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Forfait-jours : bilan d'une année de jurisprudence

26/07/2012

Le régime du forfait-jours apporte aux cadres comme à l'entreprise une appréciable souplesse, mais le non-respect de ses règles expose l'entreprise à un risque important de condamnation en termes d'heures supplémentaires, voire de travail dissimulé. C'est dire l'importance de la décision du 29 juin 2011 par laquelle la Chambre sociale a sauvé le forfait-jours tout en l'encadrant strictement.

Un an après, quelques arrêts sont venus préciser sa pensée et ses exigences. Ainsi, la Cour de cassation a tiré les conséquences du caractère forfaitaire du temps de travail des cadres autonomes, en excluant toute réduction de leurs jours de repos en cas d'arrêt maladie ou par intégration des congés d'ancienneté(1). Sur le terrain du principe d'égalité, elle a en outre considéré que l'application d'un régime de forfait-jours, de nature à entraîner l'accomplissement d'un temps de travail supérieur à celui d'autres salariés, est une raison objective et pertinente d'allouer aux cadres autonomes des jours de repos supplémentaires(2). Parallèlement, la Haute Juridiction a rappelé que la légitimité du forfait-jours repose sur le contenu des accords collectifs et du contrat de travail (I), tout en soulignant que son efficacité requiert également une mise en oeuvre effective (II).

Une légitimité fondée sur les accords collectifs et sur le contrat de travail

La critique du forfait-jours au regard des normes européennes visait son insuffisant encadrement par la loi. La Cour de cassation a su consolider le dispositif en y intégrant des garanties à apporter par les accords collectifs. Un rôle essentiel incombe donc aux partenaires sociaux et la singularité du régime des cadres en sort renforcée.

L'accord collectif est un instrument de sécurité ...

L'accord collectif qui permet de recourir à des forfaits en jours doit assurer la garantie du respect des durées maximales ainsi que des repos journaliers (13 heures) et hebdomadaires (35 heures) et prévoir des dispositifs de contrôle adéquats, notamment de la charge de travail.

L'objectif pour la Cour semble être d'éviter le non-raisonnable pouvant mener au burn-out, plus que d'imposer une quantification rigide qu'exclut d'ailleurs expressément l'article L. 3121-48 du Code du Travail. Les accords de branche jouent ici un rôle majeur. Et, on le sait, le dispositif prévu par l'Accord sur l'organisation du travail dans la métallurgie a été jugé de nature à garantir les exigences constitutionnelles et européennes du droit à la protection de la santé et au repos, alors même qu'il ne contient aucune disposition quantitative précise sur la durée du travail. Si la Cour incite ainsi à s'inspirer de cet accord, elle a sanctionné un autre accord important, celui de la chimie(3).

Ce n'est pas une surprise car les dispositions en question renvoyant à l'accord individuel avaient déjà donné lieu à un refus d'extension. La carence ou l'irrégularité de l'accord de branche peut cependant être corrigée par l'accord d'entreprise. Ainsi, pour les entreprises de la chimie, le recours au forfait-jours est régulier s'il existe un accord d'entreprise ou d'établissement, dont la teneur répond aux exigences légales et jurisprudentielles.

Employeurs et partenaires sociaux doivent donc vérifier l'état de leurs normes collectives (notamment les accords d'anticipation à la loi Aubry II ou les accords postérieurs à la loi de 2008 qui sont plus exposés sur ce point) au regard de ces exigences et, le cas échéant, envisager leur mise en conformité. L'exercice est cependant, en pratique, parfois délicat en particulier lorsque le régime des forfaits-jours mis en place n'a fait l'objet d'aucun litige dans l'entreprise. Il s'agit en effet de tirer les conséquences d'une jurisprudence fragilisant bon nombre d'accords en cours et le message peut être difficile à faire passer aux salariés concernés sans prendre le risque d'activer, de ce fait, des contentieux « dormants ».

