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ISF : un assouplissement ciblé

23/01/2006

A côté de la frappe lourde du bouclier fiscal qui permet, sans distinguer selon la composition du patrimoine, de réduire la charge d'impôt et en premier lieu d'ISF de certains contribuables, les députés, approuvés par le gouvernement, ont prévu une frappe chirurgicale contre l'impôt sur la fortune, ciblée sur les porteurs de titres de sociétés. Comme indiqué dans l'exposé des motifs, il s'agit là "d'encourager un actionnariat stable des sociétés, notamment françaises".

Rappelons que les titres font déjà l'objet de toutes les sollicitudes du législateur : détenus par un dirigeant, ils peuvent être totalement exonérés en tant que biens professionnels et, à condition de faire l'objet d'un engagement de conservation (dit pacte Dutreil) par un groupe d'actionnaires ou d'associés qui détient collectivement, 34% au moins du capital (20% lorsque les titres sont cotés), ils sont exonérés à concurrence de la moitié de leur valeur.

La mesure nouvelle, applicable dès l'ISF 2006, s'adresse à une catégorie jusqu'alors ignorée: les détenteurs de titres qui travaillent dans l'entreprise sans la diriger ou sans parvenir à fédérer autour d'eux un groupe suffisant pour conclure un pacte Dutreil.

La mesure proposée se veut manifestement d'application large :

  • elle s'applique quel que soit le pourcentage de détention,
  • elle vise non seulement les dirigeants mais aussi tous les mandataires sociaux, y compris donc les membres du conseil de surveillance et les administrateurs,
  • elle bénéficie aux "simples" salariés.



S'agissant d'une mesure exceptionnelle, des précautions sont prises par le législateur :

  • Les parts ou actions doivent être nominatives. La condition est d'avance satisfaite pour les parts et pour les actions non cotées. Elle sera aisée à remplir pour les actions cotées détenues en direct. En cas de détention collective, par exemple, par le biais d'un PEE, des dispositions particulières devront être prises : la circulaire "épargne salariale" du 14 septembre 2005 contient pour les stock-options levées dans le cadre d'un PEE une solution qui pourrait être transposée ici : isoler les titres dans un compte spécifique ou un sous-compte du compte individuel du salarié (JO du 1er novembre 2005 p.17221).
  • Le redevable doit être propriétaire : Là encore, en principe, une condition indolore puisque la propriété des titres s'accommode d'une détention indivise au sein du couple ou entre héritiers. Mais, paradoxe du texte, elle pourrait évincer les contribuables qui auront donné la nue-propriété de leurs titres en s'en réservant l'usufruit. Dans cette situation, l'usufruitier reste imposable à l'ISF sur la valeur des titres (CGI, art. 885 G) mais n'étant pas juridiquement propriétaire de ceux-ci, il ne pourra bénéficier de la nouvelle exonération qu'au prix d'une interprétation bienveillante du texte.
  • La fonction ou l'activité doit être principale, sans que la loi ne définisse cette notion. On se réfèrera donc à la doctrine administrative qui, lorsqu'elle a eu à se prononcer sur cette notion en matière de biens professionnels (Doc. Adm 7 S 3321 N°5), a dégagé deux critères : l'activité principale doit constituer l'essentiel des activités économiques du redevable ou, à défaut, lui procurer la plus grande partie de ses revenus professionnels.

Le texte se veut par ailleurs pragmatique en admettant que le contribuable qui exerce son activité dans un groupe de sociétés aux activités similaires ou connexes et complémentaires, bénéficie de l'exonération sur les titres de chacune de ces sociétés. Il admet aussi la possibilité d'une interposition unique (exonération des titres d'une société mère détenant plus de 50% de la filiale dans laquelle est exercée l'activité).

Enfin est introduite l'exigence de la conservation des titres pendant un délai d'au moins 6 ans courant à compter du 1er janvier de l'année de la première demande d'exonération.

Que se passera t-il si le contribuable ne remplit plus les conditions prévues par le texte ?

Ces conditions, on l'a vu, sont multiples. Pourtant le texte ne qualifie de "condition" que celle tenant à la détention pendant 6 ans. Tout se passe comme si l'exonération était "de droit" dès lors que le titre est nominatif, détenu par un mandataire ou salarié qui exerce son activité principale dans l'entreprise, et comme si s'y ajoutait une condition unique, celle de détenir les titres pendant 6 ans. Ce raisonnement en deux temps n'est pas anodin, car il permet de distinguer entre la sortie du champ d'application de la mesure, qui n'aura d'effet que pour le futur, et la violation de la condition prévue par la loi, qui mettra fin à l'exonération de façon rétroactive.

