Home / Publications / Fin de la requalification systématique en contrat...

Fin de la requalification systématique en contrat à durée indéterminée des contrats à durée déterminée multiples conclus pour le remplacement de salariés

13/03/2018

Cass. soc., 14 févr. 2018, n° 16-17.966

Selon une jurisprudence établie, la conclusion de contrats à durée déterminée (CDD) successifs avec un salarié, même conclus pour le motif régulier de remplacement d’un salarié absent, était abusive et justifiait une requalification du contrat de travail en contrat à durée indéterminée. En effet, la Cour de cassation considérait que ce recours traduit un besoin structurel de main d’œuvre, ce dont il résulte qu’il a pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Cette solution est abandonnée par un arrêt du 14 février 2018 (n° 16-17.966).

En l’espèce, une salariée avait été engagée, par une association, en contrat à durée déterminée afin de pourvoir au remplacement d’un salarié absent du 17 au 30 juin 2010, puis du 8 au 29 juillet et du 1er au 29 août 2010. Sollicitée à nouveau en avril 2011, c’est plus de 104 contrats à durée déterminée qui avaient été conclus au motif de remplacement de salariés absents entre le 26 avril 2011 et le 27 février 2014. La salariée avait alors saisi la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir la requalification de ces contrats en contrat à durée indéterminée. Se conformant à la jurisprudence de la chambre sociale, la Cour d’appel de Limoges avait décidé qu’il y avait lieu de procéder à la requalification des contrats litigieux en contrat à durée indéterminée.

Revenant sur sa jurisprudence antérieure, la chambre sociale, après avoir énoncé sous la forme d’un attendu de principe que "le seul fait pour l’employeur, qui est tenu de garantir aux salariés le bénéfice des droits à congé maladie ou maternité, à congés payés ou repos que leur accorde la loi, de recourir à des contrats à durée déterminée de remplacement de manière récurrente, voire permanente, ne saurait suffire à caractériser un recours systématique aux contrats à durée déterminée pour faire face à un besoin structurel de main d’œuvre et pourvoir ainsi durablement lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise" censure la décision des juges du fond qui pour procéder à la requalification des contrats litigieux, avaient retenu que les remplacements prévisibles et systématiques assurés par la salariée pendant trois ans constituaient un équivalent à plein temps pour faire face à un besoin structurel de main d’œuvre. La chambre sociale décide en effet que "au regard de la nature des emplois successifs occupés par la salariée et de la structure des effectifs de l’association ces motifs étaient insuffisants pour caractériser qu’ils avaient pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise".

Cette décision renverse la jurisprudence antérieure qui déduisait du recours systématique aux contrats à durée déterminée, même conclus pour un motif valable et se succédant dans des conditions régulières, un besoin structurel de main d’œuvre et que ces contrats avaient donc pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente, ce qui est prohibé par l’article L.1242-1 du Code du travail et justifiait donc leur requalification en contrat à durée indéterminée (Cass. soc., 4 déc. 1996, n° 93-41.891 ; Cass. soc., 29 sept. 2004, n° 02-43.249 ; Cass. soc., 2 juin 2010, n° 08-44.630).

L'intérêt de cette solution, rendue au visa de la clause 5, point 1, a) de l'accord-cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 mis en oeuvre par la Directive 1999/70/CE du 28 juin 2000, est de se fonder sur la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne du 26 janvier 2012 (aff. C-586/10, Kücük) selon laquelle : 

  • le seul fait qu'un employeur soit obligé de recourir à des remplacements temporaires de manière récurrente, voire permanente, et que ces remplacements puissent également être couverts par l'embauche de salariés en vertu de contrats de travail à durée indéterminée n'implique pas l'absence d'une raison objective au sens de la clause 5, point 1, sous a), dudit accord-cadre ni l'existence d'un abus au sens de cette clause ;
  • dans une administration disposant d'un effectif important, il est inévitable que des remplacements temporaires soient fréquemment nécessaires en raison, notamment, de l'indisponibilité d'employés bénéficiant de congés de maladie, de congés de maternité ou de congés parentaux ou autres, que le remplacement temporaire de salariés dans ces circonstances est susceptible de constituer une raison objective au sens de la clause 5, point 1, sous a), de l'accord-cadre CDD, justifiant tant le caractère déterminé de la durée des contrats conclus avec le personnel de remplacement que le renouvellement de ces contrats en fonction de la survenance des besoins, sous réserve du respect des exigences fixées par l'accord-cadre CDD à cet égard.

Si la chambre sociale retient que le recours récurrent aux contrats à durée déterminée pour pallier les absences de salariés ne suffit pas à déterminer l’existence d’un besoin structurel de main d’œuvre, elle invite néanmoins les juges du fond à vérifier que les circonstances de fait, telles que "la nature des emplois successifs occupés" - c'est à dire les remplacements pour absence - et "la structure des effectifs" de l’entreprise - c'est-à-dire l'importance des effectifs - ne sont pas de nature à caractériser l’existence d’un emploi durable lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.