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Rupture de relations commerciales sans préavis

Pour manquement grave à une obligation essentielle

26/06/2019

Lorsque l’une des parties a manqué à l’une de ses obligations essentielles, la rupture des relations commerciales sans préavis est possible. L’appréciation de ce manquement relève des juges du fond, même en présence de stipulations contractuelles. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans une décision du 27 mars 2019.

Les faits : la rupture d’une relation commerciale

Une société spécialisée dans la mise à disposition de contenus numériques à l’usage du grand public était en relations commerciales depuis 2005 avec plusieurs sociétés offrant un accès payant à différents services en ligne. Un différend était né en 2010, portant sur le paiement de factures dues qu’elle devait pour un montant de 301 273 euros. Malgré ce litige, le 21 juin 2012, elle s’était vu confier un mandat exclusif de représentation qui reprenait sa dette et lui confiait la mission de négocier les modalités de la migration des sites des sociétés mandantes avec une société de télécommunication.

Initialement conclu pour une durée de 6 mois, le mandat avait été renouvelé par tacite reconduction après sa date d’expiration fixée au 21 décembre 2012. Il était assorti d’une clause donnant aux mandantes la faculté de le dénoncer en cas de non-paiement des sommes dues aux mandantes.

Ces dernières avait fait application de cette clause et mis fin au mandat le 7 février 2013 avec effet immédiat pour inexécution de l’obligation de paiement. La mandataire les a alors assignées en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie sur le fondement de l’ancien article L.442-6, I, 5° du Code de commerce.

L’appréciation in concreto du manquement grave à une obligation essentielle par les juges du fond

La société mandataire est déboutée par la cour d’appel de Paris et forme un pourvoi en cassation, considérant que "le fait de ne pas être à jour des paiements ne constitue pas une faute grave autorisant une rupture sans préavis". Selon elle, l’existence d’impayés n’est pas de nature à justifier la rupture du contrat lorsqu’il n’est pas précisé la raison pour laquelle cette situation tolérée depuis des années a brutalement dégénéré en faute suffisamment grave.

L’enjeu est de taille car, si la résiliation du contrat est justifiée par une inexécution contractuelle grave, l’autre partie ne pourra pas se prévaloir de la rupture brutale. Or, l'article L.442-6, I, 5° du Code de commerce n’indique pas la nature ou le degré de gravité de l'inexécution contractuelle des obligations d’une partie permettant de justifier une rupture sans préavis.

La faute du cocontractant et sa gravité peuvent être prévues par les parties au contrat dans le cadre d’une clause résolutoire, comme c’était le cas en l’espèce. Depuis la réforme du droit des contrats en vigueur de 2016, les articles 1224 et 1225 du Code civil prévoient d’ailleurs expressément que la résolution d’un contrat peut notamment résulter de l’application d’une clause résolutoire, laquelle "précise les engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat".

Toutefois, la jurisprudence a considéré dès 2007, et réaffirmé en 2018, que des stipulations contractuelles ne peuvent pas contrevenir aux dispositions d'ordre public de l'article L.442-6 I, 5° du Code de commerce (Cass. com., 25 septembre 2007, n° 06-15.517). Il en résulte qu’en matière de rupture brutale des relations commerciales, lorsqu’ils apprécient la gravité d’une faute, les juges du fond ne sont pas tenus par les dispositions du contrat. Ils doivent conduire de manière autonome leur propre analyse pour déterminer si l’inexécution contractuelle reprochée est "de nature à caractériser un manquement suffisamment grave [aux obligations contractuelles] justifiant la rupture sans préavis de [la] relation commerciale" (Cass. com., 5 avril 2018, n° 16-19.923).

Les juges du fond peuvent donc, par le biais de l'article L.442-6, I, 5° du Code de commerce, paralyser le jeu d'une clause résolutoire stipulant une rupture sans préavis en cas de faute grave lorsqu’ils jugent le manquement contractuel comme étant insuffisamment grave, alors même qu’il est qualifié de grave par les parties au contrat. Le cas échéant, les juges pourront imposer aux parties un préavis pour rupture brutale alors que celui-ci n’était pas prévu par le contrat.

Il existe ainsi une insécurité juridique liée à l’appréciation de la gravité de la faute en matière de rupture brutale des relations commerciales.

Il revient aux juges du fond d’apprécier le manquement en fonction des éléments d’espèce. Ainsi, dans l’affaire de 2019, outre le constat de la clause résolutoire prévue au mandat, la Cour d’appel avait caractérisé l’existence et la gravité du manquement en relevant des impayés relatifs au paiement de factures depuis 2010. En l’occurrence, elle s’était fondée sur les éléments suivants :

  • des échanges d’emails entre les parties depuis octobre 2010 ;
  • l’envoi d’un courrier recommandé avec accusé de réception en février 2011 ;
  • la sommation d’un huissier de justice en 2013 ;
  • et le jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 10 septembre 2015 reconnaissant l’existence d’une créance impayée d’un montant de 301 273,26 euros.

Le contrôle limité du manquement à une obligation essentielle par la Cour de cassation

Dans la continuité de sa jurisprudence (Cass. com., 24 mai 2011, n° 10-17.844), la Cour de cassation rejette le pourvoi dans un arrêt rendu le 27 mars 2019 (Cass. com., 27 mars 2019, n° 17-16.548). Elle considère que la responsabilité de l’auteur de la rupture peut être écartée si les juges du fond ont souverainement estimé que le manquement d’une partie à ses obligations essentielles était bien établi et qu’il était suffisamment grave pour justifier la rupture des relations commerciales sans préavis.

Dans ce contexte, la Cour de cassation reconnaît l’appréciation souveraine de la Cour d’appel en ce que celle-ci a suffisamment caractérisé l’absence de paiement des factures. Selon la Cour de cassation, la Cour d’appel "a souverainement estimé que ce manquement [de la mandataire] à ses obligations essentielles était établi et qu’il était suffisamment grave pour justifier la rupture de la relation commerciale sans préavis". 

En conclusion et en pratique - Face à des manquements de la part d’un partenaire commercial, la partie souhaitant mettre fin à la relation commerciale doit, avant toute rupture de contrat, documenter les éléments de preuve permettant d’établir la gravité du manquement reproché. Ainsi, elle se prémunit de toute action sur le terrain de la rupture brutale des relations commerciales.


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Cet article a été publié dans notre Lettre des affaires commerciales de Juin 2019. Cliquez ci-dessous pour découvrir les autres articles de cette lettre.

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