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Barème d'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Où en est-on dans la bataille juridique ?

21/03/2019

Introduit par l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et la loi n° 2018-1213 du 29 mars 2018 après une genèse semée d'embûches, le barème d'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse continue d'être l'objet d’une longue bataille juridique. Pour rappel, ce barème fixe désormais le plancher et le plafond de l'indemnisation à laquelle les salariés peuvent prétendre en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Pour certains, ce barème serait contraire aux textes internationaux prévoyant une indemnisation "adéquate" du licenciement prononcé sans motif valable.

infographie barème indemnisation licenciement

► Le juge judiciaire peut écarter une disposition contraire aux textes internationaux
Depuis la décision "IVG" du 15 janvier 1975 (n° 74-54 DC), le Conseil constitutionnel juge qu'il ne contrôle pas la conformité des lois qui lui sont déférées aux stipulations d'un traité ou d'un accord international. Il en résulte que ce contrôle est confié au juge judiciaire (Cass. ch. mixte, 24 mai 1975, n° 73-13.556, Société Jacques Vabre) et au juge administratif (CE, 20 oct. 1989, n° 108.243, Nicolo).
C'est ainsi qu'un salarié peut, à l'occasion d'un litige l'opposant à son employeur, soutenir qu'une disposition du Code du travail est contraire à un texte international et qu'en conséquence, son application doit être écartée.
Pour ce faire, il est néanmoins nécessaire que le texte international invoqué produise directement des effets dans l'ordre juridique interne et pas seulement dans les relations entre États signataires de ce texte. Le Conseil d'État a assez clairement défini les critères devant être réunis pour qu'un texte international produise un effet direct dans un arrêt du 11 avril 2012 (n° 322.326, GISTI) : une stipulation d’un texte international doit être reconnue d'effet direct lorsqu'elle "n'a pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requiert l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers".
Au cas particulier, sont invoqués les articles 10 de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail et 24 de la Charte sociale européenne qui stipulent respectivement que :

  • "si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention [les tribunaux] arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée" ;
  • "en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée".

► Les décisions rendues à ce jour
Saisi d'un référé aux fins d’obtenir la suspension de l'application de l'ordonnance n° 2017-1387, le Conseil d'État s'est prononcé sur la conformité du barème d'indemnisation prévu à l’article L.1235-3 du Code du travail aux textes internationaux et a rejeté le recours (CE, 7 déc. 2017, n° 415.243) aux motifs que :

  • les stipulations invoquées n'interdisent pas aux Etats signataires de prévoir des plafonds d'indemnisation inférieurs à 24 mois de salaire en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ; 
  • le barème n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une nullité ;
  • les auteurs de l’ordonnance n'ont pas entendu, en fixant des montants minimaux et maximaux d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse en fonction des seuls critères de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et des effectifs de celle-ci, faire obstacle à ce que le juge détermine, à l’intérieur de ces limites, le montant de l'indemnisation versée à chaque salarié en prenant en compte d’autres critères liés à la situation particulière de celui-ci.

Saisi de la conformité à la Constitution de la loi n° 2018-1213 du 29 mars 2018 ratifiant l’ordonnance n° 2017-1387, le Conseil constitutionnel a refusé de censurer l'article L.1235-3 (Cons. const., 21 mars 2018, n° 2018-761 DC) aux motifs que :

  • le législateur peut aménager, pour un motif d’intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d'actes fautifs ;
  • en fixant un référentiel obligatoire, le législateur a poursuivi un objectif d'intérêt général en entendant renforcer la prévisibilité des conséquences qui s'attachent à la rupture du contrat de travail ;
  • il ressort des travaux préparatoires que les montants maximaux ont été déterminés en fonction des moyennes constatées des indemnisations accordées par les juridictions ;
  • ces montants maximums ne sont pas applicables lorsque le licenciement est entaché d'une nullité ;
  • ce faisant, la dérogation au droit commun de la responsabilité pour faute, résultant des maximums prévus par les dispositions contestées, n'institue pas des restrictions disproportionnées par rapport à l'objectif d'intérêt général poursuivi.

