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L'égalité des rémunérations

12/06/2006

La première question qu'on peut se poser est celle des limites «géométriques» de la comparaison qu'il est demandé au juge d'effectuer afin d'en déduire une inégalité salariale. Autrement dit, les éléments de la comparaison sont-ils à trouver au niveau de la seule entreprise ou au contraire du groupe auquel elle appartient éventuellement, spécialement si celui-ci est très intégré au point de former une unité économique et sociale et quel est dans tout cela le rôle correcteur de l'établissement distinct, périmètre par hypothèse plus réduit, mais socialement très homogène ?

Le 1er juin 2005, la Cour de cassation a apporté une première réponse en décidant qu'au sein d'une unité économique et sociale qui est composée de personnes juridiques distinctes, pour la détermination des droits à rémunération d'un salarié, il ne peut y avoir comparaison entre les conditions de rémunération de ce salarié et celles d'autres salariés compris dans l'U.E.S. que si ces conditions sont fixées par la loi, une convention ou un accord collectif commun, ainsi que dans le cas où le travail de ces salariés est accompli dans un même établissement 3.

Or, en l'espèce, les salariés qui revendiquaient l'avantage en question n'étaient pas rattachés formellement à la même société membre de l'U.E.S. que celle dans laquelle ledit avantage avait été octroyé d'où le refus, approuvé par la Cour de cassation, de faire droit à leurs demandes. La circonstance que les salariés de cette U.E.S. étaient dans leur ensemble gérés par le même décideur et travaillaient en fait pour servir un intérêt commun n'a pas paru suffisant pour suivre la Cour d'appel, dont l'arrêt est cassé, dans l'application qu'elle avait faite de la théorie des co-employeurs qui donnaient efficacité au principe «à travail égal, salaire égal». Ainsi donc le périmètre de la comparaison ne peut s'élargir au groupe de sociétés fût-ce quand celui-ci forme une U.E.S. judiciairement ou conventionnellement reconnue parce que le critère décisif est celui de l'appartenance à la même société employeur, laquelle est par suite autorisée, en dépit des liens parfois intenses qui l'unissent aux autres membres du groupe, à pratiquer sa propre politique salariale sans avoir à craindre une comparaison à partir des conditions dans lesquelles sont rémunérés les salariés rattachés aux autres sociétés.

On retrouve la même idée dans un autre arrêt de la même juridiction en date du 6 juillet 2005, ayant également repoussé le jeu du principe invoqué par des salariés mis à disposition, qui revendiquaient le bénéfice d'un jour de congé supplémentaire. Les demandeurs, nous dit la Cour, n'appartenaient pas aux entreprises au sein desquelles ce droit était reconnu en vertu d'un usage, d'un engagement unilatéral de l'employeur ou d'un statut de droit public. Là encore la comparaison n'était pas autorisée parce que les salariés ne se trouvaient pas à l'intérieur du même périmètre défini, on le voit, par le rattachement contractuel à un employeur différent qui les avaient recrutés avant de les mettre à disposition d'une autre entreprise. La circonstance qu'ils exécutaient concrètement leur travail au sein de cette deuxième entreprise, dans des conditions de grande proximité avec le propre personnel de celle-ci n'a pas paru suffisant pour autoriser la comparaison. On débouche ainsi avec ces deux décisions sur une définition relativement stricte du périmètre à l'intérieur duquel le principe a vocation à s'appliquer. Ce qui trouble lorsqu'on rapproche les deux affaires c'est que le 1er juin 2005 la Chambre sociale a semblé admettre une exception qui viendrait de ce qu'au sein de l'U.E.S. les salariés qui entendent se comparer, bien qu'ayant des employeurs différents, travaillent dans le même établissement, c'est-à-dire dans une unité de travail commune à plusieurs sociétés, la communauté de travail ainsi formée neutralisant la pluralité de rattachement contractuel.

