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Du nouveau en matière d’ouvrages de distribution d’électricité

Eclaircissements jurisprudentiels concernant le régime juridique du compteur Linky

20/09/2019

La question du transfert de la propriété des ouvrages concédés à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) en cas de transfert de la compétence « électricité » par les communes soulève celle, consécutive, de la légalité de la délibération d’un conseil municipal s’opposant au déploiement du compteur communicant « Linky » sur son territoire. Le Conseil d’Etat vient d’éclairer ce débat par deux importants arrêts (CE, 28 juin 2019, n° 425975, Commune de Bovel ; CE, 11 juillet 2019, n° 426060, Commune de Cast). La seconde de ces décisions est également intéressante en termes de concurrence de pouvoirs de police.

La propriété des ouvrages concédés est attachée à la qualité d’autorité organisatrice de la distribution d’électricité

On sait, depuis la loi municipale du 5 avril 1884 et surtout la loi du 15 juin 1906 sur les distributions publiques, que les communes sont les autorités concédantes de la distribution publique d’électricité et de gaz et que les ouvrages concédés sont des biens de retour : ils appartiennent à ces autorités. Aucun texte ne leur a jamais retiré ce droit de propriété. Restait à déterminer le sort de ces ouvrages lorsque comme elles y sont fortement incitées, les communes se regroupent pour exercer ces compétences en commun. Le débat dure depuis des décennies.

Le Conseil d’Etat vient de juger que lors du transfert, par des communes, de leur compétence en matière d’organisation de la distribution publique d’électricité (article L.2224-31 du Code général des collectivités territoriales - CGCT) à un EPCI, celui-cii devient ainsi sur leurs territoires l’autorité organisatrice de la distribution d’électricité (AODE). Ce transfert de compétence emporte également transfert de la propriété des ouvrages des réseaux publics de distribution d’électricité, parmi lesquels les dispositifs de comptage communicants - soit, pour ENEDIS, les compteurs « Linky » (article D.342-1 du Code de l’énergie).

Par l’article L.1321-4 du CGCT, le législateur s’est en effet réservé la faculté de décider d’un transfert de propriété corrélatif à un transfert de compétence, par dérogation aux dispositions de l’article L.1321-1 du même code qui posent le principe de la mise à disposition des biens utilisés pour l’exercice de la compétence transférée. Le Conseil d’Etat juge que c’est précisément ce qui résulte des 2e et 3e alinéas du IV de l’article L.2224-31 du CGCT et de l’article L.322-4 du Code de l’énergie, dont les dispositions attribuent la propriété des ouvrages des réseaux publics de distribution d’électricité à la commune ou à l’EPCI auquel cette dernière a transféré sa compétence : ces dispositions étaient ambiguës, s’agissant des ouvrages existant à la date du transfert. Il est ainsi jugé que la loi a posé le principe selon lequel « la propriété des ouvrages des réseaux publics de distribution d'électricité est attachée à la qualité d'autorité organisatrice de ces réseaux » (CE, 28 juin 2019, n° 425975, Commune de Bovel). Or, les installations de comptage, tels les nouveaux compteurs Linky, sont des biens de retour des concessions de distribution publique. Il en va d’ailleurs de même pour le gaz, de sorte que l’on peut imaginer que la solution vaut pour les deux énergies.

Sur ces fondements, le Conseil d’Etat a ensuite, pour la première fois également, retenu l’incompétence d’un conseil municipal pour adopter une délibération s’opposant, ou imposant des conditions, au déploiement du compteur « Linky » sur son territoire, au motif que cet ouvrage concédé appartenait à l’AODE à laquelle la compétence « électricité » avait été transférée par la commune (CE, 11 juillet 2019, n° 426060, Commune de Cast).

En tranchant ce débat sur la propriété des ouvrages du réseau en cas de transfert de la compétence de distribution publique, le Conseil d’Etat a confirmé la solution donnée par les juridictions du fond dans de nombreuses affaires relatives au même compteur « Linky » (voir notamment : CAA Nancy, 12 mai 2014, n° 13NC01303 ; CAA Marseille, 8 mars 2019, n° 19MA00537, Commune de Barjols), dans la ligne d’une jurisprudence ancienne relative à d’autres transferts de compétences (sur la compétence « voirie » : CE, 14 janvier 1998, n° 161661, Communauté urbaine de Cherbourg ; sur la compétence « eau » : CE, 1er avril 1994, n° 146946, Commune de Réau) et de la doctrine du ministère de l’Intérieur (lettre d’information de la Direction générale des collectivités locales à destination des préfectures du 1er avril 2016).

Sur un même objet précis, la police spéciale relevant de l’Etat évince les pouvoirs de police générale du maire

L’arrêt Commune de Cast précise en outre que l’Etat dispose d’un pouvoir de police spéciale visant à limiter les émissions électromagnétiques des équipements électriques à un niveau qui doit assurer la protection des populations. Il est par conséquent responsable non seulement du fonctionnement optimal des compteurs « Linky », mais plus largement de la protection de la santé publique au titre de la compatibilité électromagnétique des équipements électriques. Cette police spéciale exclut par suite l’intervention du maire au titre de son pouvoir de police administrative générale, juge le Conseil d’Etat en transposant sa jurisprudence sur les « antennes-relais » (CE, Ass., 26 octobre 2011, nos 326492, 329904, 341767 et 341768, Commune de Saint-Denis, Commune de Pennes-Mirabeau et SFR).

Que la commune ait conservé ou transféré la compétence d’AODE est indifférent : un maire est incompétent pour adopter, sur le territoire de sa commune, des décisions destinées à protéger les habitants des effets des ondes émises par les compteurs « Linky », puisque cette compétence relève des autorités de l’Etat, notamment aux termes des dispositions de l’article R.323-28 du Code de l’énergie et celles de l’article R.341-6 du même code.

Le maire ne peut pas plus invoquer le principe de précaution issu de l’article 5 de la Charte de l’environnement pour contourner cette question de concurrence des pouvoirs de police, en l’espèce pour adopter une décision « anti-Linky » visant à protéger les habitants d’un risque sanitaire allégué lié aux ondes électromagnétiques émises par ces équipements. Le principe de précaution s’impose en effet à chaque autorité publique dans la seule limite de ses attributions et ne saurait donc lui permettre de les étendre, comme cela résulte également de la décision d’Assemblée précitée sur les « antennes-relais ».

Les deux décisions seront publiées aux Tables du recueil Lebon.


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Cet article a été publié dans notre Lettre des régulations d'octobre 2019. Cliquez ci-dessous pour découvrir les autres articles de cette lettre.

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Christophe Barthelemy