Cerner les contours d’un groupe de sociétés peut s’avérer périlleux. Il s’agit pourtant d’une notion centrale en matière de licenciements pour motif économique. La Cour de cassation a, par un arrêt du 20 mars 2019, été amenée à apprécier l’existence d’un groupe dans le cas très particulier des sociétés gestionnaires des fonds commun de placement (FCP).
Notion juridique de groupe : le cas spécifique des sociétés de gestion
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 mars 20191, plusieurs salariés d’une société « A » contestaient la délimitation du groupe retenue par leur employeur pour apprécier la suffisance du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) mis en œuvre. Ils tentaient d’inclure dans le périmètre de ce groupe la société financière qui gérait le FCP détenant à 85 % la société holding de l’entreprise employeur.
Plus simplement, l’imbrication de ces sociétés peut être schématisée de la manière suivante :
La spécificité de cette situation réside dans le fait que les actions de la holding de la société ayant mis en œuvre le PSE, étaient détenues par le biais d’un FCP. Il s’agit d’une copropriété de valeurs mobilières qui n’a pas la personnalité morale. La société de gestion du FCP n’est, quant à elle, pas propriétaire des titres mais uniquement gestionnaire.
A la lumière des articles du Code de commerce, la Haute juridiction a jugé que la société de gestion du FCP ne pouvait faire partie du groupe en raison de l’absence de « contrôle » de cette société sur la holding de l’entreprise ayant mis en œuvre le PSE.
Les liens capitalistiques, premier élément caractéristique du critère de « contrôle » permettant de définir le groupe
Rappelons utilement que, d’après l’article L.233-3, I, 1° du Code de commerce, une société est réputée en contrôler une autre « lorsqu’elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ».
Sur le fondement de cet article, les salariés soutenaient que la société de gestion du FCP exerçait, en pratique, le contrôle de la holding de reprise et les droits de vote qui étaient attachés aux actions détenues par le biais du FCP.
La Cour de cassation a rejeté cet argument en procédant à une application stricte des dispositions précitées. Elle considère qu’il n’était pas établi que la société de gestion détenait directement ou indirectement une fraction du capital de la holding de reprise. En effet, ce capital était détenu par le biais du FCP et la, société de gestion ne détenait qu’un mandat de gestion pour représenter les membres dudit FCP. Or, sans lien capitalistique, il ne peut y avoir de contrôle au sens de l’article L.233-3 I, 1° précité du Code de commerce.
L’influence dominante au sens des comptes consolidés, autre élément caractéristique du « contrôle » permettant de définir le groupe
Aux termes de l’article L.233-16, II, 3° du Code de commerce, le contrôle d’une société par une autre peut également résulter de l’exercice d’une « influence dominante » en vertu d’un contrat, tel qu’un pacte d’actionnaires.
Dans l’arrêt ici commenté, les salariés se fondaient sur le pacte d’actionnaires, organisant les liens entre la holding de reprise et ses associés, pour tenter de démontrer l’existence d’une influence dominante exercée par la société de gestion sur la holding de reprise.
Pour la Haute Cour, si le pacte d’actionnaires révélait l’existence de liens de contrôle et de surveillance entre la holding de reprise et la société de gestion, qui intervenait au nom des copropriétaires du FCP, il n’était pas établi qu’il conférait à cette dernière le droit d’exercer une influence dominante sur la holding de reprise.
La Cour de cassation procéderait-elle à un resserrement de la notion juridique de groupe ?
Bien que cette décision soit rendue dans le contexte très spécifique des FCP et des sociétés de gestion, elle laisse entrevoir une évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de groupe. La Haute juridiction semble en effet se concentrer sur la notion de groupe au sens du Code de commerce et, ce faisant, sur le concept de « contrôle ».
Une telle évolution, qui reste à confirmer, - serait dans la droite ligne des récentes réformes et notamment des ordonnances « Macron » qui ont intégré au Code du travail une définition du groupe fondée sur les dispositions du Code de commerce pour apprécier la réalité de la cause économique du licenciement et le périmètre de l’obligation de reclassement2.
Enfin et en tout état de cause, il est essentiel de préciser que les faits, ayant donné lieu à la décision de la Cour de cassation, étaient antérieurs à la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 ayant confié à l’administration (et donc au juge administratif) le contrôle de la validité du PSE. Il appartient donc à présent au Conseil d’Etat de trancher la question délicate de la définition du groupe dans le contexte spécifique des sociétés détenues par le biais de FCP.
1 N°17-19.595, FS-P+B
2Articles L.1233-3 et L. 1233-4 du Code du travail, visant expressément l’article L. 233-1, le I et II de l’article L. 233-3 et l’article L. 233-16 du Code de commerce
Article paru dans Les Echos Exécutives le 6 septembre 2019
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