Mais si la l'appartenance au même établissement produit un tel effet dérogatoire, n'est-il pas alors étonnant que des salariés mis à disposition par une autre entreprise ne puissent valablement se comparer avec ceux de l'entreprise d'accueil, dès lors, que selon toute vraisemblance, ils accomplissent leur travail au sein de la même unité technique, comme dans l'espèce jugée le 6 juillet 2005 ? Il y a là une amorce de contradiction sur laquelle nos hauts magistrats devront assez vite réfléchir pour conserver à leur jurisprudence l'effet rassurant qu'elle a commencé à produire et qui se trouve également illustré par une décision du 18 janvier 2006 aux termes de laquelle un accord d'entreprise peut prévoir qu'au sein de certains établissements, compte tenu de leurs caractéristiques, des modalités de rémunération spécifiques pourront être déterminées par voie d'accord conclu à ce niveau 4. La solution, qui est dans le prolongement d'un arrêt EDF du 27 octobre 1999 5, constitue par conséquent un nouveau cantonnement du principe à travail égal, salaire égal puisque non seulement la politique des rémunérations peut se diversifier selon chaque établissement si la négociation collective le permet, mais il n'est pas possible non plus d'invoquer un autre accord d'établissement que celui qui régit l'unité de travail dans laquelle figure le poste occupé au prétexte que ce statut conventionnel co-latéral prévoirait des mécanismes de rémunération plus avantageux. Aucun concours entre accords d'établissement n'est possible et donc aucune inégalité ne peut être mise au jour qu'il s'agisse comme en l'espèce d'un élément de salaire ou de tout autre objet négocié, comme les jours de congés.

On pourrait simplement émettre une réserve quant à l'opportunité de reprendre telle qu'elle la proposition de l'arrêt EDF selon laquelle «une différence de traitement entre les salariés d'une même entreprise ne constitue pas en elle-même une discrimination illicite au sens de l'article L. 122-45 du Code du travail» pour la raison qu'il s'agissait uniquement en l'espèce de l'application du principe «à travail égal salaire égal». L'accord collectif de groupe avait posé en effet que dans les magasins qui viendraient à s'ouvrir après la date de sa conclusion, les dispositions du statut collectif concernant la rémunération ne seraient pas applicables, une négociation annuelle devant avoir bien sur ce point, ce qui ne permettait pas de rattacher le débat judiciaire à l'un quelconque des motifs visés par l'article L.122-45 précité. La Cour de cassation aurait été mieux inspirée à notre avis d'évoquer l'absence d'atteinte au principe à travail égal, salaire égal puisqu'alors elle aurait éliminé la seule objection juridique réellement en rapport avec l'exercice de la liberté de négocier d'une façon différenciée dans le cadre de chaque établissement.
La seconde grande question que pose l'application du principe «à travail égal, salaire égal» est celle du repérage de l'identité de situation, par hypothèse située à l'intérieur du périmètre pertinent, entre le salarié qui invoque la disparité de traitement et un ou plusieurs autres membres du personnel de l'entreprise choisis comme référents.

On bénéficie depuis le 1er décembre 2005 d'une réponse intéressante de la Chambre sociale de la Cour de cassation dans l'hypothèse où des accords 35 heures ont prévu une indemnité différentielle de salaire compensant la réduction du salaire de base. Des salariés embauchés à une date postérieure à la signature de l'accord prétendaient bénéficier de cette indemnité différentielle, de la même façon que les salariés présents dans l'entreprise lors de la conclusion dudit accord. La Cour de cassation répondra qu'un salarié engagé postérieurement à la mise en oeuvre d'un accord collectif de réduction du temps de travail ne se trouve pas dans une situation identique à celle des salariés présents dans l'entreprise à la date de la conclusion de l'accord.

Il a été dit que le coup porté par cet arrêt au principe d'égalité était rude et que l'entreprise pouvait désormais offrir une rémunération inférieure aux nouveaux salariés ainsi qu'aux intérimaires par rapport à ceux qui sont chez elle au moment de la négociation sur les avantages en débat.