Si, on l'a vu, le Conseil constitutionnel ne contrôle pas directement la conformité de la loi aux textes internationaux, il s'efforce, dans toute la mesure du possible, d'interpréter les droits et libertés constitutionnels conformément aux textes internationaux afin d'assurer l'unité et la sécurité de l'ordre juridique français.
C’est dans ce contexte que, saisis de la question de la conformité de l'article L.1235-3 aux textes internationaux, les conseils de prud'hommes ont rendu leurs premières décisions. L'état des lieux, à notre connaissance, est à ce jour le suivant :

  • deux décisions ont retenu la conformité de l'article L.1235-3 aux textes internationaux (CPH Le Mans, 26 sept. 2018, n° 17/00538) ; CPH Grenoble, 4 févr. 2019, n° 18/01050) ;
  • une décision a fait application du barème malgré l'argumentaire relatif à la non-conformité de l'article L.1235-3 mais selon une motivation ambiguë (CPH Caen, 18 déc. 2018, n° 17/00193) ;
  • sept décisions ont écarté l'application de l'article L.1235-3 (CPH Paris, 22 nov. 2018, n° 18/00964 ; CPH Troyes, 13 déc. 2018, n° 18/00036 ; CPH Amiens, 19 déc. 2018, n° 18/00040 ; CPH Angers, 17 janv. 2019, n° 18/00046 ; CPH Grenoble, 18 janv. 2019, n° 18/00989 ; CPH Lyon, 22 janv. 2019, n° 18/00458 ; CPH Amiens, 24 janv. 2019, n° 18/00093 ; CPH Agen, 5 févr. 2019, n° 18/00049).

En réponse, le ministère de la Justice a, par circulaire du 26 février 2019, exhorté les procureurs à l'informer "des décisions rendues dans [leur] ressort ayant écarté le moyen d'inconventionnalité des dispositions indemnitaires fixées par l'article L.1235-3 précité ainsi que des décisions ayant, au contraire, retenu cette inconventionnalité". Les décisions faisant l'objet d'un appel doivent elles aussi être communiquées "afin de pouvoir intervenir en qualité de partie jointe pour faire connaître l'avis du parquet général sur cette question d'application de la loi".
► Les prochaines échéances
Selon nos informations, plusieurs décisions sont prochainement attendues :

  • la cour d'appel de Paris a sollicité, le 14 mars 2019, l'avis du parquet général sur cette question et devrait se prononcer en mai 2019 ;
  • la cour d’appel de Reims devrait se prononcer en juin 2019 à la suite de l'appel formé contre le jugement du conseil de prud'hommes de Troyes du 13 décembre 2018 ;
  • si la Cour de cassation est saisie de la décision rendue en appel, elle pourrait se prononcer dès la fin de l’année 2019 ou en début d’année 2020.

La Cour de cassation pourrait également être saisie pour avis par un Conseil de prud'hommes ou une Cour d’appel. Néanmoins, elle a refusé à plusieurs reprises de se prononcer sur les questions de conformité d'une disposition aux textes internationaux dans le cadre de la procédure d'avis, même si cette jurisprudence pourrait évoluer (Cass., avis, 12 juill. 2017, n° 17-70.009). 
En parallèle, le Comité européen des droits sociaux, institution du Conseil de l’Europe chargée de la mise en œuvre de la Charte sociale européenne, a été saisi par deux organisations syndicales le 26 mars 2018 et le 24 septembre 2018. Nul doute que, même s'il ne s’agit pas d’un organe juridictionnel rendant des décisions exécutoires, son avis sur la conformité de l'article L.1235-3 du Code du travail à l’article 24 de la Charte sociale européenne pèsera dans le débat
Cette question, cruciale en termes de sécurité juridique, devrait donc prochainement trouver son épilogue.


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