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Acomptes sur dividendes

Le régime mère-fille peut s'appliquer pour leur montant total

20/06/2019

Par une décision (n° 410315) du 12 avril 2019, le Conseil d’Etat a apporté de nouvelles précisions concernant la portée du régime mère-fille en jugeant que les acomptes sur dividendes peuvent être exonérés d’impôt sur les sociétés. Cette exonération s'applique même s’ils excèdent le montant des sommes distribuables par la filiale à la clôture de l’exercice de la distribution.

Acomptes sur dividendes et distributions litigieuses

En l’espèce, une société française membre du groupe d’intégration fiscale dirigé par la société Compagnie de Saint-Gobain, avait perçu en mai 2008 deux acomptes sur dividendes (interim dividends) en provenance de sa filiale britannique. En application du régime des sociétés mères (CGI, art. 145 et 216), la société française avait retranché les sommes de son résultat imposable, exception faite d’une quote-part de frais et charges.

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Il s’est avéré que les acomptes sur dividendes ont excédé le montant des sommes distribuables à la clôture de l’exercice 2008 (étant précisé qu’en l’absence d’indications sur l’existence de réserves au titre d’exercices antérieurs, l’administration a considéré que les sommes que la filiale britannique était susceptible de distribuer à la clôture de son exercice coïncidaient avec son résultat comptable au 31 décembre 2008).

A la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration a remis en cause la déduction de la fraction des acomptes excédant le résultat comptable de l’exercice 2008. Selon elle, l’application du régime des sociétés mères n’était possible qu’à hauteur du résultat que la société britannique était en mesure de distribuer à la clôture de l’exercice 2008.

Le tribunal administratif de Montreuil et la cour administrative d’appel de Versailles ont tous deux confirmé l’approche de l’administration. Ils ont jugé que cette dernière était fondée à refuser l’exonération de la fraction des acomptes sur dividendes excédant le montant du résultat comptable dégagé par la société distributrice au 31 décembre 2018, et ce alors même que les acomptes sur dividendes avaient été régulièrement versés, en cours d’exercice, au vu d’un résultat provisoire dûment constaté.

Les juges d’appel ont notamment souligné que, eu égard à l’objectif d’élimination de la double imposition économique poursuivi par le régime des sociétés mères, les « produits nets des participations » ouvrant droit au régime des sociétés mères doivent être retenus dans la limite des sommes distribuables à la clôture de l’exercice.

Imposition des acomptes sur dividendes : décision du Conseil d’Etat

Saisi du litige, le Conseil d’Etat a censuré l’analyse défavorable au contribuable qui avait été retenue par les juges du fond, en retenant les deux motifs suivants :

  • la perception des acomptes sur dividendes procède, pour leur montant total, des droits attachés aux titres de participation détenus par la société mère ;
  • les articles 145 et 216 du CGI ne subordonnent pas l’exonération des produits nets de participation qu’ils instituent à l’imposition effective, entre les mains de la filiale, des bénéfices qu’elle distribue.

A rebours des juges du fond, le Conseil d’Etat a ainsi jugé que les acomptes sur dividendes versés à la société française par sa filiale britannique avaient, dans leur totalité, le caractère de produits de participation au sens de l’article 216 du CGI et pouvaient dès lors bénéficier du régime des sociétés mères.

La société était donc fondée à retrancher de son résultat imposable l’intégralité du montant des acomptes sur dividendes, de sorte que la remise en cause partielle du régime mère-fille opérée par l’administration était injustifiée. Le Conseil d’Etat a par conséquent annulé l’arrêt d’appel qui avait jugé le contraire et, réglant l’affaire au fond, a fait droit à la demande de décharge des rappels d’imposition présentée par la société.

Portée de la décision sur l'imposition des acomptes sur dividendes

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de la décision rendue par le Conseil d’Etat.

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En premier lieu, la décision confirme que le champ d’application du régime mère-fille ne saurait être restreint aux seuls dividendes distribués en vertu d’une décision prise par l’assemblée générale des actionnaires après la clôture de l’exercice.

