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La répression pénale des abus de marché fortement renforcée

19/07/2016

Les sanctions pénales des abus de marché (délit d'initié et autres abus) sont durcies et uniformisées : 5 ans d'emprisonnement et 100 millions d'euros d'amende.

L'interdiction du cumul des poursuites pénales et administratives à l’encontre d’une même personne ayant commis des mêmes faits est introduite et organisée par une procédure originale de concertation entre le Parquet national financier (PNF) et l'Autorité des marchés financiers (AMF) sous l'arbitrage du procureur général près la cour d'appel de Paris.

La loi nouvelle n° 2016-819 du 21 juin 2016, comme le règlement européen 596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché ("règlement MAR"), est entrée en vigueur le 3 juillet 2016, à l’exception de la règle d’interdiction du cumul des poursuites dont les conditions et modalités d’application doivent être déterminées par décret en Conseil d’Etat.

I - Le renforcement des sanctions pénales des abus de marché

Par la loi n° 2016-819 du 21 juin 2016, la France transpose avant la date limite du 3 juillet 2016 la directive 2014/57 du 16 avril 2014 renforçant les sanctions pénales des abus de marché. Utilisant la liberté ouverte aux Etats membres, elle fait le choix d'un système nettement plus répressif que les minima imposés par le texte européen et prévoit des peines maximales identiques à tous les abus de marché (opération d'initié ; divulgation illicite d'information privilégiée ; manipulation de marché).

Ainsi, le relèvement des peines maximales est appliqué à tous les abus de marché : (C. mon. fin. art. L. 465-1 à L. 465-3-5)

  • 5 ans d’emprisonnement (au lieu de 2 ans pour le délit d’initié et 1 an pour le délit de communication d’information privilégiée antérieurement) et 100 millions d’euros d’amende (au lieu de 1,5 million d’euros pour le délit d’initié et 150 000 € pour le délit de communication d’information privilégiée auparavant) ;
  • la sanction pécuniaire peut toujours être portée jusqu’au décuple, non plus du profit réalisé, mais désormais de l’avantage retiré (incluant la perte évitée) ;
  • lorsque le délit est commis en bande organisée, la peine maximale d’emprisonnement est portée à 10 ans (C. mon. fin. art. L. 465-3-5, II) ;
  • ce relèvement a pour effet de porter la responsabilité pénale des personnes morales en matière d’abus de marché à des niveaux inégalés : 500 millions d’euros d’amende ; jusqu’à 10 fois1 l’avantage retiré ; interdiction de l'activité dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise.

Avec cette réforme, les plafonds des sanctions pécuniaires de la répression pénale sont désormais alignés sur ceux de la répression administrative, l’AMF ayant déjà bénéficié par le passé d’un relèvement à 100 millions d’euros pour les amendes qu’elle prononce en matière d’abus de marché (hormis, s’agissant des personnes physiques placées sous l’autorité des professionnels, pour lesquelles le plafond est de 15 millions d’euros).

II - Des discriminations réécrites en conformité avec les textes européens

Jusqu’à présent regroupées en trois délits principaux (délit d’initié ; délit de diffusion de fausse information ; délit de manipulation de cours), les incriminations pénales des abus de marché sont réécrites en conformité avec les nouvelles définitions posées par le règlement MAR dans des rédactions assez proches. Aussi les délits sont-ils désormais définis relativement à :

- l’opération d’initié par une personne2 (par l'utilisation d'une information privilégiée3 en réalisant une opération ou en annulant ou en modifiant un ordre passé par cette même personne avant qu’elle ne détienne l’information privilégiée) ;- la divulgation illicite d’information privilégiée, incluse auparavant dans le délit d’initié et désormais autonomisée ; et- la manipulation de marché (regroupant le délit de manipulation de cours et le délit de diffusion de fausse information dans des termes assez proches des anciens textes).

Le délit d'initié

S'agissant du délit d'initié et, par dérogation, il est précisé que certains comportements sont légitimes et échappent à l'incrimination, sous réserve du respect de conditions édictées par le règlement MAR (art. 9), alors même que leur auteur est en possession d'une information privilégiée (C. mon. fin. L. 465-1, I-B). Il en va par exemple ainsi dans le cadre de la réalisation d’une OPA sur, ou d’une fusion avec, une société, de l'utilisation d'une information privilégiée dans le seul but de mener à bien cette opération, sous réserve qu’au moment de l’approbation de l'opération par les actionnaires de cette société, toutes les informations privilégiées aient été rendues publiques ou aient cessé d’une autre façon d’être des informations privilégiées.

