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Réforme de la prescription pénale

01/03/2017

La loi n° 2017-242 du 27 février 2017, publiée au JO du 28 février, vient réformer sensiblement la prescription en matière pénale.

Ce texte, qui a été l’objet d’un large consensus entre les deux chambres, hormis sur la proposition du Sénat non retenue prévoyant l’allongement du délai de prescription des infractions de presse commises sur Internet, a pour objectif de modifier et de rationaliser les règles applicables tant à la prescription de l’action publique qu’à la prescription des peines, afin d’assurer un meilleur équilibre entre l’exigence de répression des infractions et l’impératif de sécurité juridique. Il en résulte principalement un doublement des délais de prescription des crimes et des délits.

Assimilées à des lois de procédure, les nouvelles règles sont d’application immédiate, et donc applicables même aux affaires dont les faits ont été commis antérieurement à l'infraction, étant précisé que les dispositions reportant le délai de prescription des infractions occultes ou dissimulées ne pourront avoir pour effet de prescrire des infractions qui, au moment de l’entrée en vigueur de la loi (soit le 1er mars 2017), auraient valablement donné lieu à la mise en mouvement ou à l’exercice de l’action publique.

Les principales innovations portées par la réforme intéressent la prescription de l’action publique (I) et la prescription des peines (II). Les modalités d’entrée en vigueur de la loi nouvelle feront l’objet de précisions complémentaires (III).

I - Prescription de l’action publique

     1. Délais de prescription

Droit commun des crimes et délits - Jusqu’alors, l’action publique se prescrivait par dix années, en matière criminelle, et par trois années, en matière délictuelle, révolues à compter du jour où l’infraction a été commise, sauf exceptions.
La loi prévoit un doublement de ces délais de droit commun, portant la prescription à vingt ans pour les crimes (c. proc. pén., art. 7) et à six ans pour les délits (c. proc. pén., art. 8), à compter du jour où l’infraction a été commise. L’action de l’administration des douanes en répression des délits douaniers se prescrit dans les mêmes conditions, soit par six ans à compter du jour de la commission de l’infraction (c. douanes, art. 351 al. 1er).

Crimes – délais dérogatoires - Diverses exceptions sont prévues par le législateur. Ainsi, l’action publique des crimes de nature terroriste (c. proc. pén., art. 706-16), de trafic de stupéfiants (c. proc. pén., art. 706-26), relatifs à la prolifération d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs (c. proc. pén., art. 706-167), d’eugénisme et de clonage reproductif (c. pén., art. 214-1 à 214-4), de disparition forcée (c. pén., art. 221-12), ou encore des crimes de guerre (c. pén., art. 461-1 à 462-11) se prescrit par trente ans. Par ailleurs, l’action publique des crimes contre l’humanité (c. pén., art. 211-1 à 212-3) est imprescriptible.

Délits – délais dérogatoires - En matière délictuelle, la loi prévoit désormais trois délais de prescription dérogatoires.

L’action publique des délits relatifs à la prolifération d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs punis de dix ans d’emprisonnement (c. proc. pén., art. 706-167), de certains délits de nature terroriste (c. proc. pén., art. 706-16), des délits de trafic de stupéfiants (c. proc. pén., art. 706-26), et des délits de guerre (c. pén., art. 461-1 à 462-11) se prescrit par vingt ans.

Par ailleurs, l’action publique des délits visés par l'article 706-47 du Code de procédure pénale, commis à l’encontre de mineurs, se prescrit par dix années, à compter de la majorité de ces derniers.
Cas particulier doit enfin être fait des délits de violences sur mineurs (c. pén., art. 222-12), des agressions (c. pén., art. 222-29-1) et atteintes (c. pén., art. 227-26) sexuelles sur mineurs, dont l’action publique se prescrit par vingt ans à compter de la majorité de ces derniers.

Contraventions - Le délai de prescription de l’action publique des contraventions n’est pas modifié par la loi, et reste égal à un an à compter du jour où l’infraction a été commise (c. proc. pén., art. 9).
Toutefois, la prescription de l’action de l’administration des douanes en répression des contraventions douanières est maintenue à trois ans (c. douanes, art. 351 al. 2). Délits et contraventions douanières ne sont donc plus soumis à un délai de prescription uniforme.