En pratique :

  • Soit le contribuable cesse d'exercer son activité principale dans l'entreprise mais conserve la propriété des titres pendant 6 ans. Il perd alors son droit à exonération pour la période postérieure à la cessation d'activité.
  • Soit le contribuable cesse de détenir les titres pendant la période de 6 ans : la perte de l'exonération est alors rétroactive. Seule consolation, la loi ne prévoit aucune sanction spécifique. Mais l'administration exigera certainement des intérêts de retard.

L'exonération des 3/4 vise aussi les retraités pour les titres dont ils étaient déjà propriétaires trois ans avant leur départ et qui ont exercé leur activité principale dans l'entreprise, soit à titre de mandataire social, soit à titre de salarié. On doit espérer que l'exonération pourra être revendiquée par ceux des intéressés qui peuvent justifier de l'antériorité de la détention de leurs titres même si leur mise au nominatif n'a été opérée qu'en prévision de l'application de l'exonération.

Le contribuable doit avoir mis fin à son activité pour faire valoir ses droits à la retraite (condition prévue par le texte). Si l'ensemble de ces conditions est rempli, le bénéfice de l'exonération de 75 % de la valeur des titres sera accordé à vie, du moins tant que l'intéressé détiendra les titres de son ancienne entreprise.

La mesure ne vise pas seulement les futurs départs. Un contribuable, retraité depuis déjà 10 ans en 2006, mais qui a, dans le passé, détenu, pendant trois ans les titres de l'entreprise dans laquelle il exerçait son activité principale en tant que mandataire ou salarié bénéficie donc, jusqu'à son trépas, d'une exonération de 75% sur la valeur des titres précieusement conservés.

Sont intéressés en premier lieu les dirigeants qui bénéficiaient, du temps de leur activité, de l'exonération des titres en tant que biens professionnels et qui, du jour de leur retraite, sont imposés à plein sur la valeur de leur portefeuille : le choc sera désormais bien moindre puisqu'en définitive l'exonération totale sera remplacée par une exonération de 75%.

Reste toutefois au bord de la route le mandataire déjà retraité, qui bénéficie de l'exonération tant qu'il reste mandataire mais qui, ne pouvant quitter l'entreprise "pour faire valoir ses droits à la retraite" (puisqu'il est déjà retraité) est condamné à y maintenir à vie son activité principale. Conséquence sans doute imprévue du projet, à la stabilité des actionnaires, souhaitée par les parlementaires, s'ajoutera la stabilité des mandataires.

Troisième volet, l'amplification de l'exonération accordée aux signataires d'un pacte Dutreil. Le taux d'exonération dont ils bénéficient est porté de 50% à 75% à compter du 1er janvier 2006.

On remarquera que certains signataires de ces engagements vont se trouver à présent susceptibles de profiter de deux chefs de réduction : celui du pacte et celui nouvellement accordé de plein droit aux salariés, mandataires et retraités visés ci-avant. Or on sait que la réduction d'ISF résultant du pacte est rétroactivement reprise si, dans les six ans, le pacte est rompu parce que le dirigeant (obligatoirement membre du pacte) quitte ce panel sans être remplacé par un autre membre du pacte, ou parce que la désertion d'un des signataires empêche que la détention atteigne les minimas exigés et qu'aucun autre pacte valable ne vient remplacer le pacte défunt dans l'année qui suit cette défection. Pour les privilégiés potentiellement titulaires de la double exonération, il sera judicieux de demander, dès 2006, l'application de la nouvelle mesure qui pourra leur porter secours si le pacte Dutreil venait à être rompu.

Pour terminer, quelques voeux adressés au législateur.

L'amendement laisse en suspens les conséquences du décès du contribuable et des opérations de restructuration, telle l'absorption de l'entreprise, qui portent un coup fatal aux exonérations puisque la condition de détention cesse alors d'être remplie.

On peut espérer que, d'ici le vote définitif de la loi, ces situations seront réglées positivement, comme cela a fini par être le cas pour les pactes Dutreil et le régime d'attribution gratuite d'actions.

Article paru dans la Revue Option Finance le 28/11/2005


Authors:

Jean-Christophe Sauzey, Avocat Associé - Emmanuelle Féna-Lagueny et Geneviève Olivier, Avocats