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A quelle date s'apprécie la situation nette de la filiale aidée pour déterminer le traitement fiscal d'un abandon de créance à caractère financier?

25/01/2010

L'arrêt du Conseil d'Etat du 31 juillet 2009 (CE, 31/07/2009, n°297274) tranche cette question maintes fois débattue en indiquant que "si le caractère d'acte anormal de gestion de l'aide consentie à une filiale s'apprécie à la date à laquelle cet acte est intervenu, en revanche la participation détenue dans le capital de la filiale devant être évaluée à la clôture de l'exercice au cours duquel l'aide a été consentie afin de déterminer la variation de l'actif net de la société mère au cours de l'exercice, c'est à la date de cette clôture qu'il convient d'apprécier la situation nette réelle de la filiale afin de déterminer si la société mère est en droit de déduire de ses bénéfices imposables la somme correspondant à l'aide qu'elle a apportée à sa filiale."


La date d'appréciation du caractère normal ou anormal de l'abandon de créance ne fait, ici, l'objet d'aucune discussion puisque la position du Conseil d'Etat est conforme à une jurisprudence constante (CE, 11 avril 2008, n°284274, Sté Guy Dauphin Environnement : RJF 7/08 n°799).

En revanche, la question relative à la date à laquelle la situation nette de la filiale devait être évaluée n'avait jusqu'ici jamais été soumise au Conseil d'Etat alors même que la jurisprudence des cours administratives d'appel et les analyses des commentateurs avaient, à diverses reprises, retenu des positions divergentes sur cette question.

I - Les hésitations des cours

La cour administrative d'appel de Nancy, dans une décision du 2 avril 1991 (n°1330 SEB), a considéré que c'est à la date de l'abandon de créance qu'il convient d'apprécier si celui-ci peut ou non faire l'objet d'une déduction; les pertes ultérieures de la filiale, même si elles ont finalement entraîné sa liquidation, ne peuvent justifier a posteriori une déduction pratiquée à un moment où l'actif net de la filiale était encore positif.

La cour administrative d'appel de Nantes, quant à elle, a jugé, dans une décision du 15 octobre 1996 (n°94-623), que la déductibilité d'un abandon de créance à caractère financier doit être appréciée à la date à laquelle la société mère clôt l'exercice au cours duquel il est effectué, compte tenu de la situation nette de la filiale à cette date.

En outre, la Cour précise que, dans cette hypothèse, la situation nette ne doit pas être corrigée pour éliminer l'incidence des augmentations de capital intervenues entre la réalisation des abandons et la clôture de l'exercice.

II - Les divergences doctrinales

La même différence d’analyses se retrouve dans les positions des commentateurs :

Pour Jérôme Turot ("Fiscalité des groupes intégrés. Du rififi dans la jurisprudence du Conseil d'Etat", chronique parue à la RJF 1/92 p.3), la situation nette de la filiale doit être appréciée à la date de clôture de l'exercice pour la simple raison que "l'impôt sur les sociétés est établi compte tenu de la situation de fait et de droit existant à la clôture de l'exercice".

Selon lui, la circonstance que l'impôt soit assis sur la variation d'actif net constatée d'un bilan de clôture à l'autre et ne tienne aucun compte des variations intermédiaires qui se sont compensées entre ces deux dates justifie qu'une solution similaire soit adoptée pour apprécier la déductibilité des abandons de créances à caractère financier.

Pour Célia Vérot (dans ses conclusions sous l'arrêt du Conseil d'Etat 11 avril 2008, n°284274, Société Guy Dauphin), en revanche, il convient de se placer à la date de l'abandon de créance pour apprécier la situation nette de la filiale afin que n'entrent pas en ligne de compte pour l'appréciation de la valeur de la participation de la société mère les éléments ultérieurs ayant pu avoir une influence positive sur l'actif de l'entreprise.

III - Les inconvénients pratiques de la solution finalement retenue

Ce débat jurisprudentiel et doctrinal prend donc fin avec le nouvel arrêt qui pose clairement le principe de l'appréciation de la situation nette de la filiale bénéficiaire à la date de la clôture de l'exercice.

Nous relevons toutefois que s'il est exact que l'impôt est établi en tenant compte de la situation de l'entreprise à la clôture de l'exercice, il n'en reste pas moins vrai que pour apprécier si une dépense entraîne une augmentation de la valeur d'un actif (par exemple, une dépense engagée sur un immeuble), c'est normalement, à notre avis, à la date où la dépense est engagée qu'il faut se placer.