      2. Point de départ de la prescription

La loi prévoit la création de trois nouveaux articles 9-1, 9-2 et 9-3 au sein du Code de procédure pénale, rationalisant les règles de computation des délais de prescription de l’action publique existant antérieurement.

Crimes et délits à l’encontre de mineurs - Si le délai de prescription court en principe à compter de la commission de l’infraction, l’action publique des crimes et délits commis à l’encontre de mineurs, de nature sexuelle (c. proc. pén., art. 706-47) ou de violences (c. pén., art. 222-10 et 222-12), se prescrit non pas à compter de la commission de l’infraction mais à compter de la majorité du mineur. De même, l’action publique du crime de clonage reproductif (c. pén., art. 214-2) court à compter de la majorité de l’enfant né.

Infractions occultes et dissimulées - Par ailleurs, la loi consacre et étend la jurisprudence relative au report du point de départ du délai de prescription de l’action publique des infractions dissimulées par des manœuvres caractérisées ou des infractions occultes par nature ou clandestines.

Ainsi, si l’infraction est occulte (infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime, ni de l’autorité judiciaire), ou dissimulée (infraction dont l’auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte), le délai de prescription de l’action publique ne courra qu’à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique (c. proc. pén., art. 9-1 al. 3).

La loi prévoit toutefois un délai butoir, le délai de prescription ne pouvant excéder en tout état de cause douze ans pour les délits et trente ans pour les crimes à compter du jour où l’infraction a été commise.

Interruption - En outre, la loi donne une base légale aux solutions jurisprudentielles reconnaissant un effet interruptif de la prescription de l’action publique aux actes d’enquête ainsi qu’aux actes d’instruction ou de poursuite, notamment à ceux émanant de la personne exerçant l’action civile.

Ainsi, l’article 9-2 nouveau du Code de procédure pénale fournit désormais une liste limitative des actes de nature à interrompre le délai de prescription de l’action publique. Y figurent les actes émanant du ministère public ou de la partie civile tendant à la mise en mouvement de l’action publique (c. proc. pén., art. 80, 82, 87, 88, 388, 531, 532 ; l. 29 juil. 1881 sur la liberté de la presse, art. 65), les actes d’enquête émanant du ministère public ou les procès-verbaux dressés par officiers de police judiciaire (OPJ) ou agents habilités exerçant des pouvoirs de police judiciaire, ou encore les actes d’instruction émanant de juges d’instruction, de chambres de l’instruction ou de magistrats et OPJ par eux délégués, dès lors que ces actes tendent effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d’une infraction. Par ailleurs, les jugements ou arrêts, même non définitifs, voient confirmer leur valeur interruptive s’ils ne sont pas entachés de nullité.

L’acte, jugement ou arrêt interruptif a alors pour effet de faire courir un délai de prescription d’une durée égale au délai initial (c. proc. pén., art. 9-2 al. 6), applicable aux infractions connexes ainsi qu’aux auteurs ou complices même non visés par l’un de ces mêmes acte, jugement ou arrêt (c. proc. pén., art. 9-2 al. 7).

La loi consacre l’obligation faite aux services de police de mentionner, dans tout récépissé de dépôt de plainte, les délais de prescription de l’action publique définis aux articles 7 à 9 ainsi que la possibilité d’interrompre ledit délai par le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile, en application de l’article 85 (c. proc. pén., art 15-3 al. 2).

Suspension – Reprenant les apports de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, inspirée de l’adage civiliste « contra non valentem agere non currit praescriptio », la loi consacre un principe général de suspension du délai de prescription de l’action publique en présence d’un obstacle de droit, prévu par la loi, ou d’un obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique (c. proc. pén., art. 9-3).

La loi supprime le caractère suspensif de la plainte simple, dont bénéficiait auparavant la victime jusqu’à la réponse du procureur de la République ou, au plus tard, une fois écoulé le délai de trois mois (c. proc. pén., art. 85 al. 2).

