Le projet, lancé au début des années 2000 par la Commission européenne
a, dès l'origine, suscité intérêt et interrogations. Et malgré un
scepticisme compréhensible, le projet a été suivi de près aussi bien
par les organismes professionnels que par les grandes entreprises
internationales.
Aujourd'hui
ce projet, mené en collaboration avec des représentants des 27 Etats
membres arrive à maturité puisque la dernière réunion du groupe de
travail communautaire s'est tenue les 10, 11 et 12 décembre 2007. Le
compte-rendu correspondant n'a pas encore été publié mais les dossiers
de synthèse et de présentation des travaux permettent de dégager les
probables grandes lignes de cette future base d'imposition consolidée.
Un projet de directive est annoncé pour la fin de l'année 2008.
Le groupe soumis à l'ACCIS serait composé des sociétés contrôlées à 75%
au moins par la société mère, en ne retenant pour ce calcul que les
droits de vote. La détention prise en compte serait directe ou
indirecte, avec application d'une règle particulière selon laquelle :
- la détention de 75% ou plus serait réputée correspondre à une détention à 100%,
- alors que la détention de 50% ou moins serait ignorée.
Les sociétés exclues du périmètre pourraient être prises en compte pour
le calcul de la détention indirecte, étant précisé que l'objectif est
d'inclure le plus grand nombre d'entités possibles.
La société
mère n'aurait pas le choix dans la fixation du périmètre du groupe.
Elle devrait obligatoirement intégrer ses filiales à 75 %.
Les
conséquences de l'entrée et de la sortie des entreprises du groupe ne
sont pas encore clairement définies : ainsi la commission hésite-t-elle
encore entre une consolidation/ déconsolidation immédiate ou reportée
au début de l'exercice suivant.
Les entreprises susceptibles de constituer un groupe soumis à ACCIS
auraient, dans un premier temps précise la Commission, la liberté de se
placer sous ce régime ou de s'abstenir. Ce qui sous-entend que, dans un
deuxième temps, l'application de l'ACCIS serait obligatoire, solution
que, croyons-nous savoir, la France aurait volontiers appliquée
immédiatement !
La période d'imposition serait de 12 mois sans être
nécessairement calée avec l'exercice.
3.1. L'intérêt principal de la formule est bien entendu la
compensation qu'elle permet entre les résultats et les pertes des
différentes entités du groupe.
La Commission accélère là un
mouvement perceptible depuis quelque temps. Ainsi la jurisprudence de
la CJCE a déjà, par une décision Marks and Spencer de décembre 2005,
reconnu à une société mère le droit d'utiliser les pertes de sa filiale
inutilisables localement comme si elles avaient été réalisées sur son
territoire. Des régimes de consolidation internationale ont depuis été
créés, que ce soit en Italie (qui prévoit, au choix des entreprises, un
système d'intégration nationale ou d'intégration internationale) ou en
Autriche pour ne citer que les exemples les plus récents. En France, le
régime du bénéfice consolidé, très peu utilisé, offre les mêmes
possibilités de compensation.
3.2. Le projet de la
Commission va toutefois bien plus loin que ces régimes de consolidation
mondiale puisqu'il institue, outre un régime unique de consolidation
européenne, une assiette unique d'imposition, simplification
particulièrement appréciable. L'impôt serait ainsi calculé sur une
assiette commune et unique.
Clairement, la volonté de la
Commission est de pousser très loin l'harmonisation et de restreindre
les dérogations accordées aux Etats, sauf peut-être en ce qui concerne
les provisions.
3.3. Le bénéfice serait déterminé sur
la base de la comptabilité d'engagements. Il y aurait peu de revenus
exonérés et les dépenses seraient déductibles à condition de répondre
au test de l'intérêt de l'exploitation. Une liste indicative des
dépenses non déductibles a été proposée parmi lesquelles on notera la
limitation à 50% des coûts de réception et de représentation et
l'interdiction de déduire les coûts de gestion dans la mesure où ils
sont exposés pour l'obtention de dividendes, de revenus d'un
établissement stable ou de plus-values, lorsque ces éléments sont
exonérés.