La solution paraît en effet moins protectrice que dans d'autres décisions où il était également question d'apprécier l'incidence d'une évolution du statut conventionnel des salariés de l'entreprise par rapport aux dates d'embauche. On pense tout particulièrement à l'affaire RITZ jugée le 25 mai 2005 où, suite à la dénonciation de normes conventionnelles et à l'échec des négociations de substitution, la direction de l'hôtel du même nom avait élaboré une nouvelle grille de salaire tenant compte des anciens avantages, qu'elle avait réservés aux salariés présents dans l'entreprise au jour de son adoption.

Néanmoins, une salariée embauchée postérieurement au nouveau barème, a réclamé le bénéfice de celui-ci et obtenu gain de cause au terme d'un procès qui la mena jusqu'en cassation. A cette occasion la Cour a énoncé que la différence induite par l'accord n'était pas justifiée par un élément objectif pertinent, refusant ainsi d'admettre que la situation des nouveaux embauchés était différente de celle des anciens 6.

Dans l'affaire jugée le 1er décembre 2005 au contraire cet élément objectif pertinent est trouvé non pas dans la date d'embauche elle-même, ce qui aurait constitué une brèche béante dans le principe, mais dans l'autorité d'un accord collectif 35 heures qui met lui-même en oeuvre un effet impératif de la loi. C'est parce que l'indemnité différentielle d'origine conventionnelle compense une diminution du salaire de base consécutive à la réduction du temps de travail imposée par la loi, qu'elle peut être réservée aux salariés qui ont subi une telle baisse.

Il faut sans doute se garder d'extrapoler la solution dont ce dernier arrêt est porteur. On ne peut certainement pas créer, même par la voie conventionnelle, des « situations différentes » à propos de n'importe quel avantage salarial en distinguant selon la date d'embauche des salariés qui prétendent en bénéficier.

Quoi qu'il en soit, ceci n'est que l'une des manières d'aborder la question posée puisque dans ces différentes affaires 7 le différentiel, éventuellement jugé conforme à la loi, vient de la norme applicable à la collectivité des salariés ou à une partie d'entre eux et non pas du constat que le travail fourni par le demandeur serait ou non égal ou de valeur égale à celui du ou des salariés pris comme termes de la comparaison.

En vérité, les juridictions nationales, mais aussi la CJCE ont déjà beaucoup oeuvré pour préciser le sens de ces notions, le législateur n'ayant quant à lui, livré qu'une directive d'interprétation à l'article L. 140-2 du Code du travail selon lequel le travail de valeur égale s'entend de travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacité découlant de l'expérience acquise, de responsabilité ou de charge physique ou nerveuse.

De son côté, le juge communautaire, statuant en matière de discrimination sexiste mais s'attachant à éclaircir la même notion telle qu'elle figure à l'article 119 du traité CE dans sa version initiale, a dit pour droit dans l'arrêt Brunnkofer du 26 juin 2001 que le fait que le travailleur féminin qui prétend être victime d'une discrimination fondée sur le sexe et le travailleur masculinféminin de référence sont classés dans la même catégorie applicable à leur emploi, n'est pas, à lui seul, suffisant pour conclure que les deux travailleurs concernés accomplissent un même travail ou un travail auquel est attribuée une valeur égale, cette circonstance constituant seulement un indice parmi d'autres que ce critère est rempli. Concrètement, cela paraît signifier que des métiers totalement différents mais relevant du même coefficient conventionnel n'ont pas à être nécessairement rémunérés de la même façon.

On en conclura que le coefficient doit être corroboré non seulement par la qualification détenue mais aussi «par des facteurs précis et concrets déduits des activités effectivement exercées par les travailleurs concernés», précision qui donne à voir le type de démarche préconisée par la Cour de justice essentiellement souple et pragmatique, s'attachant prioritairement aux activités, aux tâches réellement accomplies par les salariés concernés au-delà de la configuration abstraite des postes occupés par eux.