II - Prescription des peines

Crimes – Antérieurement à la loi, les peines prononcées pour un crime se prescrivaient par vingt années révolues à compter de la date à laquelle la décision de condamnation était devenue définitive, sous réserve des dispositions relatives à l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité (c. pén., art. 133-2). Le Code pénal et le Code de procédure pénale prévoyaient en outre, de manière ponctuelle pour certains crimes, un délai de prescription des peines dérogatoire de trente ans.

La loi rationalise la matière, en maintenant dans le droit commun le délai de vingt ans (c. pén., art. 133-2 al. 1) et en réunissant sous un même alinéa les hypothèses dérogatoires des peines prononcées pour crimes d’eugénisme et de clonage reproductif (c. pén., art. 214-1 à 214-4), de disparition forcée (c. pén., art. 221-12), de guerre (c. pén., Livre IV bis), de nature terroriste (c. proc. pén., art. 706-16), de trafic de stupéfiants (c. proc. pén., art. 706-26) et relatifs à la prolifération d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs (c. proc. pén., art. 706-167), lesquelles sont prescriptibles par trente ans à compter de la date à laquelle la décision de condamnation est devenue définitive (c. pén., art. 133-2 al. 2). L’imprescriptibilité des peines prononcées pour les crimes contre l’humanité (c. pén., art. 211-1 à 212-3) est quant à elle consacrée au sein d’un alinéa distinct (c. proc. pén., art. 133-2 al. 3).

Délits – Le délai de prescription des peines prononcées pour un délit est allongé de cinq à six années révolues à compter de la date à laquelle la décision de condamnation est devenue définitive (c. pén., art. 133-3 al. 1).

De manière similaire, alors que le Code pénal et le Code de procédure pénale prévoyaient ponctuellement un délai exceptionnel de vingt ans pour divers délits, la loi rationalise la matière et réunit sous un même alinéa les hypothèses dérogatoires des peines prononcées pour délits de guerre (c. pén., Livre IV bis), de nature terroriste (c. proc. pén., art. 706-16), de trafic de stupéfiants (c. proc. pén., art. 706-26), et relatifs à la prolifération d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs lorsqu’ils sont punis de dix ans d’emprisonnement (c. proc. pén., art. 706-167), lesquelles sont prescriptibles par vingt ans à compter de la date à laquelle la décision de condamnation est devenue définitive (c. pén., art. 133-3 al. 2).

Interruption – La loi opère un renvoi vers les conditions d’interruption de la prescription des peines définies par l’avant-dernier alinéa de l’article 707-1 du Code de procédure pénale : seuls les actes ou décisions du ministère public, des juridictions de l’application des peines et, le cas échéant, du Trésor ou de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, et qui tendent à l’exécution de la peine, ont valeur interruptive (c. pén., art. 133-4-1).

III - Entrée en vigueur

S’agissant d’une loi relative à la prescription de l’action publique et à la prescription des peines, elle est d’application immédiate (c. pén., art. 112-2, 4°).

Elle s’applique quand bien même les faits incriminés auraient été commis antérieurement à son entrée en vigueur (c. pén., art. 112-2, 4°), sous la seule réserve que ces faits n’aient pas été prescrits sous l’empire de la loi ancienne avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.

A titre dérogatoire, la loi prévoit cependant expressément que les règles relatives au report du délai de prescription des infractions occultes ou dissimulées ne saurait avoir pour effet de prescrire des infractions qui, au moment de son entrée en vigueur, auraient valablement donné lieu à la mise en mouvement ou à l’exercice de l’action publique (art. 4). Cela signifie qu’à compter du 1er mars 2017, aucun délai butoir ne pourra être invoqué au soutien de la prescription d’une infraction occulte ou dissimulée ayant donné lieu à la mise en mouvement ou à l’exercice de l’action publique avant l’entrée en vigueur de la loi.

Auteurs

Portrait deOlivier Kuhn
Olivier Kuhn
Associé
Paris
Portrait deJean-Fabrice Brun
Jean-Fabrice Brun
Associé
Paris