A la commission du délit d'initié par réalisation d'une opération s'ajoutent des incriminations pénales assimilables à ce délit et, à ce titre, punissables des mêmes peines. Sont visés :

  • le fait pour un initié de recommander la réalisation d’une opération sur un instrument financier auquel se rapporte l’information privilégiée ou d’inciter à la réalisation d’une telle opération sur le fondement de cette information ;
  • le fait pour toute personne d’utiliser cette recommandation ou cette incitation en connaissance de cause (i.e. en sachant qu’elle est fondée sur une information privilégiée) ;
  • le fait pour toute personne de communiquer cette recommandation ou cette incitation en connaissance de cause.

Le délit de divulgation illicite d’information privilégiée, désormais autonomisé, reprend avec plus de précision une partie de la rédaction antérieure du délit d'initié. Il s'agit du fait pour un initié de communiquer à un tiers l’information privilégiée hors le cadre normal de sa profession ou de ses fonctions et, précision nouvelle, y compris lorsque cette information relève d'un sondage de marché au sens du règlement MAR (C. mon. fin. art. L. 465-2). Au-delà des aspects rédactionnels, l'évolution est ici majeure du fait de l'uniformisation et du relèvement des plafonds de sanction : pour rappel, ce comportement bénéficiait jusqu'à cette réforme de plafonds nettement inférieurs.

Concernant la manipulation de marché qui fait l'objet d'une incrimination unique dans la directive Abus de marché, elle recouvre des modalités diverses, connues sous la manipulation de cours et la diffusion de fausse information. Invoquant un souci de lisibilité du dispositif, le législateur français a créé paradoxalement plusieurs articles alors que l’ancien article L. 465-2 unifiait ces différentes occurrences.

La manipulation de cours

Au titre de la manipulation de cours, est punissable "le fait, pour toute personne [pas de changement], de réaliser une opération, de passer un ordre ou d’adopter un comportement qui donne ou est susceptible de donner des indications trompeuses sur l’offre, la demande ou le cours d’un instrument financier ou qui fixe ou est susceptible de fixer à un niveau anormal ou artificiel le cours d’un instrument financier". Comme auparavant, l’infraction n’est pas constituée si l’opération ou le comportement est fondé sur un motif légitime et est conforme à une pratique de marché admise par l’AMF (C. mon. fin. art. L 465-3-1, I). Rappelons que l'AMF a décidé d’abandonner4, à compter du 3 juillet 2016, deux pratiques de marché antérieures au motif que celles-ci ne remplissent plus tous les critères exigés par le règlement MAR : les contrats de liquidité obligataire et l’acquisition d’actions propres aux fins de conservation et de remise ultérieure dans le cadre d'opérations de croissance externe.

Enfin, constitue également une manipulation de cours, "le fait, pour toute personne, de réaliser une opération, de passer un ordre ou d’adopter un comportement qui affecte le cours d’un instrument financier, en ayant recours à des procédés fictifs ou à toute autre forme de tromperie ou d’artifice" (art. L 465-3-1, II).

Un délit de manipulation d'indice est également prévu (C. mon. fin. art. L. 465-3-3).

La diffusion de fausse information

Sous la même incrimination de délit de manipulation de marché, est également punissable, "le fait de diffuser, par tout moyen, des informations susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur la situation, les perspectives d’un émetteur ou sur l’offre, la demande ou le cours d’un instrument financier [....]", ce qui correspond à la définition du délit de diffusion de fausse information, déjà connue en droit français.

Précisions :

La tentative de ces infractions est passible des mêmes peines qu'en cas de commission de l'infraction. Signe de la philosophie répressive du texte, la commission et la tentative sont donc placées sous le même niveau de pénalisation alors même que la directive Abus de marché (2014/57, art. 6) exigeait seulement que la tentative soit "punissable en tant qu'infraction pénale". Quant à la complicité, le droit pénal général pris en les articles L. 121-6 et L. 121-7 du Code pénal s'appliquera, sans nécessité d'un texte spécial.

