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« Donation-Cession » : Clarification… (2ème partie)

20/02/2012


La bonne gestion consiste notamment à payer le moins d’impôt possible dans la conduite de ses affaires, à condition bien entendu de respecter la loi. Cet impératif naturel s’applique légitimement à la gestion du «père de famille » cher au Code civil. Tel est l’enseignement qu’il paraît possible de retenir de la toute première décision rendue par le Conseil d'Etat sur une opération de «donation-cession».


7. Donner puis racheter, est-ce mal ? Non …

Une autre circonstance de cette affaire retient spécialement l’attention, l'administration fiscale en ayant du reste retiré un moyen nouveau au stade de son pourvoi au Conseil d'Etat. Les enfants avaient immédiatement revendu les actions à une société contrôlée par ailleurs par l’un des parents donateurs. Celui-ci avait ainsi pu conserver le contrôle des biens donnés. Le fisc croyait pouvoir soutenir en conséquence que la donation n'avait pas porté sur les actions mais sur des liquidités correspondant au produit de leur revente. Le Conseil d'Etat a écarté cette thèse de manière très claire « dès lors que la donation des actions ne revêtait pas de caractère fictif et qu'elle a ainsi opéré un transfert des titres du patrimoine des donateurs à celui de leurs enfants, avant la cession par ces derniers des titres dont ils étaient devenus propriétaires ».

En pratique, la reprise indirecte du contrôle du bien donné ne doit pas être confondue avec la réappropriation –illicite- par le donateur du produit de cession de celui-ci.

8. Sincérité de la donation et but exclusivement fiscal

Enfin, la sincérité de la donation étant reconnue, le Conseil d'Etat considère qu’il n’est pas « besoin de rechercher si l'opération de donation suivie de la cession des titres présentait dans son ensemble un but exclusivement fiscal ». Dans l’affaire en cause, les buts autres que fiscaux poursuivis par les donateurs avaient été suffisamment mis en lumière par le Conseil d'Etat pour que toute imputation de fraude par « exclusivisme fiscal » soit jugée irrecevable. Mais ce qui surprend ici, c’est qu’en présence d’un acte non fictif le Conseil d'Etat semble écarter par principe toute application de la seconde branche de l'abus de droit. Or, celle-ci a précisément pour objet de permettre le contrôle des actes régulièrement conclus et exécutés. Le paradoxe n’est sans doute qu’apparent : selon la jurisprudence, l’acte à but exclusivement fiscal procède d’un montage dépourvu de substance juridique et économique. Ici, la donation régulière emporte nécessairement des effets juridiques et économiques substantiels. L’effet fiscal de purge des plus-values n’en est qu’une conséquence parmi d’autres. Il ne peut donc s’agir de son unique but. L’intention des auteurs de l’acte peut donc se déduire des effets réels de leur geste (principe d’« équivalence des buts et des effets ») et de ce fait, il faut comprendre de l’arrêt que le grief du but exclusivement fiscal doit être écarté d’emblée.

9. Donation en démembrement : une limite ?

La donation portait sur la pleine propriété des actions. La position du Conseil d'Etat pourrait-elle être différente en cas de donation avec réserve d’usufruit ? Nous ne le pensons pas en raison de la portée reconnue par le Conseil d'Etat aux prévisions contractuelles conformes aux dispositions du Code civil.

La chose nous paraît certaine lorsque consécutivement à la vente du bien démembré, donateur et donataire se partagent équitablement le prix. D’ailleurs, dans ce cas, le donateur supporte l’impôt sur la plus-value dégagée par la vente de son usufruit.

Il en va de même à notre avis lorsque le démembrement de propriété est reporté sur les biens acquis en remploi du prix de vente. Une telle modalité ne manifeste en rien une quelconque réappropriation de la part du donateur. La donation reste parfaite et emporte donc nécessairement un effet de purge des plus-values, qui est cependant cantonné à la quote-part afférente à la nue-propriété donnée. La Cour Administrative d'Appel de Lyon s’est d’ailleurs récemment prononcée en ce sens (7 juillet 2011 n° 09-02748/02997).

Qu’en serait-il en cas d’exercice d’un quasi-usufruit ? Conformément aux dispositions de l’article 587 du Code civil, lorsque l’usufruit porte sur «des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l'argent», alors « l'usufruitier a le droit de s'en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l'usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution ». En d’autres termes, l'usufruitier prend l’argent correspondant au prix de vente du bien démembré, à charge de le rendre aux nus-propriétaires à l’extinction de l’usufruit. Lorsque celui-ci est viager, comme c’est très souvent le cas en pratique, sa dette de restitution pèsera sur sa succession. Et si ses héritiers sont également les donataires de la nue-propriété, ce qui est également le plus fréquent, ceux-ci seront au final à la fois créanciers et débiteurs de la même somme d’argent (sous réserve qu’ils acceptent la succession). Cette situation témoigne-t-elle d’un cas « pendable » de réappropriation par le donateur ?