Pourtant le juge français n'a pas toujours semblé sensible à cette méthode qu'il s'agisse des juges du fond 8 ou de la Cour de cassation elle-même 9. Toutefois, l'impression change à la lecture des arrêts les plus récents. Ainsi, dans cette affaire jugée par la Cour de Paris le 4 décembre 2005 10 où il s'agissait d'une salariée engagée en qualité d'ouvrière sur machine de reprise, qui invoquait une discrimination salariale par rapport à un salarié de sexe masculin engagé dans la même entreprise, au même poste, selon les mêmes qualification et coefficient que la salariée et bénéficiant en outre d'une ancienneté moindre pour un salaire de base nettement supérieur à elle. Néanmoins, la Cour a donné raison à l'employeur qui avait démontré que l'ouvrier de référence accomplissait des tâches spécifiques impliquant responsabilité et autonomie, ce qui empêchait toute comparaison 11.

Enfin, par un arrêt du 8 novembre 2005, la Cour de cassation met elle-même l'accent sur la nature et la qualité des tâches accomplies par le salarié, approuvant ainsi la Cour d'appel d'avoir écarté les arguments des demandeurs tirés d'une identité de fonctions de concierge, une classification aux mêmes niveaux et échelons que trois autres salariés mieux payés qu'elles, pour privilégier les éléments objectifs fournis par l'employeur d'où il découlait que la disparité salariale reconnue était justifiée par la différence de qualité de travail invoquée 12.

Même si le vocabulaire est parfois trompeur («disparité salariale justifiée»), il est clair que ces décisions portent sur la pertinence de la comparaison amorcée par le salarié demandeur et non sur la question subséquente de la justification par l'employeur, défendeur au procès, de ce pourquoi, malgré une identité de situation, la différence de rémunération mérite d'être maintenue. Procéduralement, la distinction des deux temps du débat paraît importante, car c'est au salarié et théoriquement à lui seul d'apporter au juge des éléments de nature à caractériser cette identité de situation sans laquelle il n'y a pas lieu d'initier un débat sur l'éventuelle violation de principe «à travail égal, salaire égal».

Dans la réalité contentieuse, comme on a pu l'observer, l'employeur dès ce stade ne restera pas inactif mais son rôle est plutôt de fournir à la Cour des éléments bloquant la comparaison, différence essentielle avec le procès sur la discrimination ou, y compris lorsqu'il s'agit de salaire, la disparité de traitement va immédiatement inverser la charge de la preuve une fois constatée que le salarié le moins bien payé appartenait à l'une des catégories protégées par l'article L. 122-45 du Code du travail. Ainsi qu'il vient d'être dit, dans le procès sur l'égalité salariale, les rôles s'inversent une fois qu'il est admis que le salarié concerné et le salarié de référence effectuent bien un même travail ou un travail de valeur égale.

On retrouve à ce stade le même système probatoire que par la discrimination sauf qu'au lieu d'être fondé sur les articles L. 122-45 et L. 123-1 du Code du travail tels que modifiés par la loi de transposition les directives communautaires du 16 novembre 2001, il résulte directement de la jurisprudence qui a trouvé dans l'article 1315 du Code civil, la base légale nécessaire à son affirmation.

Dès lors en effet que l'employeur tente d'expliquer que l'inégalité des rémunérations qu'on lui oppose est justifiée, il est alors à son tour l'auteur d'une prétention et assumera la charge de la preuve correspondante. Au sens de l'article précité le demandeur n'est pas seulement le demandeur initial, celui qui a intenté le procès, il est aussi celui qui formule une prétention au cours de ce procès, ce par quoi on voit que les règles les plus classiques du droit civil peuvent être mise au services des problématiques probatoires qu'on pensait sorties d'une troisième dimension 13.

Mais s'il incombe à l'employeur de justifier la disparité salariale, encore convient-il qu'il le fasse au moyen « d'éléments objectifs pertinents ». Cette locution, que l'on retrouve de façon systématique dans les arrêts de la Cour de cassation, semble renvoyer inévitablement à l'appréciation du juge saisi car, qui d'autre que lui est en mesure de dire que la justification est pertinente ?. Surgit alors le spectre d'une détermination subjective de cette pertinence faisant varier les solutions en fonction de la localisation du contentieux et risquant par contre coup de fausser les règles de la concurrence à l'intérieur d'une même branche professionnelle.

C'est la raison pour laquelle les prises de position de la Cour de cassation sont ici attendues avec une particulière anxiété car elle seule, en tant que Cour régulatrice, est à même d'encadrer cette appréciation en posant des critères objectifs ou, à tout le moins, en donnant des directives aux juges de fond. A cet égard, il est encore utile de revenir à la jurisprudence de la CJCE pour constater qu'elle admet comme justification d'une différence de rémunération entre deux fonctions de valeur égale, des motifs extérieurs à la personne du salarié, élément de nature à avoir la plus grande portée puisqu'ils ont souvent une dimension collective.

Ainsi, dans l'arrêt Enderby du 27 octobre 1993 14 si important pour l'élaboration du système probatoire original, dont on connaît quel fut le succès ultérieur, le juge communautaire a-t-il admis les raisons économiques invoquées par l'employeur et notamment celles relatives au marché du travail dans le secteur considéré, comme la pénurie de candidat à une fonction et la nécessité de les attirer par des salaires plus élevés.

La solution avait une forte virtualité que l'on retrouve dans une affaire assez largement médiatisée, celle de la directrice de crèche où l'environnement économique de la décision patronale prétendument inégalitaire fournit la justification pertinente de cette décision. Le 21 juin 2005 la Chambre sociale a en effet reconnu comme raison objective justifiant une disparité de traitement, la nécessité pour une entreprise de recruter d'urgence, en remplacement de la directrice en congé maladie, une directrice qualifiée au tarif imposé par celle-ci, rejetant ainsi le pourvoi de la salariée remplacée qui revendiquait l'alignement de son salaire sur celui de sa remplaçante 15.

Cet arrêt, dans lequel on sent le juge attentif à la réalité du fonctionnement des entreprises et aux contraintes du marché de l'emploi, est à rapprocher d'un autre du 9 novembre 2005 admettant que la volonté de contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international pouvait constituer une raison objective à l'octroi d'une prime d'expatriation versée à des salariés étrangers recrutés alors qu'ils étaient déjà installés en France 16 .

Mais à côté de ce type de justification dont il est trop tôt pour dire quelle place exacte il va prendre dans le contentieux de l'égalité de rémunération, il en est d'autres qui tiennent à la situation du salarié, aux caractéristiques de la relation individuelle de travail et à son histoire.

Ainsi, une différence de rémunération peut résulter d'une évolution de carrière ralentie par les faibles performances du salarié, son refus de suivre les formations, la commission d'erreurs professionnelles, tous éléments dont il conviendra bien entendu que l'employeur rapporte la preuve, ce qui pose la question délicate de la consignation dans le dossier de l'intéressé après avoir évité de tomber dans différents travers dont la référence à l'absence de disponibilité liée à l'exercice de fonctions représentatives ou encore l'invocation de sanctions disciplinaires amnistiées constituent les illustrations les plus évidentes.

On note en jurisprudence un certain assouplissement dans l'admission du caractère pertinent de la justification telle que celle tirée du diplôme détenu par le salarié. Le 9 décembre 2003, la Cour de cassation avait censuré les juges du fond pour avoir débouté les salariés demandeurs au motif qu'elles n'étaient pas titulaires des diplômes détenus par la personne dont la rémunération servait de base à la comparaison et à propos de laquelle il était par ailleurs relevé qu'elle avait une expérience professionnelle plus complète que la leur 17.

Mais le 19 octobre 2005 elle a paru revenir sur cette solution en admettant au contraire que le diplôme joue un rôle justificatif conforté par une différence d'ancienneté dans l'entreprise correspondant à six mois de plus s'agissant du salarié de référence 18. L'ancienneté est par ailleurs à distinguer de l'expérience, en sorte que le versement d'une prime d'ancienneté au sein de son entreprise n'interdit pas à l'employeur de se prévaloir de l'expérience acquise par certains salariés pour que, jointe à d'autres éléments, elle justifie la différence de traitement 19.

Au-delà de ces zones défrichées par les tribunaux, et dont émerge progressivement une certaine sécurité juridique, bien des questions continuent de se poser tant sur la nature des justifications avancées par l'employeur que sur leur caractère objectif. Sur le premier point on se demandera si la différence de traitement liée par exemple à une surcharge temporaire de travail peut entraîner une différence de rémunération au-delà de cette période. La réponse affirmative est douteuse tout comme il serait douteux d'admettre que le salaire d'embauche induise une différence durable entre les rémunérations pour un « travail égal, salaire égal » et sans autre justification que la négociation initiale. Mais ne doit-on pas admettre en revanche qu'aucune comparaison n'est possible avec un salarié reclassé après un accident de travail dans un poste inférieur avec maintien de sa rémunération, ce qui est susceptible de déclencher la convoitise de ses nouveaux « égaux » ? Plus généralement, c'est la question de la résorption de la différence de rémunération en cas d'augmentation individuelle qui est posée avec mise en place d'un système de rattrapage progressif.

Quant à l'objectivité inhérente aux justifications proposées, on voit bien que certaines dépendent fortement d'un jugement interne à l'entreprise spécialement quant à la qualité du travail fourni par le salarié revendiquant. Une attestation d'un supérieur hiérarchique établie dans le cadre de l'instance est-elle un élément objectif ? On peut l'admettre si l'attestation est corroborée par d'autres pièces, mais il est plus prudent d'établir dès l'origine du litige des documents de comparaison tels que notations avec critiques dans le cadre d'entretiens individuels.

Au-delà de ces incertitudes, que la jurisprudence finira bien par réduire, une chose est certaine : dans le cadre du principe à travail égal, salaire égal, l'employeur n'a pas à justifier d'une différence de traitement avec un salarié virtuel censé se trouver dans une situation comparable. Si en matière de discrimination le droit communautaire paraît imposer une telle comparaison, puisqu'aux termes notamment de la directive 2002/73 du 23 septembre 2002 relative à la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes, la discrimination directe se définit comme la situation dans laquelle une personne est traitée de manière moins favorable en raison de son sexe qu'une autre personne ne l'est, ne l'a été ou ne le serait dans une situation comparable, on ne retrouve pas ce mode de raisonnement à propos du principe précité où la comparaison se conjugue au présent.
Se différenciant là encore de l'interdiction des discriminations, le principe « à travail égal, salaire égal » n'appelle que des sanctions civiles en cas de violation 21 et encore ces sanctions civiles sont elles en partie différentes de celles applicables à la première, lorsqu'on se place sur le terrain de la rémunération. En effet la réaction judiciaire est a priori plus brutale lorsque par exemple est reconnue une discrimination syndicale comme l'illustre cette affaire jugée du 23 novembre 2005, ou un salarié, engagé en 1986 et titulaire de divers mandats représentatifs, réclamait sous astreinte un rattrapage de statut et de salaire à compter du mois de septembre 1996. La cour d'appel l'avait débouté de ses prétentions au motif que si le juge doit apprécier l'existence d'une situation discriminatoire à travers l'évolution de carrière du salarié, il ne peut sanctionner les manquements de l'employeur que par l'allocation de dommages-intérêts réparant le préjudice matériel et moral subi par l'intéressé, ne pouvant se substituer à l'employeur dans l'exercice de ses prérogatives.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation qui considère au contraire que la réparation intégrale d'un dommage oblige à placer celui qui l'a subi dans la situation où il serait trouvé si le comportement dommageable n'avait pas eu lieu et que les dispositions du Code du travail applicables à l'espèce (L. 412-2) ne sont pas obstacle à ce que le juge ordonne le reclassement d'un salarié victime d'une discrimination prohibée à son juste poste et au juste salaire.

