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Nouvelles mesures fiscales en faveur de la finance Islamique en France (2ème partie) : régime des Sukuk et autres titres de dettes indexés

Jean-Yves Charriau, Avocat Associé - Thierry Granier, Avocat

12/03/2009

Comme nous le mentionnions dans la précédente Parole d'Expert, le Ministère des Finances a publié le 18 décembre 2008 une série de fiches doctrinales qui apportent des précisions sur le régime fiscal applicable aux instruments financiers susceptibles d'être utilisées en France en conformité avec les règles de la Charia. La DLF a fait connaître son souhait d'insérer prochainement ces fiches dans le corpus des rescrits fiscaux.

Après avoir étudié dans un premier temps le régime fiscal applicable aux opérations de Murabaha, nous nous consacrerons ici au régime fiscal des Sukuk ou « obligations islamiques » et des autres prêts indexés sur la performance financière de l'émetteur ou de l'emprunteur.

1. Caractéristiques des Sukuk et des autres titres de dettes et prêts indexés

A - Sukuk

Pour faire simple, selon les préceptes de la finance islamique, les Sukuk sont des titres qui sont émis pour une valeur identique et qui confèrent à leurs porteurs un droit de propriété indivis sur un actif, voire sur un groupement d'actifs. Eu égard à ce droit de propriété, chaque titre ouvre droit au bénéfice d'une quote-part des fruits résultant de l'exploitation de l'actif concerné, cette quote-part étant d'un montant égal pour chaque titre.

Dans la mesure où ces instruments doivent être comparés avec les normes de droit français, leur assimilation à des instruments de dette, en droit interne, semblerait difficilement envisageable si les titres concernés devaient uniquement être envisagés comme conférant un droit direct de propriété sur une catégorie d'actifs de l'émetteur. Partant de ce constat, il a été recherché des situations où ces titres pourraient être analysés comme des instruments de dette tout en satisfaisant les règles de la Charia.

La DLF a ainsi admis que, sous certaines conditions, ces instruments pouvaient constituer des obligations conférant à leur propriétaire un titre de créance ou un titre participatif rémunéré en fonction du rendement d'un ou plusieurs actifs détenus par l'émetteur, ce ou ces actifs ayant vocation à être spécialement dédiés à la rémunération et au remboursement des obligations émises, dans des situations où le souscripteur du titre bénéficie, par le truchement d'une fiducie, d'un droit de copropriété indirect sur ce ou ces actifs.

La DLF prend l'exemple d'un schéma qui serait en principe compatible avec, à la fois, la Charia et la qualification française de dette : un groupe français souhaite financer l'achat d'un immeuble en émettant des obligations (Sukuk) sur les marchés financiers et crée pour ce faire un véhicule d'acquisition ad hoc (SPV) qui émet les obligations afin de financer cette acquisition. Ces obligations sont souscrites par des investisseurs (la société-mère du SPV pouvant figurer parmi ceux-ci). L'immeuble est donné en crédit-bail par le SPV à une filiale opérationnelle du groupe, qui détient donc une option d'achat sur cet actif. Toutefois, si elle décide de ne pas exercer cette option, le SPV aura la faculté de se retourner vers sa société-mère qui lui aura préalablement consenti une option de vente, exerçable précisément dans le cas où la filiale opérationnelle n'exercerait pas l'option d'achat attachée au crédit-bail. Le SPV transfère ensuite l'intégralité de ses actifs (immeuble, contrat de crédit-bail et option de vente) et passifs (dette obligataire) à une fiducie créée ad hoc, par une banque. Le contrat de fiducie prévoit que les souscripteurs des Sukuk sont les bénéficiaires de la propriété fiduciaire et habilite le fiduciaire à gérer le patrimoine de la fiducie. Ce fiduciaire devra s'acquitter des dettes de la fiducie et, notamment, de la rémunération à verser aux porteurs des Sukuk. Le remboursement du capital des obligations pourra être effectué soit au moyen d'un paiement échelonné selon un calendrier prédéterminé, soit en fonction d'un remboursement in fine. En cas de défaillance du SPV, le fiduciaire a le droit de vendre l'immeuble.

B - Titres de dette et prêts indexés

Les titres de dette et prêts indexés, susceptibles de permettre le recours à des techniques de finance islamique de type « Musharaka » (partenariat), sont des titres de créance ou des prêts dont la rémunération est indexée sur la performance des actifs détenus par l'emprunteur, ou sur les résultats de celui-ci. Pour les titres ayant financé un actif particulier, le remboursement du capital est indexé sur la valeur dudit actif.

