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Soutenir ses fournisseurs, choisir ses risques (1re partie)

Mesures nécessaires à la gestion immédiate de la crise : les réponses au regard du droit commercial et du droit de la concurrence

20/05/2020

Se placer non du point de vue du vendeur, comme cela a été classiquement fait au cours des dernières semaines, mais du point de vue de l'acheteur, permet de réfléchir à la qualification des avantages réciproques que les partenaires commerciaux pourraient vouloir s’accorder dans le contexte de la crise.

1. Payer ses fournisseurs dans les délais

Les délais de paiement interentreprises sont au cœur des préoccupations françaises. De nombreuses entreprises subissent en ce moment des retards de paiement, voire des refus de paiement de la part de certains de leurs clients tentés de conserver des liquidités afin de se prémunir eux-mêmes contre une situation de cessation des paiements.

Dès le 23 mars 2020, la loi d’urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020 a habilité le Gouvernement à modifier, dans le respect des droits réciproques, les obligations des entreprises à l'égard de leurs clients et fournisseurs, notamment en termes de délais de paiement et de pénalités, mais aussi s’agissant dela nature des contreparties (L. n° 2020-290, article 11, I, 1° c).

Cette disposition spéciale avait pu faire espérer à certains un relâchement des règles particulièrement strictes du droit français. En effet, ces règles interdisent non seulement de payer au-delà du délai convenu mais également, sous la menace de sanctions administratives très sévères (75 000 € pour une personne physique et 2M € pour une personne morale), de convenir d’une date de paiement excédant les plafonds imposés par le Code de commerce ou de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement (C. Com.,article L.441-16).

Qu’en est-il en réalité ?

Les pénalités de retard de paiement entrant dans le champ de l’article L. 441-16 ne sont pas gelées par l’effet de l’ordonnance n° 2020-306 qui prévoit la suspension des effets des pénalités contractuelles, car elles ne sont pas assimilables à des clauses pénales (cf. Cass. com., 2 novembre 2011, n° 10-14.677).

De manière générale, le paiement des obligations contractuelles entre personnes de droit privé doit toujours avoir lieu à la date prévue par le contrat, sous réserve des mécanismes de droit commun et notamment de l’exception d’inexécution (C. Civ., articles 1217 et suiv.) ou de la renégociation des obligations contractuelles dans la limite des pratiques abusives (en ce sens, cf. rapport au président de la République sur l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020).

Aucun changement de cap n’a été observé dans les orientations de l’État en matière de relations entre les clients et leurs fournisseurs. Bien au contraire, la ligne du Gouvernement est claire : une entreprise – en particulier si elle fait partie des plus grandes – qui ne respecterait pas ses obligations en termes de délais de paiement n'aura pas accès aux prêts de trésorerie garantis par l'État. La médiation est l’outil privilégié, avec la création d’un Comité de crise face à la dégradation des délais de paiement mis en place dès le 23 mars 2020 (Communiqué de presse du 23 mars 2020).

2. Neutraliser les pénalités pour retard de livraison

En cette période d’épidémie de Covid-19, un acheteur peut choisir de soutenir son fournisseur en neutralisant la sanction contractuellement prévue en cas de retard de livraison.

C’est l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période (complétée et modifiée par les ordonnances n° 2020-427 du 15 avril 2020 et n° 2020-560 du 13 mai 2020) qui définit les modalités de cette neutralisation.

Cette neutralisation ne s’applique qu’aux clauses dont l’objet est de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé. C’est bien, en général, le cas des clauses prévoyant des pénalités de livraison dès lors que celles-ci peuvent s’analyser comme des clauses pénales.

De telles clauses sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet si le délai dont elles sont assorties a expiré entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus ("période juridiquement protégée" ou PJP).

Il faut distinguer deux cas de figure :

  1. Si l’obligation de payer les pénalités de livraison a son fait générateur avant le 13 mars 2020 mais doit être exécutée postérieurement, c’est-à-dire pendant la PJP (i.e. entre le 12 mars et le 23 juin 2020 inclus), le report des effets de la clause se calcule en ajoutant à la fin de la PJP le délai écoulé entre le 12 mars et la date à laquelle l’obligation aurait dû être exécutée.
  2. Si l’obligation a son fait générateur à partir du 13 mars, le report des effets de la clause se calcule en ajoutant à la fin de la PJP le délai écoulé entre la date à laquelle l’obligation est née et la date à laquelle l’obligation aurait dû être exécutée.

Il faut avoir à l’esprit que ce mécanisme de prorogation des délais n’est en aucun cas une autorisation donnée de ne pas s’exécuter mais seulement une neutralisation temporaire des sanctions contractuelles applicables en cas de retard de livraison.

3. Renégocier les contrats commerciaux dans la limite restrictives de concurrence (dites "pratiques abusives")

A l’exception de secteurs particuliers tels que le secteur alimentaire où la renégociation est encadrée par le Code de commerce (art. L.441-8) et de la nécessité de formaliser par écrit tout avenant à une convention unique conclue pour la distribution de biens, le principe est celui de la libre renégociation, sous réserve que cette renégociation ne soit pas l'occasion de mettre en œuvre des pratiques abusives vis-à-vis de l'autre partie.

De manière générale, la période invite à une prudence particulière dans la renégociation des contrats (y compris par avenants) motivée par la crise du Covid-19. En effet, la soumission, comme la tentative de soumission, du co-contractant plus faible et/ou dépendant sera susceptible de constituer une négociation de mauvaise foi mais pourrait également être sanctionnée sur le terrain du déséquilibre significatif et/ou de l'avantage sans contrepartie.

La Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) a rappelé, en réponse à une demande d’avis antérieure à la crise du Covid-19, qu’un changement de circonstances qui était imprévisible lors de la conclusion du contrat peut autoriser une demande de renégociation, à condition de rendre l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’aurait pas accepté d’en assumer le risque et à la condition que la partie sollicitant la renégociation continue d’exécuter dans l’intervalle ses obligations (avis 2019-9 de septembre 2019). Selon que la renégociation pourrait ou non être effectivement justifiée au titre de l’imprévision, la partie qui n’aurait pas accepté de négocier pourrait se rendre responsable de la soumission de l’autre partie à un déséquilibre significatif au sens du Code de commerce (art. L. 442-1-I-2°).

Autre point d’attention, le Code de commerce punit d’une nullité de plein droit et de sanctions les accords qui prévoient que l'acheteur bénéficiera (art. L. 442-3 et L.442-4 C. com.) :

  • rétroactivement de remises ou de ristournes. Toute remise ou ristourne négociée postérieurement à la date à laquelle le paiement des marchandises ou services est dû est nécessairement rétroactive ;
  • des conditions plus favorables consenties par le fournisseur aux entreprises concurrentes.

4. Modérer ses prix de revente

Soutenir ses fournisseurs, cela peut être aussi, lorsque l'on est acheteur revendeur, ne pas augmenter les prix de revente pour se reconstituer une trésorerie. L'ADLC a rappelé dans un communiqué publié le 23 mars 2020 que les règles existantes permettent aux fournisseurs de fixer des prix maximaux pour leurs produits, pour autant qu'il ne s'agit pas de prix fixes.

Ces quelques conseils, éclairés par les textes et les positions récentes de l’Administration, devraient vous permettre de prendre les décisions les plus adaptées au contexte de la crise sanitaire. Restera à anticiper les situations susceptibles de se présenter dans les prochains mois : c’est ce que nous traiterons dans la deuxième partie de notre article.


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