Près de six mois après son entrée en vigueur, l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, qui est venue refondre les règles du Code de commerce relatives notamment aux pratiques restrictives de concurrence, soulève toujours des interrogations en matière de rupture brutale des relations commerciales (art. L. 442-1 II. modifié C. com.).
Les dérives constatées au cours des trente dernières années d’application des règles d’origine sont connues. Tandis que ces règles avaient été adoptées dans le but de protéger les fournisseurs contre des déréférencements abusifs assortis de préavis trop brefs les privant de toute possibilité de reconversion, la jurisprudence a retenu un champ d’application bien plus vaste, et souvent ordonné de larges indemnisations dans des cas où des reconversions étaient intervenues, excluant tout préjudice.
La réglementation était sujette à critiques en raison de l’insécurité juridique engendrée (disparités des durées de préavis retenues par les juridictions), mais aussi et surtout pour son impact négatif sur la concurrence (incitation des uns à accorder le préavis le plus long possible pour éviter les sanctions ; non-incitation des autres à l’innovation), et sur la compétitivité des entreprises françaises.
Selon le Rapport au Président de la République, des objectifs de « régulation du contentieux » et de « réalisme économique » sont donc poursuivis par le nouveau texte. Objectifs atteints ? Pas si sûr.
Si certaines modifications opérées par l’ordonnance semblent faire l’unanimité, le nouveau mécanisme de « délai protecteur » peut laisser dubitatif.
En prévoyant qu’« En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois », l’article L. 442-1 II n’est pas sans présenter certains inconvénients.
D’abord, par souci de sécurité, les opérateurs pourraient en arriver à accorder automatiquement un délai de préavis de 18 mois, ce qui contribuera souvent à allonger inutilement la durée des relations commerciales tout en préjudiciant à la concurrence.
Ensuite, de nouveaux contentieux risquent d’émerger. Ainsi, le « délai protecteur » n’étant pas un « délai plafond », la question se pose de savoir si, en cas de contestation d’un préavis inférieur à 18 mois, le juge pourrait accorder une indemnisation correspondant à un préavis supérieur à 18 mois, qu’il aura souverainement estimé comme raisonnable, ou s’il sera enclin à se cantonner à 18 mois maximum.
Aussi, compte tenu de l’enjeu financier pour la victime de la rupture – concrètement, plusieurs mois supplémentaires de marge brute en guise d’indemnisation, il y a tout lieu d’anticiper un contentieux fourni sur le droit transitoire. Quelles dispositions appliquer en cas de contrat conclu avant la réforme et rompu après ?
L’hésitation résulte des débats concernant la qualification de la matière : tandis qu’elle relève de la qualification délictuelle en droit interne, elle est qualifiée de contractuelle dans l’ordre européen. Or, si le principe de la survie de la loi ancienne s’impose en matière contractuelle, celui de l’application de la loi en vigueur au moment de la réalisation du fait dommageable gouverne la matière extra-contractuelle.
Selon nous, la qualification contractuelle préférée par la CJUE n’a pas vocation à influencer la détermination du droit transitoire applicable, qui relève du pur droit interne. En d’autres termes, la qualification européenne contractuelle permet d’identifier l’instrument européen qui détermine la règle de conflit de lois et donc la loi applicable au fond du litige ; mais c’est bien cette loi-là, et elle seule, qui doit déterminer quelles règles transitoires s’appliquent. En cas de rupture après la réforme d’un contrat conclu antérieurement, la position de la Cour de cassation retenant la qualification délictuelle de la matière conduit selon nous à appliquer les dispositions nouvelles.
On le voit, le contentieux de la rupture brutale de relations commerciales établies a encore de beaux jours devant lui. Cela d’autant plus que les subtilités procédurales résultant de l’attribution d’une compétence exclusive à certaines juridictions désignées1 persistent.
Voilà de quoi rassurer les développeurs d’algorithmes aux fins de justice prédictive, qui voient en cette matière un potentiel fer de lance pour leur outil.
1 Compétence juridictionnelle en matière de rupture brutale de relations commerciales établies : les enseignements de 2017, O. KUHN et L. BOURGEOIS, Option Finance n°1449, 12 février 2018
Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 30 septembre 2019
Rupture brutale des relations commerciales
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