L’article 216 du CGI ne vise en effet pas la notion juridique de « dividendes, qui aurait pu justifier une approche stricte des sommes éligibles à l’exonération (cf., s’agissant de l’ancien avoir fiscal, CE 26 février 2001, n° 219834, ministre c/ Anzalone). Il vise la notion économique de « produits nets des participations », qui s’entendent traditionnellement de tous les revenus distribués. Ces revenus trouvent leur origine dans les résultats des filiales et dont le versement à la mère procède de la participation de celle-ci au capital des filiales (CE, 6 juin 1984, n° 35415-36733, Compagnie financière de Suez).

Or un acompte sur dividendes procède incontestablement des droits attachés aux actions, dès lors que seuls les actionnaires peuvent en bénéficier, et trouve bien son origine dans le résultat de la société distributrice. La loi elle-même subordonne en effet le versement d’un acompte sur dividendes à l’existence d’un bénéfice, qui doit être démontré par l’établissement d’un bilan au cours ou à la fin de l’exercice (C. com., art. L. 232-12). La seule circonstance que ce résultat « intermédiaire » puisse ultérieurement s’avérer surestimé n’a pas pour effet d’en modifier la nature de façon rétrospective et ne justifie donc pas la remise en cause (même partielle) du régime mère-fille.

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En deuxième lieu, on observe que les sommes en cause dans la présente affaire n’étaient pas des acomptes sur dividendes de source française mais des « interim dividends » de source britannique.

Le Conseil d’Etat a implicitement considéré que ceux-ci étaient assimilables à des acomptes sur dividendes de droit français compte tenu de leurs caractéristiques juridiques. Bien que la décision ne soit pas très explicite sur ce point, la démarche adoptée par le juge semble s’inscrire dans la logique, désormais bien établie, consistant à apprécier une situation étrangère au regard de ses caractéristiques juridiques locales, puis à l’assimiler à la situation française qui en est la plus proche et à lui appliquer le régime fiscal correspondant. Il en résulte que la solution adoptée en l’espèce n’est pas limitée aux acomptes sur dividendes de source britannique mais revêt une portée générale.

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En troisième lieu, il convient de relever que la décision ne fait aucune référence à la directive « mère-filiale », dont les articles 145 et 216 du CGI assurent la transposition en droit interne.

La question de la conformité au droit de l’Union européenne se serait en revanche posée si le Conseil d’Etat avait entendu subordonner l’exonération des acomptes sur dividendes à une condition d’imposition chez la société distributrice, dès lors que la directive ne prévoit pas de telle condition.

A cet égard, au-delà de la problématique des acomptes sur dividendes, la solution selon laquelle l’exonération ouverte par le régime mère-fille n’est pas subordonnée à une imposition effective des bénéfices au niveau de la société distributrice mérite d’être signalée. Elle fait notamment écho à la censure par le Conseil constitutionnel des dispositions de la loi de finances rectificative pour 2014 qui visait à introduire une condition d’imposition des bénéfices de la société distributrice. L’article 72 de cette loi prévoyait d’exclure du régime des sociétés mères, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2015, « les produits des titres prélevés sur les bénéfices d’une société afférents à une activité non soumise à l’impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent ». Ces dispositions, ciblant notamment les sociétés étrangères exonérées d’impôt, avait cependant été invalidées par le Conseil constitutionnel en raison de leur imprécision (Conseil constitutionnel, 29 décembre 2014, n° 2014-708 DC).

Actuellement, aucune condition d’imposition minimum des sociétés distributrices n’est posée par la loi. La solution retenue en l’espèce par les juges du fond revenait cependant à réintroduire, par voie prétorienne, une condition tenant à l’imposition des bénéfices au niveau de la filiale distributrice, sans aucun fondement législatif et en contradiction avec la jurisprudence précitée du Conseil constitutionnel.

Il faut donc saluer la présente décision du Conseil d’Etat qui souligne que ni l’administration, ni le juge ne saurait opposer au contribuable des conditions non prévues expressément par la loi, quand bien même de telles conditions s’inscriraient dans le cadre de l’objectif poursuivi par celle-ci. Par-delà son enjeu pour les sociétés mères, la décision « Saint-Gobain » constitue en cela un utile rappel du principe de légalité de l’impôt.

CE, 12 avril 2019, n° 410315, Compagnie de Saint-Gobain

Article paru dans le magazine Option Finance le 11 juin 2019


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