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Discrimination pour état de santé et handicap

09/06/2011


Les différences de traitement fondées sur l'inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l'état de santé ou du handicap, ne constituent pas une discrimination fondée sur l’état de santé lorsqu'elles sont objectives, nécessaires et appropriées. Ce qui ne peut pas être le cas lorsque le médecin du travail a délivré un avis d'aptitude avec réserves, le non renouvellement d’un CDD pour ce motif étant discriminatoire.

Ne pas confondre avis d’inaptitude et avis d’aptitude avec réserves. C’est ce que rappelle la Cour de cassation par un arrêt du 25 janvier 2011(1). La différence est conséquente car si le défaut de renouvellement du CDD trouve sa cause dans les réserves émises dans l’avis d’aptitude, il s’agit d’une discrimination directe.

Non renouvellement d’un CDD

Suite à un arrêt de travail, un salarié sous CDD est déclaré apte par le médecin du travail, sous réserve d’une mobilité déconseillée et d’horaires de travail devant rester strictement identiques. Le CDD arrivant à échéance quelques mois plus tard, l’employeur informe le salarié de son non renouvellement. Pourtant, au même moment, 26 CDD ont été renouvelés. Estimant que la décision était liée à son état de santé, le salarié a saisi la justice et a réclamé des dommages-intérêts pour discrimination. Il s’est fondé sur l’article L. 1132-1 du Code du travail qui dispose qu’aucun salarié ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, en matière de renouvellement de contrat en raison de son état de santé.

Défense de l’employeur tirée des différences de traitement autorisées

Afin de justifier le non renouvellement du CDD, l’employeur s’est fondé sur l’article L. 1133-3 du Code du travail selon lequel : « les différences de traitement fondées sur l’inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l’état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectives, nécessaires et appropriées. »

L’employeur considère que cette différence de traitement est justifiée par l’importance des réserves. Il tente donc de caractériser les raisons objectives, nécessaires et appropriées, à savoir : les fonctions d’agent de médiation occupées par le salarié impliquaient qu’il travaille de jour ou de nuit, selon les nécessités du service et une mobilité sur d’autres sites. Or le fait de devoir rester strictement sur les mêmes horaires de nuit et, dans toute la mesure du possible, dans le même quartier, d’après les réserves émises par le médecin du travail, impliquait une rigidité incompatible avec les souplesses nécessaires à l’efficacité du poste occupé. La cour d’appel rejeta la discrimination estimant que les réserves constituaient effectivement une raison objective.

Position de la Haute Juridiction : discrimination directe liée à l’état de santé

Le moyen de défense de l’employeur était inopérant, d’après la Haute Cour qui rappelle qu’il ne faut pas confondre inaptitude et aptitude avec réserves, fussent-elles très contraignantes. En effet, elle avait déjà pris position sur cette question en considérant que l'avis d'aptitude avec réserves ne peut être requalifié en avis d’inaptitude ni par l'employeur ni par les juges du fond. En outre, elle avait jugé que l'employeur ne peut pas licencier le salarié pour inaptitude même si les restrictions émises par le médecin du travail sont très importantes(2). La Cour fait cette fois application de ce principe en matière de discrimination et précise, pour la première fois, que l’article L. 1133-3 ne s’applique « qu’en cas d’inaptitude constatée par le médecin du travail conformément aux dispositions de l’article R. 4624-31 du Code du travail », c'est-à-dire après une étude du poste et des conditions de travail et deux examens médicaux espacés de deux semaines. Elle adopte donc une lecture littérale de ce texte qui permet d’écarter toute discrimination lorsqu’un employeur licencie pour impossibilité de reclassement, un salarié que le médecin du travail a déclaré inapte. Aussi, selon elle, les différenciations objectives, nécessaires et appropriées ne peuvent être invoquées en présence d’un avis d’aptitude avec réserves, quand bien même ces réserves conduiraient à rendre extrêmement difficile le réemploi du salarié. En conséquence, le salarié avait bien fait l’objet d’une discrimination fondée sur l’état de santé.

Un arrêt à mettre en parallèle avec la position récente de la Halde

Cet arrêt est à rapprocher d’une délibération de la Halde du 13 décembre 2010(3). En l’espèce, un candidat, après s’être soumis à l’examen médical d’embauche, s’est vu reconnaître une aptitude préconisant un périmètre de marche à réduire au maximum et un poste de préférence sans déplacement. L’établissement public employeur qui ne pouvait respecter ces recommandations, n’a pas donné une suite favorable au recrutement en se basant sur les « réserves médicales apportées par le médecin du travail ». L’employeur considérait que les recommandations du médecin du travail étaient incompatibles avec un poste de travail administratif à part entière, dans un établissement public de santé où une très large part des missions ne peut être assurée si les déplacements sont réduits ou supprimés. D’après la Halde, l’employeur n’a ni procédé à l’aménagement de poste requis, ni contesté l’avis médical et il ne démontre pas en quoi l’aménagement de poste aurait représenté une charge disproportionnée pour le service. En conséquence, selon elle, le refus d’embauche constitue une discrimination qu’elle fonde de manière étonnante sur le handicap. Par une autre délibération du 13 décembre 2010, la Halde rappelle le cadre juridique dans lequel s’inscrit l’accès à l’emploi des handicapés dans la fonction publique et précise les pratiques pouvant être développées par les employeurs publics pour favoriser l’insertion professionnelle des handicapés dans le respect des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination.

Les enseignements de l’arrêt du 25 janvier 2011

L’arrêt du 25 janvier 2011 nous enseigne qu’en cas d’avis d’aptitude assorti de réserves telles qu’elles rendent difficile l’emploi du salarié, le non renouvellement d’un CDD ne peut être effectué sans risque. En cas de contentieux se fondant sur une discrimination pour état de santé, la sanction est la nullité de la mesure. Aussi, avant de s’engager sur une voie périlleuse, il incombe à l’employeur soit :

  • d’aménager un poste de travail compatible avec les réserves médicales,
  • de solliciter le médecin du travail pour qu‘il formule des propositions d’aménagement de poste,
  • de contester l’avis auprès de l’inspection du travail qui rend sa décision après avis du médecin inspecteur du travail.

La tendance actuelle au renforcement de la lutte contre toutes formes de discriminations ne faiblit pas. Légitime et essentielle, elle pose néanmoins de grandes difficultés d’appréhension tant au niveau juridique qu’en gestion des ressources humaines.


1. Cass.soc., 25 janvier 2011, n° 09-72.834

2. Cass. soc., 28 janv. 2010, n° 08-42.616

3. N° 2010-274


Par Guillaume Bossy, avocat associé et Han Hassoumi, avocat, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon

Article paru dans la revue Décideurs d'Avril 2011

Auteurs

Portrait deGuillaume Bossy
Guillaume Bossy
Associé
Lyon