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Intermédiation commerciale

Des difficultés de la qualification en cas de pluralité de contrats concomitants

21/06/2019

L’affaire en question est relative à un contentieux à rebondissements. Après la rupture, jugée brutale, de deux contrats d’intermédiation, le tribunal de commerce de Bordeaux est saisi en 2012. Sa décision est confirmée en appel en 2015, mais censurée en 2017 par la Cour de cassation. Elle vient de trouver sa solution avec une décision de la Cour d’Angers statuant sur renvoi. L’arrêt apporte des éclairages inédits et utiles sur la qualification des contrats d’intermédiation commerciale.

La relation d’intermédiation nouée entre les parties 

La société Lumiscaphe conçoit, développe et vend des logiciels informatiques d’imagerie 3D. Afin de commercialiser son logiciel en France et à l’international, elle a eu recours, à partir de 2008, à la société PHD Consulting & Partners spécialisée dans la distribution de produits et de logiciels informatiques.

Afin de formaliser les missions de la société PHD, deux contrats ont été conclus le 27 juin 2008, à effet au 1er janvier 2008 :

  • un contrat d’agence commerciale soumis aux articles L.134-1 et suivants du Code de commerce, par lequel la société PHD se voyait confier mandat pour la distribution du logiciel en France ;
  • un contrat de "partenariat" aux termes duquel la société PHD devait rechercher des distributeurs à l’international.

En 2012, la société Lumiscaphe a mis fin à la relation d’affaires fondée sur ces deux contrats pour faute grave. La société PHD a contesté les modalités de cette rupture et un contentieux au long cours a débuté.

Les différents rebondissements contentieux 

En première instance, puis en appel en 2015, les juges ont considéré que la rupture des deux contrats était fautive et que, de ce fait, la société PHD devait recevoir, au titre du contrat d’agence commerciale, essentiellement :

  • 150 000 euros de réparation pour la rupture fautive ;
  • 600 000 euros pour les commissions sur affaires réalisées avant la rupture ; et
  • 250 000 euros au titre du préavis non accordé avant la fin du contrat (CA Bordeaux, 30 septembre 2015, n° 16/06189).

La Cour de cassation a censuré cet arrêt. Elle a considéré que la Cour d’appel n’avait pas répondu aux conclusions de la société Lumiscaphe concernant diverses fautes commises par la société PHD, qui seraient constitutives de fautes graves de nature à justifier la rupture du contrat sans préavis (Cass. com., 11 mai 2017, n° 15-28.175).

Elle a renvoyé à la cour d’appel d’Angers le soin de juger l’affaire au fond, en adoptant une rédaction très pédagogique.

Sur un point particulier qui n’avait été soulevé qu’en appel pour la première fois, à savoir celui de la requalification en contrat d’agence commerciale du contrat de "partenariat", la Haute juridiction indique que, contrairement à ce qu’a considéré la Cour d’appel, "l'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leurs conventions, mais des seules conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée".

Restait à savoir comment conclurait la Cour d’appel de renvoi.

Requalification du contrat de partenariat en contrat d’agence : une solution logique et riche d’enseignements

La position de la Cour de cassation, formulée dans son arrêt du 11 mai 2017, n’est pas vraiment nouvelle. La Haute juridiction avait en effet, dès 2003, adopté une position semblable, en des termes pratiquement identiques (Cass. com., 10 décembre 2003, n° 01-11.923).

Plus récemment, la cour d’appel de Bordeaux avait eu à se prononcer sur la réelle nature d’un "partenariat" conclu entre deux sociétés. Après avoir examiné les termes du contrat, elle avait conclu qu’il ne s’agissait ni d’un mandat d’intérêt commun, ni d’un contrat d’agence commerciale, mais d’un contrat sui generis, n’ouvrant droit à aucune indemnité légale (CA Bordeaux, 5 avril 2018, n° 15/07779 ; voir également notre commentaire "Contrats innommés : ce qui va sans dire ira toujours mieux en le disant", paru dans la lettre des réseaux de distribution de juin 2018).

La cour d’appel d’Angers reprend à son compte ce raisonnement et indique, de manière didactique que, pour pouvoir être qualifié de contrat d’agence commerciale, le contrat de "partenariat" doit contenir trois éléments essentiels :

  • l’indépendance du mandataire ;
  • le caractère permanent de son activité de représentation du mandant ;
  • l’existence de pouvoirs de négociation.

En l’espèce, la Cour estime que la société PHD exerçait bien de manière indépendante et permanente son activité ; elle en conclut que le contrat de "partenariat" était en réalité un contrat d’agence commerciale (CA Angers, 5 mars 2019, n° 17/01747). Elle omet, dans son raisonnement, de se prononcer sur l’existence de pouvoirs de négociation dévolus à l’agent commercial. Si l’on peut comprendre cette facilité que s’est accordée la Cour, eu égard aux difficultés à caractériser l’existence d’un pouvoir de négociation (voir par exemple notre article "Qualification d’agent commercial : l’impossibilité d’accorder des remises exclut l’existence d’un pouvoir de négociation" du 29 juin 2015 ; ou plus récemment notre article "Pouvoir de négociation de l’agent commercial : vers une interprétation de la Cour de justice de l’Union européenne ?" de juin 2019), le raisonnement interroge néanmoins.

Au cas particulier, il y a fort à parier que les juges auront considéré comme suffisants les deux premiers éléments constitutifs du contrat d’agence commerciale, dès lors qu’ils se trouvaient confortés par la conclusion le même jour d’un contrat d’agence commerciale (pour la France) dont la qualification n’était pas contestée par le mandant et d’un contrat de "partenariat" (pour l’international) ; et ce, dans des termes très proches.

Ainsi, il convient d’apporter un soin particulier à la qualification, mais surtout à la rédaction des contrats conclus, ainsi qu’aux conditions réelles de leur mise en œuvre. Conclure deux contrats très semblables, en les qualifiant différemment au motif que leur périmètre géographique diffère ne peut que créer le doute. Le "saucissonnage" des missions d’un intermédiaire commercial pourrait en effet passer pour une manœuvre de contournement destinée à se soustraire, ne serait-ce qu’en partie, à la législation protectrice des agents commerciaux.

Quand la requalification ne profite (complètement) à personne

A titre de conclusion, on indiquera que, si la cour d’appel d’Angers requalifie effectivement le contrat conclu pour l’international en contrat d’agent commercial, elle retient également la faute grave ayant justifié la rupture des deux contrats. Elle condamne donc la société Lumiscaphe à verser à la société PHD les commissions encore dues résultant des commandes passées avant et après la rupture du contrat d’agence. Mais la société PHD ne se voit pas indemnisée, pour autant de l’absence de préavis lors de la 


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Cet article a été publié dans notre Lettre des affaires commerciales de Juin 2019. Cliquez ci-dessous pour découvrir les autres articles de cette lettre.

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Hélène Chalmeton
Juriste - Knowledge Management
Paris