à promouvoir en particulier l'égalité hommes-femmes et l'insertion des travailleurs handicapés.

De même, le Groupe Accor, qui emploie près de 25.000 salariés en France, s'est illustré comme l'un des chefs de file de la diversité, par le biais d'un accord visant à lutter contre les stéréotypes (information, sensibilisation du personnel, formation) et à promouvoir la diversité dans le recrutement et le déroulement de carrière (charte du recrutement, diversification des canaux de recrutement, échanges de bonnes pratiques, enquêtes d'opinion, règlements intérieurs, recours internes des salariés). Dassault Aviation s'est engagé en faveur de la mixité de l'emploi , le groupe Casino a signé dès 2005 un accord misant avant tout sur la pédagogie, tandis que Carrefour a signé en 2006 un partenariat avec l'ANPE visant à promouvoir l'embauche de salariés issus de banlieues, ainsi qu'un accord visant à l'insertion des personnes malentendantes. Par ailleurs, Danone, AXA, Michelin, Suez, Total et Vinci ont instauré un organe interne dédié uniquement à la diversité. Enfin, la HALDE a publié récemment un guide des actions contre les discriminations à l'attention des intermédiaires de l'emploi (Services Publics de l'Emploi, Entreprises de Travail Temporaire, cabinets de recrutement) . Toutefois, si les grands groupes semblent avoir résolument pris le chemin de la diversité, la problématique reste entière en ce qui concerne les PME, souvent exclues des statistiques relatives à la diversité et ne disposant pas toujours des outils leur permettant de fournir visibilité et efficacité en matière de lutte contre les discriminations. Par ailleurs, notons que l'interdiction de répertorier les salariés selon l'origine ethnique (la création d'un référentiel « ethnicoracial » ayant fait l'objet de nouvelles réserves par la CNIL le 16 mai dernier ), constitue un obstacle majeur au reporting et au contrôle de la diversité dans toutes les entreprises en
France.
Bien que le contentieux de la discrimination ne soit pas aussi développé en France que dans certains pays, notamment anglo-saxons, une jurisprudence de plus en plus sévère vient compléter l'arsenal juridique et conventionnel de l'interdiction des discriminations. Les motifs discriminatoires allégués devant les conseils de prud'hommes restent très majoritairement l'appartenance ou l'activité syndicale, suivis de très loin par l'état de santé et le sexe . Rappelons, en matière de discrimination syndicale, que la Cour de passation admet désormais comme mode de preuve toutes les sanctions dont le salarié a pu faire l'objet, y compris les sanctions amnistiées . Au vu des statistiques (55% des seniors avaient un emploi en 2005) et du vieillissement de la population française, il ne fait nul doute que la discrimination fondée sur l'âge nourrira un contentieux civil et pénal de plus en plus important. A cet égard, pour la première fois en France, un cabinet de recrutement a été condamné pour discrimination à l'embauche, pour avoir passé en 2004 une petite annonce relative à un « chasseur de têtes, âgé de 28 à 35 ans ». Un candidat âgé de 45 ans, au chômage depuis 6 ans, a alors saisi la HALDE et déposé plainte devant le Tribunal de Grande Instance de Lyon. La juridiction lyonnaise a rendu le 13 février 2007 un jugement exemplaire (500 Euro d'amende avec sursis, assortis d'1Euro symbolique de dommages et intérêts). Si tous les spécialistes du droit du travail et des ressources humaines s'accordent à dire que la discrimination fondée sur l'âge constitue la priorité de ce début de XXIème siècle, on voit cependant émerger devant les tribunaux des pays voisins de nouveaux
motifs de discrimination, tels que l'apparence physique (poids, taille, style vestimentaire...), le mode de vie (consommation de tabac, d'alcool...), le
patrimoine génétique (tests génétiques remis en cause en Allemagne, aux Etats-Unis, en Chine), l'état de santé (notamment stigmatisation des salariés atteints du VIH), le fait d'avoir dénoncé des faits dans le cadre des alertes éthiques (« whistleblowing
retaliation »), l'origine sociale... Aux employeurs français donc, de lutter contre ce que les anglophones appellent le « vampire syndrome » : la tentation d'apporter du « sang neuf » dans l'entreprise, au détriment des travailleurs plus âgés... Les
entreprises de service devront également se garder d'invoquer la « préférence du client » à l'appui de la discrimination envers telle ou telle catégorie de salariés.
Enfin, la lutte contre les discriminations dans l'entreprise passe d'abord par l'engagement des dirigeants et managers, l'information et la formation des salariés, la mobilité et l'évolution du personnel en place et une politique de recrutement axée sur
un changement progressif des habitudes et une éradication des stéréotypes. Et gageons que nombre d'employeurs français pourraient finalement réaliser, à l'instar des entreprises nord-américaines, que « Diversity is good for business ! »

Authors:

François Coutard, Nathalie Devernay, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon