Dans cette décision -destinée à une très large diffusion comme en témoignent les références FS/P+B+R1 -, la Cour de Cassation définit une nouvelle procédure de dénonciation d'un accord collectif, dans une situation où :
- deux
entreprises formant une seule unité économique et sociale (UES)
procèdent à la dénonciation unilatérale de leurs accords collectifs
relatifs à l'aménagement de la durée du travail (respectivement en
novembre 2003 et mars 2004) ;
- puis, en l'absence d'accord collectif
de substitution, ces mêmes entreprises souhaitent définir, en novembre
2005, un nouveau régime d'aménagement de la durée du travail par voie
de note unilatérale, celle-ci étant soumise à la consultation préalable
du comité d'entreprise de l'unité économique et sociale ;
- les
institutions représentatives contestent, quant à elles, cette procédure
et saisissent le Tribunal de Grande Instance afin d'en obtenir
l'annulation ;
- dans un arrêt du 22 novembre 2006, la Cour d'Appel de
Paris impose sous astreinte le retrait de la note critiquée, en
soulignant tout particulièrement que la dénonciation des accords
collectifs d'entreprise n'a pas été soumise à la consultation préalable
du comité d'entreprise ...
- compte tenu notamment de l'importance du
délai séparant la dénonciation des accords collectifs de la
consultation des représentants du personnel sur la note unilatérale
(entre 20 et 24 mois), les sociétés membres de l'UES forment un
pourvoi.
Dans sa décision du 5 mars 2008, la Cour de Cassation rejette ce pourvoi en indiquant que :
« Il résulte des articles L. 431-5 et L. 432-1 du Code du travail2
que le comité d'entreprise doit être consulté sur la dénonciation par
le chef d'entreprise d'un accord d'entreprise qui intéresse
l'organisation, la gestion ou la marche de l'entreprise. A défaut
de consultation préalable du comité d'entreprise sur la dénonciation
d'un tel accord, celle-ci demeure sans effet jusqu'à l'accomplissement
de cette formalité, et une décision unilatérale de l'employeur
d'appliquer une nouvelle mesure relative au même sujet constitue un
trouble manifestement illicite auquel il doit être mis fin.».
Deux enseignements apparaissent pour l'essentiel de cet arrêt :
- l'un sur la procédure de dénonciation ;
- l'autre sur la sanction d'un non respect des prérogatives du comité d'entreprise.
Les sociétés membres de l'unité économique et sociale
développaient, en pratique, un raisonnement habile dont les
principaux termes étaient les suivants :
- la dénonciation d'un accord collectif -qui ne fait l'objet que de
dispositions procédurales dans le Code du travail- constitue une
prérogative que l'employeur peut utiliser sans avoir à apporter
une justification quelconque (Cass. Soc. 20 octobre 1993) ;
L'intérêt d'une consultation du comité d'entreprise -qui porte
notamment sur les motifs du projet de l'employeur- apparaît ainsi
nettement plus réduit qu'à l'accoutumée ;
- mais surtout les
membres de l'unité économique et sociale soutenaient que la
dénonciation n'avait aucun effet direct sur les conditions de travail
du personnel, puisque l'accord collectif dénoncé continuait à produire ses effets pendant une durée maximale de 15 mois.
Les modifications des conditions de travail étaient donc, dans l'esprit
de l'employeur, liées soit à l'intervention d'un nouvel accord
collectif, soit à la définition de nouvelles règles de durée du
travail, cet accord ou ces règles devant en tout état de cause être
soumis à la consultation préalable des représentants du personnel
d'entreprise.
Le pourvoi soutenait ainsi notamment que « la consultation du
comité d'entreprise ne s'imposait donc pas préalablement à la
dénonciation d'un accord collectif par l'employeur », mais également
que « le comité d'entreprise ne doit donc être consulté que
postérieurement à la dénonciation, avant que l'accord dénoncé ne cesse
de s'appliquer ».
En l'espèce, cette thèse de l'absence de consultation obligatoire du
comité d'entreprise pouvait trouver un certain écho dans une décision
de la Cour de Cassation du 20 octobre 1993 qui -tout en rappelant le
caractère discrétionnaire d'une dénonciation d'un accord collectif-
estimait que cette dénonciation ne devait donner lieu qu'à une «
information du comité d'entreprise »3.
Aussi, attrayante soit-elle, l'analyse de l'employeur n'a pas été
retenue par la Haute Juridiction et ce pour les motifs suivants :
- En premier lieu, dans son célèbre arrêt du 5 mai 1998 (arrêt
EDF), la Cour de Cassation a souligné que -conformément à l'article L.
2323-2 (nouveau) du Code du travail4, les décisions de l'employeur relevant de la consultation préalable du comité d'entreprise pouvaient avoir soit un caractère unilatéral,
soit prendre la forme d'accords collectifs.
A ce titre, la dénonciation constitue à l'évidence une « décision » au sens de cette jurisprudence.
- En deuxième lieu, et ce point ne saurait être discuté, les règles
relatives à l'aménagement de la durée du travail relèvent de plein
droit de la compétence du comité d'entreprise.
La durée du travail est d'ailleurs expressément citée par l'article L. 2323-6 (nouveau) du Code du travail5.
- En dernier lieu et même si elle ne l'indique pas expressément, la Haute Juridiction sociale estime que la dénonciation d'un accord collectif induit en elle-même, certes de façon différée, une évolution des conditions de travail des salariés concernés, cette situation justifiant pleinement le respect des prérogatives du comité d'entreprise.
En conséquence, la dénonciation d'un accord collectif doit être soumise
préalablement aux institutions représentatives du personnel, la
consultation ayant notamment pour objet de définir précisément les
différentes conséquences pouvant être observées au regard de la
situation conventionnelle (présente et à venir) des salariés intéressés.
Dans une perspective optimiste, l'appréciation des conséquences d'un
défaut de consultation des comités d'entreprise conduisait les juristes
à prendre en compte :
- les dispositions de l'article L. 2146-1 du Code du travail,
lequel sanctionne pénalement l'employeur au titre du délit d'entrave,
étant rappelé que ce délit peut aujourd'hui entraîner la mise en cause
de la responsabilité pénale des personnes physiques et/ou des personnes
morales ;
- une décision de la Cour de Cassation du 11 janvier 2007 relative
au non respect des compétences du comité d'entreprise à l'occasion
d'une procédure de licenciement pour motif économique, cette décision
soulignant que :
« Seule l'absence d'un plan de sauvegarde de l'emploi ou la nullité
de celui-ci entraîne la nullité de la procédure de licenciement pour
motif économique. L'irrégularité de la procédure consultative permet
seulement d'obtenir la suspension de la procédure de licenciement, tant
qu'elle n'est pas achevée par la notification des licenciements ou, à
défaut, la réparation du préjudice subi à ce titre ».
- l'arrêt précité de la Cour de Cassation du 5 mai 1998 relatif aux
conséquences d'une absence de consultation préalablement à la
conclusion d'un accord collectif, cette jurisprudence indiquant que :
« Le défaut de consultation du comité d'entreprise qui peut être
sanctionné par ailleurs selon les règles régissant le fonctionnement
des comités d'entreprise n'a pas pour effet d'entraîner la nullité ou
l'inopposabilité d'un accord collectif d'entreprise conclu au mépris
... (des dispositions légales) ».
Cet environnement légal et jurisprudentiel pouvait permettre de
considérer, certes de façon rapide, qu'une décision de l'employeur une
fois appliquée ne pouvait voir sa validité ou son entrée en vigueur
discutée en raison d'un non respect des compétences consultatives du
comité d'entreprise.
C'est à cette démarche que faisait expressément référence le pourvoi
des sociétés membres de l'UES. Pour autant la Cour de Cassation rejette
très clairement cette analyse en matière de dénonciation des accords
collectifs, la décision du 5 mars 2008 indiquant qu'à défaut de
consultation préalable du comité d'entreprise, la Cour d'Appel avait
exactement déduit que la dénonciation « était demeurée sans effet »6.
S'il n'est pas certain que la question de la validité juridique de la
dénonciation soit définitivement tranchée par la Haute Juridiction, les
incidences de cet arrêt sont des plus significatives, l'accord
collectif dénoncé de façon irrégulière demeurant -par
principeapplicable tant que la procédure de dénonciation n'aura pas été
régularisée, c'est-àdire que le comité d'entreprise n'aura pas été
consulté. L'impact social de cette analyse apparaît, à cet égard
majeur, puisqu'au cas particulier les juridictions sociales considèrent
sans effet, en 2008, une dénonciation réalisée en 2003 et en 2004 et
contestée seulement en 2005.
Au plan des principes, les sociétés ayant procédé -même il y a
plusieurs années- à des dénonciations d'accords collectifs (notamment
relatifs à la durée du travail) sans avoir consulté leur institutions
représentatives peuvent être placées, du fait de l'intervention de la
Cour de Cassation, dans une situation particulièrement inconfortable.
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1 Flash - Bulletin - Rapport annuel des arrêts de la Cour de
Cassation.
2 Aujourd'hui articles L2323-2 et L2323-6 (nouveaux) du
Code du travail.
3 Reste cependant que la notion d'information retenue par
la Cour de Cassation n'était pas dénuée d'ambiguïté, cet
échange «devant permettre un échange entre employeurs
et représentants des salariés sur les questions en débat».
4 Ancien article L. 431-5 du Code du travail.
5 Ancien article L. 432-1 (alinéa 1er) du Code du travail.
6 Notons que la Cour d'Appel de Paris avait déjà jugée «
sans effet » la dénonciation irrégulière d'une convention
collective, compte tenu -notamment- du fait que le comité
d'entreprise n'avait pas été préalablement consulté (CA
Paris, 6 mars 2002).
Article paru dans la revue Décideurs : Stratégie, Finance, Droit n°96 - juillet 2008
Authors:
Ghislain Beaure d'Augères, Avocat Associé
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