Il nous semble donc que chacune des deux solutions pouvait raisonnablement être soutenue et nous regrettons finalement que celle retenue par le Conseil d'Etat ne soit pas la plus opportune sur le plan pratique puisque :

  • d'une part, elle ne permet pas à l'entreprise de connaître, au moment où elle consent un effort financier, le régime fiscal de celui-ci et donc de déterminer si l'abandon de créance sera déductible ou non. Alors qu'on pouvait imaginer jusqu'ici que la société limite le montant de son aide financière à la situation nette négative de la bénéficiaire au moment de l'abandon pour assurer son traitement fiscal, elle ne disposera dorénavant plus d'une telle faculté ;
  • d'autre part, les mesures de soutien aux filiales prennent souvent en pratique la forme d'aides mixtes consistant par exemple en un abandon de créance complété par une augmentation de capital. Or, Si l'augmentation de capital est réalisée au cours du même exercice que l'abandon de créance, il est à craindre que ces deux mesures aient à être prises en compte pour l'appréciation de la situation nette de la société bénéficiaire à la clôture de l’exercice. Si tel devait être le cas, lorsque, à l'issue de l'exercice, grâce aux efforts financiers consentis par la société mère, la situation de la société bénéficiaire est rétablie, l'abandon de créance serait considéré comme non déductible quand bien même la situation nette de la société bénéficiaire serait demeurée négative après l'abandon de créance, l'amélioration de la situation nette n'étant attribuable en réalité qu'à l'augmentation de capital réalisée ultérieurement.

Dans le doute, la société mère sera tentée de retarder l'augmentation de capital et de la réaliser au cours de l'exercice suivant, solution qui, sur un plan financier, peut ne pas s'avérer la plus opportune mais qui aura le mérite, néanmoins, de sécuriser la déductibilité de l'abandon de créance. I

V - Le secours de la doctrine administrative

Toutefois, il y a lieu de rappeler que la doctrine administrative (doc adm. 4 A 2163-19) autorise, quant à elle, à apprécier la situation nette comptable de la société bénéficiaire de l'abandon de créance à la date à laquelle l'abandon a été consenti et prévoit, en outre, la possibilité, lorsque l'entreprise n'est pas en mesure d'établir une telle situation à la date à laquelle l'abandon a été consenti, de faire référence soit à la plus proche situation provisoire soit au plus proche bilan.

On ne peut donc qu'espérer que cette doctrine administrative ne sera pas rapportée et sera, comme on peut envisager de le soutenir, jugée opposable à l'administration fiscale, ce qui permettra de résoudre les difficultés rappelées ci-avant.

V - Pour une révision du régime des abandons de créance à caractère financier

Il est permis de s'interroger sur le point de savoir si la jurisprudence traditionnelle du Conseil d'Etat ne devrait pas évoluer sur la question même de l'appréciation du caractère déductible de l'abandon de créance. En jugeant que l'abandon de créance n'est pas déductible si la situation nette de la société bénéficiaire devient positive, cette jurisprudence n'est pas, à notre avis, conforme aux principes généraux qui gouvernent la détermination du résultat fiscal.

Normalement, seules les dépenses qui ont pour effet d'augmenter l'actif net de l'entreprise au sens de l'article 38-2 du CGI, ne sont pas immédiatement admises en déduction du résultat imposable.

Il en est ainsi, conformément à la jurisprudence traditionnelle du Conseil d'Etat et à la doctrine administrative :

  • des dépenses qui ont pour conséquence l'entrée d'un nouvel élément dans l'actif ;
  • des dépenses qui entraînent une augmentation de la valeur d'un élément de l'actif immobilisé ;
  • des dépenses qui prolongent d'une manière notable la durée probable d'utilisation d'une immobilisation.

En dehors de ces trois cas de figure, les dépenses engagées constituent, en principe, des charges immédiatement déductibles.

Ainsi, dans l'hypothèse où la situation nette de la société bénéficiaire d’un abandon redevient positive alors que le montant de la situation de cette société reste inférieur au prix de revient pour lequel les titres figurent au bilan de son associé, la dépense engagée ne devrait pas avoir pour effet, au sens de la jurisprudence ou de la doctrine précitée, d'entraîner une augmentation de la valeur des titres figurant à l'actif.

En effet, tant que la valeur réelle de l'entreprise qui a bénéficié d'un abandon de créance reste inférieure au prix de revient des titres inscrits au bilan de l'associé, la dépense engagée n'a eu pour effet ni d'accroître la valeur de ces titres ni d'augmenter le patrimoine de l'associé.

En conséquence, l'abandon de créance consenti dans ces conditions devrait, selon les principes généraux, être traité comme une charge déductible et il serait donc souhaitable, à nos yeux, que la jurisprudence évolue sur ce point précis.


Par Philippe Grousset, avocat associé
Anne-Cécile Martineau, avocat

Article paru dans la revue Option Finance du 19 octobre 2009

Auteurs

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Philippe Grousset
Associé
Paris
Anne-Cécile Martineau