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ISF et biens professionnels : entre le marteau et l’enclume (2ème partie)

14/11/2011

Le régime des biens professionnels canalise une large partie des difficultés d’application de l’ISF. Le législateur s’efforce de les atténuer, tandis que la jurisprudence refuse toute concession.

2. Une appréciation jurisprudentielle rigoureuse

Encadré par une loi trop souvent imprécise et assortie d’incohérences (1ère partie, dernière édition d’Option Finance), le régime des biens professionnels a fait l’objet d’une abondante jurisprudence. Plusieurs arrêts récents illustrent que les conditions requises pour l’exonération sont appréciées avec rigueur (2ème partie).

2.1. Notion de holding animatrice

Plusieurs décisions rendues en matière d’ISF avaient déjà souligné que les liens capitalistiques et la communauté de dirigeants entre une société holding et sa filiale ne suffisent pas à caractériser l’animation de l’une par l’autre. Par un arrêt du 21 juin 2011(1), la Cour de cassation, qui avait à préciser les contours de la notion de « holding animatrice » pour l’application du régime d’exonération partielle des droits de mutation visé à l’article 787 B du CGI, réaffirme cette règle avec netteté dans une affaire où pourtant une convention d’animation avait été conclue entre la holding (belge) et sa filiale française.

  • La Cour tient cette convention pour inopérante car elle n’était pas étayée par le moindre indice matériel de prestations de management en matière de stratégie, d’animation et de contrôle des sociétés du groupe ;
  • ensuite et surtout, la Cour énonce que « le fait que le dirigeant d’une société holding a également une fonction de direction dans l’une de ses filiales ne suffit pas à établir que cette société anime effectivement son groupe et participe activement à la conduite de sa politique et au contrôle des filiales ».

Cet arrêt livre un enseignement clair : le seul cumul de fonctions de direction dans deux - ou plusieurs - sociétés d’un même groupe ne suffit pas à établir l’animation de l’une par l’autre. Il est donc nécessaire plus que jamais de veiller, dans la structuration des groupes (notamment des groupes familiaux au sein desquels un même dirigeant exerce souvent le rôle « d’homme orchestre »), à la rédaction et à l’exécution des conventions d’animation dont la réalité ne puisse être mise en doute.

La rigueur d’analyse à laquelle invite la Haute Cour, dans la continuité d’une abondante jurisprudence(2), mérite d’autant plus d’être prise en considération que des velléités nouvelles de contestation voient le jour, dont le juge de l’impôt pourrait avoir à connaître.

Ainsi, selon certains vérificateurs, la totalité des participations devrait être animée pour caractériser l’animation ; cette analyse, dont la légalité nous paraît hautement contestable, écarterait ipso facto la qualification de biens professionnels pour les titres d’une société holding détenant, entre diverses participations majoritaires effectivement animées, une filiale minoritaire (non « contrôlée »).

On peut se demander enfin si la légalisation récente de la notion de holding animatrice (pour l’application du régime de réduction d’impôt liée à la souscription au capital de PME, sous l’article 199 terdecies-0 A, VI quater du CGI), qui repose sur une syntaxe différente, ne préfigure pas une évolution plus générale, dans un sens restrictif.

Plus généralement, l’animation (quand elle est effective) étant une activité commerciale constituant la porte d’entrée dans nombre de régimes de faveur (en matière de plus-value sur cession de titres, d’exonération partielle de droits de mutation ou d’ISF au titre des pactes Dutreil…), ses contours méritent plus que jamais d’être stabilisés.

2.2. « Cash box » et outil de travail

L’arrêt Hoquet du 14 décembre 2010 (n° 10.10.139) illustre que les contribuables contrôlant une société dont la trésorerie est dopée par une rentabilité élevée encourent le risque de remise en cause de l’exonération de leur outil de travail si la société, à défaut de procéder rapidement à de nouveaux investissements, ne distribue pas une partie importante de ses bénéfices.

La jurisprudence de la Haute Cour s’avérait jusqu’alors globalement favorable en la matière :

  • ainsi la qualification de biens professionnels avait été retenue, en l’absence de preuve contraire apportée par le service des impôts, pour les liquidités et titres de placement provenant de la vente d’actifs immobilisés réalisée dix ans auparavant (Cass. Com. 18 mai 1993, n° 91-15.463, Lagasse) ;
  • par un arrêt Soalhat du 18 mai 2005, la Cour avait cassé la décision écartant la qualification de biens professionnels pour des liquidités non remployées dans les quatre années suivant la cession du fonds de commerce.