2. Critères permettant d'assurer la qualification fiscale de dette des Sukuk et autres titres de créances ou prêts indexés

Les fiches publiées le 18 décembre confirment que le titulaire de Sukuk ou d'un titre de dette ou prêt indexé ne saurait être assimilé à un investisseur en capital, notamment parce qu'il n'a ni droit de vote dans l'entité emprunteuse, ni droit au boni de liquidation. En outre, il serait désintéressé avant les associés de l'emprunteur ou émetteur, quelle que soit la nature des titres de capital émis par celui-ci.

S'agissant de la rémunération de ces instruments, les fiches précisent donc qu'elle peut être indexée en fonction des résultats issus de l'exploitation des actifs, voire en fonction des bénéfices de l'émetteur. Cette rémunération doit néanmoins être plafonnée à un taux de référence (Libor, Euribor...) augmenté d'une marge. A l'inverse, cette rémunération peut être nulle si l'actif ou l'émetteur dégage une perte, ce qui est une nouveauté, notamment par rapport au prêt participatif de la loi de 1978, qui suppose un intérêt fixe, même minime.

Le remboursement du capital des obligations ou des titres de dettes indexés pourra, si la réalisation de l'actif ne permet pas de rembourser la valeur nominale du titre, être réduit à due concurrence. En revanche, si la cession de l'actif dégage un produit supérieur à la valeur nominale des titres, les porteurs/créanciers ne pourront prétendre qu'au remboursement du capital. Néanmoins, dans ce cas, il est sans doute envisageable que les souscripteurs puissent bénéficier d'une rémunération participative limitée, qui peut s'avérer nécessaire pour être en totale conformité avec les règles de la Charia - dont on rappellera qu'elles ne font pas l'objet d'interprétations identiques selon les écoles de pensée.

3. Traitement fiscal des Sukuk et des autres titres de dettes indexés

Lorsque les conditions ci-dessus sont remplies, est confirmée la déductibilité de la rémunération des souscripteurs des Sukuk ou titres indexés, ainsi que l'exonération de retenue à la source des paiements réalisés auprès de non-résidents. Les fiches fournissent également des lignes directrices sur le régime applicable en matière de TVA et de taxe professionnelle.

A - Impôts sur les sociétés et traitement fiscal des non-résidents

La DLF tire toutes les conséquences de la qualification de dette des instruments susvisés. Ainsi, les versements correspondant à la rémunération des Sukuk ou des titres de dettes indexés sont déductibles de l'assiette de l'impôt sur les sociétés. Toutefois, lorsque ces paiements sont réalisés auprès d'associés minoritaires ou de sociétés liées, la déductibilité des intérêts sera limitée en fonction, d'une part, des règles propres aux intérêts versés aux associés minoritaires (CGI, article 39-1-3°) et, d'autre part, des règles de sous-capitalisation (CGI, article 212).

Dans l'hypothèse où le titulaire des Sukuk ou titres de dette indexés est un non-résident, les paiements pourront bénéficier de l'exonération de retenue à la source de l'article 131 quater du CGI.

B - TVA et taxe professionnelle

Les fiches de la DLF contiennent des clarifications utiles en matière de TVA et de taxe professionnelle. Elles confirment ainsi que le transfert de l'actif immobilier dans la fiducie n'est pas une opération soumise à TVA, sous condition que le bail relatif à l'actif soit aussi transféré et que le fiduciaire prenne l'engagement de poursuivre la location en cours (CGI, article 257 bis).

Il est également indiqué que le SPV émetteur de Sukuk ne sera pas soumis à la taxe professionnelle au titre de l'activité exercée après la mise en fiducie de son patrimoine. En revanche, le fiduciaire sera pleinement imposé au titre de son activité. Pour le calcul de la valeur ajoutée, les intérêts d'obligations, en tant que charges financières, ne sont en principe pas déductibles. Toutefois, si le fiduciaire est une filiale détenue à 95% au moins par un établissement bancaire, la DLF autorise de lui appliquer les modalités de calcul de la « valeur ajoutée bancaire » et il est donc permis de déduire les charges financières. Une telle mesure réduira significativement (voire éliminera) la taxe professionnelle due par la fiducie.

En conclusion, s'il faut partager l'espoir que les avancées opérées par le Ministère des Finances permettent d'attirer les capitaux de plus en plus importants des investisseurs islamiques, l'on relèvera que ces fiches ont une portée qui semble aller au-delà des opérations de finance islamique dans la mesure où elles donnent une version actualisée - qui s'avère être relativement souple - des critères de distinction entre instruments de dette et titres de capital.

Article paru dans la revue Option Finance le 19 janvier 2009

Auteurs

Thierry Granier
Avocat