... à articuler avec le contrat de travail

Il est essentiel en effet de relever également l'importance du contrat de travail. Si celui-ci ne peut se substituer à la convention collective, il n'y a pas non plus de forfait-jours sans convention individuelle précise, écrite et signée par le salarié(4). II est clair ainsi que le seul renvoi dans le contrat de travail à l'accord collectif est insuffisant. Les contrats de travail en cours et les modèles standard appliqués dans les entreprises devront donc, le cas échéant, être révisés. Sous le bénéfice de ces observations, il apparaît que la spécificité du régime des cadres, hier menacée, est confirmée dans son principe. Mais encore faut-il mettre en oeuvre les garanties et contrôles nécessaires.

L'efficacité du régime exige une mise en oeuvre effective des règles et des garanties

La déclinaison du forfait-jours dans l'entreprise suppose que les opérationnels veillent à sa bonne application dans l'entreprise. Le forfait-jours ne peut s'appliquer sans discernement. La loi souligne qu'il ne peut s appliquer qu'à des salariés autonomes. Un arrêt rappelle notamment, dans le cadre de l'accord Syntec, que le forfait « réalisation de missions en autonomie complète » est réservé aux cadres classés en position 3 qui doivent avoir au moins six ans d'expérience.

Un salarié ne remplissant pas cette condition est donc nécessairement classé, à tort, comme cadre autonome et ne peut pas, de ce fait, prétendre au salaire minimum de la position 3(5). Un arrêt sur les cadres dirigeants a, en outre, ramené dans le champ du forfait les cadres supérieurs ne participant pas à la direction de l'entreprise, limitant par là même la définition souvent plus extensive retenue dans les entreprises(6). Par ailleurs, l'entreprise doit donner aux collaborateurs concernés et à leurs managers des outils pour assurer concrètement le suivi du nombre de jours effectivement travaillés par le salarié(7) et la mise en oeuvre des garanties de l'accord ainsi que la conservation de la preuve en cas de contestation. Mais il ne servirait à rien de prévoir des dispositifs conventionnels de garantie s'ils sont en pratique inapplicables et ce souci d'efficacité pratique doit donc être pris en compte au stade de la définition des engagements conventionnels. Ces modalités
doivent être adaptées à la situation d'un cadre autonome. Il ne s'agit pas de rétablir la pointeuse ! La pratique envisage plutôt des relevés déclaratifs.

Quand au contrôle par l'encadrement, il doit être effectif pour éviter des dérapages et sa formalisation probatoire peut s'inscrire en particulier dans le cadre des entretiens périodiques prévus par l'article L. 3121-46 (qui peuvent être associés aux classiques entretiens d'évaluation). Cette logique d'une souplesse sur les moyens trouve cependant sa limite dans l'obligation de sécurité de résultat qui pèse sur tout employeur. Il ne faut ainsi pas se reposer sur les dispositions conventionnelles er contractuelles, ni attendre l'entretien annuel pour venir au secours d'un collaborateur en difficulté.

Le conseil de prud'hommes de Versailles en formation de départage, vient ainsi de décider, le 15 mai 2012, qu'un employeur qui s'abstient de mesurer la charge de travail d'un salarié en décompte horaire, manque à son obligation de s'assurer que la vie personnelle et familiale de ses salariés, garantie par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l'homme, est préservée et doit donc être condamné à des dommages et intérêts. Mais cela dépasse alors la seule question du temps de travail.

1. Cass. Soc. 3 novembre 2011 (n°10-18762)
2. Cass. Soc. 28 mars 2012 (n°11-12043)
3. Cass. Soc. 31 janvier 2012 (n°10-19807)
4. Cass. Soc. 25 novembre 2011 et 30 janvier 2012
5. Cass. Soc. 3 novembre 2011 (n°10-14637)
6. Cass. Soc. 31 janvier 2012 (n°10-24412)
7. Cass. Soc. 6 juillet 2011 (n°10-15050).

Chronique parue dans la revue Décideurs de juillet 2012

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Marie-Pierre Schramm