Le Comité de l’abus de droit a répondu par la négative en 2006 (n° 2006-18), en se fondant de manière juridiquement très rigoureuse sur le constat commandé par le Code civil : « la convention de quasi-usufruit au bénéfice du donateur le laisse redevable d’une créance de restitution de même montant à l’égard des nus-propriétaires donataires ». Or, l’existence de la créance de restitution témoigne de la réalité de la donation.

Cependant, l'administration a explicitement indiqué qu’elle ne se ralliait pas à l’avis exprimé par le Comité. Le cas reste donc « contentiogène » jusqu’à plus ample informé.

10. Donation-cession et apport-cession : deux poids deux mesures ?

Pour compléter l’analyse, on ne pourra manquer de comparer la solution de l’arrêt Motte-Sauvaige avec la jurisprudence du Conseil d'Etat rendue en matière d’« apport-cession ». Rappelons sommairement que ce schéma consiste pour une personne physique à apporter en neutralité fiscale –report ou sursis d’imposition- des titres à une société holding soumise à l’IS, qui les revend à brève échéance sans dégager de plus-value imposable. Le Conseil d'Etat estime à l’égard des opérations réalisées en report d’imposition que, nonobstant l’absence de toute fictivité du holding et malgré les multiples implications juridiques et économiques que comporte la structuration ainsi mise en place, il y là « montage ayant pour seule finalité de permettre au contribuable de disposer effectivement des liquidités obtenues lors de la cession » des titres. La véritable présomption de fraude ainsi instituée ne cède que si la preuve est faite que le holding a effectivement réinvesti le produit de la vente des titres « dans une activité économique ».

Etant précisé que dans l’affaire Motte-Sauvaige les titres donnés étaient grevés d’une plus-value en report, apport-cession et donation-cession semblent faire l’objet d’une singulière différence d’approche de la part du Haut tribunal. Là encore, le paradoxe n’est qu’apparent (pour autant cependant que l’on admette la pertinence de la position adoptée par le Conseil d'Etat en matière d’apport-cession, ce qui ne va pas de soi). En premier lieu, une différence de fond distingue les deux types d’opérations : l’ingénierie de l’apport-cession repose fiscalement sur le régime de report (ou sursis) d’imposition qui est au cœur de l’opération, puisqu’intrinsèquement c’est l’apport des titres qui en lui-même génère une plus-value en report (ou en sursis). A l’inverse, si la donation-cession frappe certes une plus-value en report d’imposition, ou en sursis ou simplement latente, ce n’est là pour autant qu’une conséquence de « second degré » induite par la donation.

Ainsi, sous réserve bien entendu que la donation soit sincère et exempte de toute corruption, le juge se contente d’en admettre toutes les conséquences, dont celle –radicale- de la purge des plus-values. Les opérations postérieures à la donation, dont particulièrement la cession des titres qui procure des liquidités aux donataires, sont indifférentes quand bien même le donateur y participerait.

S’agissant en revanche de l’apport-cession, le juge paraît considérer qu’en raison du contrôle exercé par le contribuable sur le holding, la dépossession qu’il consent n’est pas assez aboutie, à la différence d’une donation réalisée en faveur d’enfants, fussent-ils mineurs. En conséquence, il subordonne le report d’imposition –qui pourtant à ce stade n’est qu’un effet temporaire- à l’examen des opérations post-apport réalisées par la société.

En ce qui concerne le sursis d’imposition, on attend toujours la position du Conseil d'Etat quant aux opérations d’apport-cession réalisées sous ce régime. On sait que, compte tenu de son économie particulière, différente de celle du report, la solution retenue mériterait d’être différente, ainsi que l’avait d’ailleurs estimé en 2005 le Comité de l’abus de droit. En revanche, la donation-cession de titres grevés d’une plus-value en sursis n’appelle à l’évidence pas d’autre solution que celle de l’arrêt Motte-Sauvaige : en effet, qu’il s’agisse de plus-value en report, en sursis ou simplement latente, la donation n’est légalement jamais un fait générateur de taxation.


Par Luc Jaillais et Olivier de Saint Chaffray, avocats associés,

Article paru dans la revue Option Finance du 20 février 2012

Auteurs

Portrait deLuc Jaillais
Luc Jaillais
Associé
Paris
Portrait deOlivier de Saint Chaffray
Olivier de Saint Chaffray
Associé
Paris