Rien de tel en matière d'inégalité salariale pure où le juge peut également ordonner le paiement de la fraction de rémunération à laquelle avait droit le salarié ce qui explique que dans ce dernier cas le litige reste soumis à la prescription quinquennale 22 alors qu'est soumise à la prescription trentenaire l'action en réparation du préjudice résultant notamment d'une discrimination syndicale 23.

Mais si la nature de la créance due par l'employeur aboutit à limiter l'exercice de l'action en restitution on ne doit pas omettre de préciser que contrairement à la discrimination qui conduit à comparer le salarié victime à un niveau moyen issu d'un panel, le principe « à travail égal, salaire égal » conduira à l'alignement de sa rémunération sur le salaire le plus élevé au sein de la catégorie de référence, ce qui peut avoir de fortes répercussions financières dans l'hypothèse non théorique d'une pluralité de demandeurs. Au-delà de ce possible effet de masse, l'application du principe interroge sur ce que d'aucuns appelleraient l'immixtion du juge dans cette dimension si importante du pouvoir de direction de l'employeur qui porte sur la fixation et l'évolution du salaire contractuel. Si l'on peut au moins parler de substitution, encore une fois plus limitée que celle qu'autorise le constat d'une discrimination, qui ne voit que la mesure de cette intrusion judiciaire dans les politiques de rémunération sera fonction de la capacité des entreprises à mettre en place des systèmes d'évaluation objectifs et transparents ?
1 Pour ce faire la Cour s'appuiera sur les articles L. 133-5 et L. 136-2 du Code du travail selon lesquels les conventions collectives de branche doivent, pour pouvoir être étendues, prévoir «les modalités d'application du principe à travail égal, salaire égal»
2 Même si des recoupements sont évidents, le principe «à travail égal, salaire égal» peut en effet être invoqué sur la seule base d'une différence de salaire dont le demandeur estime qu'elle n'est pas justifiée alors que la discrimination y compris à propos de la rémunération implique l'invocation de l'un des motifs limitativement cités par la loi comme étant illicites (cf. l'énumération de l'article L. 122-45 C.trav.). Cette autonomie, qui va avoir maintes traductions techniques notamment en matière de prescription de l'action est directement reconnue par la Cour de cassation dans un arrêt du 5 juillet 2005 (n° 03 44 281) qui rejette la critique contre un arrêt d'appel parce que le demandeur au pourvoi n'avait jamais invoqué l'article L. 122-45 C.trav. et avait appuyé sa demande essentiellement sur la violation du principe « à travail égal, salaire égal ».
3 Cass. soc. 1er juin 2005 Ste Plastic services n° 04 42 143
4 Cass. soc. 18 janvier 2006 Sogara France n° 03 45 422
5 Cass. soc. 27 Octobre 1999 EDF n° 98 40 769
6 Cass. soc. 25 mai 2005 n° 04 40 169
7 Desquelles on peut également rapprocher celle jugée par la Chambre sociale le 11 octobre 2005 où il est décidé que les salariés de droit privé dont la rémunération résulte de négociations salariales annuelles dans le cadre d'une convention collective, ne se trouvent pas dans une situation identique à celle des fonctionnaires avec lesquels ils revendiquaient une égalité de traitement, ce qu'excluait là-encore, en fonction de la norme applicable, l'application du principe à travail égal, salaire égal.
8 CA Paris 1er avril Nev. Global Vendiorg Adam Dr ouvrier 2004 p 364, décidant qu'il y a bien travail d'égale valeur à propos de métiers aussi différents que ceux de commerciaux et de responsables administratifs de ventes