Ce courant jurisprudentiel semblait au demeurant en phase avec la position récemment exprimée publiquement par l’administration centrale (Conférence annuelle « panorama des redressements fiscaux »),

  • confirmant que les liquidités et titres de placement sont présumés professionnels, les sociétés ayant besoin de trésorerie à la fois pour leur activité quotidienne, leurs projets d’investissements, et pour faire face à des difficultés conjoncturelles,
  • et précisant que ce n’est que dans des cas exceptionnels, voire abusifs, que l’administration cherche à écarter une partie de la trésorerie ou des titres de placement en démontrant, par la mise en œuvre d’un faisceau d’indices, qu’ils ne sont pas nécessaires à l’activité,
  • soulignant enfin, dans le cas particulier d’une holding détenant une trésorerie importante suite à la cession de tout ou partie de ses participations, que les services de contrôle s’interrogeront sur l’utilité de cette trésorerie pour son activité et ses projets d’investissements. La possession de liquidités sur période longue (dix ans voire cinq ans) sans que la holding puisse faire état de démarches ou de projets de réinvestissements pourrait permettre à l’administration de qualifier la société de holding de gestion d’un patrimoine privé et, partant, de contester la qualification de biens professionnels à hauteur de la trésorerie « non professionnelle ».

La Cour ayant dans l’arrêt Hoquet fixé son appréciation sur une période courte (3 ans), on peut se demander si cette décision ne traduit pas une évolution de l’analyse suivie jusqu’alors au regard du critère de durée, et notamment du délai de réinvestissement. Dans un contexte économique particulièrement instable, l’absence de précipitation à réaliser des investissements est souvent appréciée comme un facteur de saine gestion…de sorte qu’une fois encore il apparaît bien malaisé au contribuable de se forger des convictions quant à la portée du régime d’exonération des biens professionnels.

La cassation totale dans une affaire plus récente (Cass. Com. 27 avril 2011, n° 10-16.539, Barberot) devrait permettre, devant le juge de renvoi, d’aborder le problème de la situation d’attente d’un investissement favorable ou d’une réserve d’intervention de la holding en faveur des filiales.

Autant de questions qui, pour la sécurité du contribuable, appellent des solutions claires, et autant que possible cohérentes au regard de la problématique du « réinvestissement dans une activité économique » qui fait débat devant le Conseil d’Etat, sur le terrain des opérations dites « d’apport-cession ».

2.3. Etendue du droit de reprise de l’administration

Un arrêt du 20 septembre 2011 (Cass. Com. n° 10-24523) mérite enfin d’être signalé. Il se prononce sur le délai dans lequel l’administration peut remettre en cause l’exonération au titre des biens professionnels.

Une contribuable avait fait figurer dans ses déclarations d’ISF, au titre des biens professionnels exonérés, des actions qu’elle détenait dans le capital d’une société, en précisant les fonctions de direction qu’elle y exerçait, le pourcentage du capital qu’elle détenait, de même que la valeur des actions (précision qui n’est pas même requise des déclarants).

La question était de savoir si le délai de reprise était le délai triennal ou le délai décennal (ramené depuis à 6 ans), ce dernier s’appliquant lorsque, l’exigibilité des droits n’ayant pas été suffisamment révélée à l’administration par la déclaration d’ISF, le service est conduit à procéder à des recherches ultérieures (examen des déclarations de revenus par exemple, à l’effet d’apprécier la normalité et l’importance relative de la rémunération perçue en tant que dirigeante).

Alors que la contribuable avait satisfait, et même au-delà, à ses obligations déclaratives, la Cour de cassation estime, contrairement aux juges du fond, que l’administration pouvait invoquer le bénéfice du délai allongé, au motif qu’elle avait été conduite à procéder à des recherches ultérieures pour justifier l’exigibilité des droits omis. On ne peut qu’être frappé par la rigueur de cette décision.

1. Cass. Com 21 juin 2011, n° 10-19.770, Bernard - 23 novembre 2010, n° 09-70.465

2. Cristallisée récemment encore dans les arrêts Gratzmuller du 23 novembre 2010 et Verheyde du 29 mars 2011

Olivier de Saint Chaffray, avocat associé,

Article paru dans la revue Option Finance du 14 novembre 2011

Auteurs

Portrait deOlivier de Saint Chaffray
Olivier de Saint Chaffray
Associé
Paris