S’agissant du champ des opérations concernées, les évolutions sont mesurées :

  • sans changement par rapport au régime antérieur, sont concernés les abus portant sur les instruments financiers admis à la négociation sur un marché réglementé (Euronext Paris) ou sur un système multilatéral de négociation, qu’il soit organisé (Alternext) ou non (Marché libre) ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation a été faite. Sont également visés les instruments dont la valeur ou le cours est lié ou dépend de ces instruments ainsi que les quotas d’émission de gaz à effet de serre et les contrats au comptant sur matières premières qui ne sont pas des produits énergétiques de gros ;
  • de même, les opérations de rachats d’actions propres et les opérations de stabilisation bénéficient d’une exemption (safe habor), dès lors qu’elles sont réalisées en conformité avec les dispositions du règlement MAR (C. mon. fin. L. 465-3-4, III).

III - L'interdiction de cumul des poursuites pénales et administratives consacrée

A la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 (Cons. const. 18 mars 2015, n° 2014-453 et 2015-462 QPC) emportant interdiction de cumul des poursuites pénales et administratives à l’encontre d’une même personne pour des mêmes faits et abrogation de certains articles du Code monétaire et financier en matière d’initié, la France était dans l’obligation de réformer son système répressif des abus de marché.

La loi reprend en conséquence cette interdiction de cumul des poursuites pénales et administratives (et pas seulement des sanctions) et organise un régime de concertation entre le Parquet national financier (PNF) et l’AMF visant une traduction concrète du respect de la règle "ne bis in idem". En d’échec de la concertation, l'arbitrage du procureur général près la cour d'appel de Paris interviendra.

Avant toute mise en mouvement de l'action publique, le procureur devra informer l’AMF de son intention d’engager des poursuites. Réciproquement, l’AMF devra faire de même à l’égard du Parquet financier s’agissant de son intention de notifier des griefs à la personne concernée auteur des mêmes faits.

Un délai de deux mois sera alors ouvert au terme duquel l’autorité de poursuite à laquelle cette intention a été notifiée pourra faire connaître son intention d’engager elle-aussi des poursuites. Si, dans cet intervalle, une intention expresse de poursuivre est notifiée à la première autorité, cette dernière disposera de quinze jours pour confirmer son intention initiale.

Le conflit positif sera alors tranché par le procureur général près la cour d’appel de Paris qui décidera si des poursuites au pénal seront engagées. A défaut, l’AMF pourra notifier ses griefs et engager ainsi des poursuites (C. mon. fin. art. L. 465-3-6).

Précisions :

  • la décision du procureur général près la cour d’appel de Paris prévue est définitive et n’est pas susceptible de recours ;
  • l’ensemble de cette procédure suspend la prescription de l’action publique et de l’action de l’AMF pour les faits auxquels elles se rapportent ;
  • la plainte avec constitution de partie civile et la citation directe font l’objet de limitations par dérogation aux règles du Code de procédure pénale (C. Proc. Pén. art. 85 et 551) afin de préserver la procédure de concertation et d’arbitrage tant dans son déroulement que dans son résultat ;
  • l’entrée en vigueur de ce dispositif reste subordonnée à la publication d’un décret en Conseil d'Etat qui en déterminera les conditions et modalités d’application.

Cette construction, issue de nombreuses réflexions et consultations, semble désormais faire consensus parmi les parties prenantes. Il reste que le discernement devra prévaloir pour réserver cette répression pénale renforcée aux infractions les plus graves, après examen des circonstances de chaque espèce.


1 Les modalités prévues à l'article L. 13138 du Code pénal s'appliquent uniquement à l'amende exprimée en valeur absolue (C. mon. fin., art. 465-3-5, dern. phrase).

2 Sont visées : les fonctions de direction (directeur général, président, membre du directoire, gérant, membre du conseil d’administration ou du conseil de surveillance) ou "équivalentes" ; la personne disposant d’une information privilégiée concernant un émetteur au sein duquel elle détient une participation ; la personne disposant d’une information privilégiée à l’occasion de sa profession ou de ses fonctions ou à l’occasion de sa participation à la commission d’un crime ou d’un délit ; et toute autre personne disposant de l’information privilégiée en connaissance de cause.

3 Définie par renvoi à l’article 7 du règlement MAR.

4 Communiqué AMF, "règlement européen Abus de marché (MAR) : l'AMF accompagne les acteurs", site Internet AMF.


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