9 Cass. soc. 15 décembre 1998 n° 95-43 630 ; 4 juillet 2000 n° 98 43 285 et 23 octobre 2001 n° 99 43 153 retenant l'identité de situation à partir du coefficient, de la qualification et de l'ancienneté.
10 n° 03/35237 M. Fecidesso c/ Soc. Décolletage
11 Cette solution est à rapprocher de celle retenue par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 23 mars 1999 (P. n° 96 43 767) ou il est décidé qu'il y a pas de travail égal entre deux responsables d'agence lorsque l'un gère à lui seul quatre sites, ce qui représente des responsabilités et charges plus lourdes que celles d'un salarié n'en gérant qu'un seul.
12 Cass. soc. 8 novembre 2005 De Souza c/ Ste St Jacques Hôtel n° 03 46 080
13 Deux arrêts de la Chambre sociale méritent à cet égard d'être regardés comme fondateurs, celui du 28 septembre 2004 (Sté STAVS n° 34 1825) et celui du 25 mai 2005 Hôtel RITZ précité). Du premier on retiendra cette formule particulièrement forte et qui a le mérite de ne pas parler de discrimination : «s'il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe « à travail égal, salaire égal », de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunérations, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence»
14 CJCE n° C 127/92
15 Cass. soc. 21 juin 2005 Mme X c/ Association gestionnaire de la Crèche Cost-Belle n° 02 42 658 «Attendu que la Cour d'appel qui a fait ressortir que l'employeur était confronté à la nécessité, pour éviter la fermeture de la crèche par l'autorité de tutelle, de recruter de toute urgence une directrice qualifiée pour remplacer la directrice en congé-maladie a, par ce seul motif, .... légalement justifié sa décision».
16 Cass. soc. 9 novembre 2005 Sté European Synchroton radiation facility c/ M. Diot. La solution ne revient-elle pas sur celle d'un précédent arrêt du 22 janvier2003 (P. n° 44 686) refusant la justification tirée de la nationalité au motif que le statut salarial de l'entreprise doit être unique et appliqué de manière uniforme à tous les salariés quelle que soit leur nationalité et même leur lieu de travail ? La réponse est négative, si, contrairement à ce qu'affirme l'arrêt du 9 novembre, ce n'est pas la nationalité en tant que motif discriminatoire qui est en question parce que seul le principe à travail égal, salaire égal est concerné !
17 Cass. soc. 9 décembre 2003 Mme C. c/ Sté Eurodirect Rontaga n° 01 43 039
18 Cass. soc. 19 octobre 2005 n° 03 42 108
19 Cass. soc. 16 février 2005 D. n° 03 40 465
20 Voir également l'arrêt Coloroll du 28 septembre 1994 où il est dit que l'impossibilité d'invoquer l'article 119 du traité CCE résulte de l'absence actuelle ou antérieure de tout travailleur de l'autre sexe accomplissant ou ayant accompli un travail comparable.
21 On rappellera sans insister que les discriminations donnent lieu au contraire à l'application de sanctions pénales prises à la fois dans le Code pénal (articles 225-1 et 225-2 prévoyant des peines d'amende et l'emprisonnement récemment aggravées) et dans le Code du travail pour ce qui est de la discrimination syndicale et de la discrimination sexiste V. notre ouvrage Droit Pénal du travail 2ème éd. 2004 P 355 et s.
22 Cass. soc. 15 mars 2005 Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Réunion n° 01 44 379 pour le non versement d'indemnités de départ et d'installation
23 Cass. soc. 15 mars 2005, n° 02 43 616, Sté Renault SA.



Authors:

Alain Coeuret, Of Counsel