3.4. Dans l'ensemble, les règles seraient proches de celles appliquées en droit français :
- l'évaluation des stocks se ferait, selon le choix de l'entreprise,
selon la méthode du premier entré premier sorti ou la moyenne du coût
moyen pondéré,
- les produits financiers seraient imposables sauf les dividendes de filiales qui seraient exonérés,
- les plus-values et moins values seraient prises en compte comme des
produits et charges ordinaires, sauf exonération (titres de
participation en particulier).
3.5. Le traitement des
amortissements changerait de façon significative pour les entreprises
françaises : plus d'amortissement dégressif ni de réduction prorata
temporis. Mais le plus important n'est pas là.
Le projet
distingue entre les actifs qui resteraient amortis sur une base
individuelle - les immeubles, certains actifs spécifiques (navires,
avions), les actifs incorporels et les actifs dont la durée de vie
excède 25 ans ou dont le coût est supérieur à 5 millions d'euros - et
ceux qui seraient amortis selon la règle du pooling.
A titre
d'exemple, les immeubles seraient amortissables au taux de 2,5% (sans
qu'il soit plus question du système des composants) et les incorporels
seraient amortissables en fonction de la durée de protection juridique
ou au taux de 6,6%.
Tous les autres biens seraient amortis par catégories, en "pool", au taux de 20% par exercice fiscal.
L'originalité
de ce système ne tient pas seulement à cette règle de pool inconnue en
France mais aussi au sort des plus-values de cession des biens
concernés. Ces plus-values seraient exonérées suivant deux modalités :
sous condition de remploi du prix de cession lorsque les biens sont
amortissables individuellement, sans condition de remploi lorsque les
biens sont amortissables en "pool". Dans les deux cas, les plus-values
de cession viendraient seulement diminuer la base amortissable des
autres biens de la catégorie. Ainsi l'imposition de ces plus-values
s'échelonnerait sur la durée d'amortissement des actifs de la catégorie
ou acquis en remplacement.
L'autre but affiché est une simplification de la fiscalité de groupe,
avec la mort annoncée des discussions relatives aux prix de transfert
dans les relations intragroupe.
En effet, les transactions intra-groupe n'auraient plus à respecter le principe de pleine concurrence.
En
revanche, les transactions entre "parties liées", définies à partir
d'un lien de plus de 20% apprécié en droits de vote, resteraient
soumises à l'obligation de respecter le principe de pleine concurrence.
Il
s'agit là d'une véritable révolution qui simplifierait très
sensiblement le quotidien des groupes internationaux. Mais bien
entendu, cette simplification ne vaudrait que dans les relations entre
entreprises du groupe soumis à l'ACCIS, et ne dispenserait pas les
groupes dont les filiales sont établies hors Union européenne de
continuer leur minutieux travail de documentation et de comparaison
pour les besoins de prix de transfert.
L'Europe n'a pas permis de mettre fin à la concurrence fiscale. Elle
l'a même exacerbée avec l'entrée dans l'Union européenne de nouveaux
Etats qui ont cherché à accueillir de nouvelles entreprises en
proposant des taux d'imposition particulièrement bas.
Pour autant la comparaison n'est pas aisée, du fait de l'hétérogénéité des bases imposables.
Avec
l'introduction de l'ACCIS, la comparaison serait grandement simplifiée
puisque les règles d'assiette seraient communes. La répartition, prévue
par la Commission, du résultat consolidé entre les différents Etats
européens, pour y être imposé selon le taux en vigueur dans chacun
d'eux apparaît donc comme la mesure la plus sensible de cette réforme.
La
stratégie fiscale des groupes simplifiée (assiette unique et pas de
prix de transfert) exacerberait d'autant la concurrence sur les taux
entre les différents Etats de l'Union européenne.
La Commission,
consciente de cette difficulté, n'a pas encore proposé de règle de
répartition clairement définie. Il est toutefois probable que celle-ci
se fera au vu non pas d'un facteur unique, mais bien d'un ensemble de
facteurs déterminants qui seraient les actifs, les salaires et les
ventes.
On le voit, c'est seulement lorsque cette épineuse
question sera réglée que les entreprises pourront se livrer à des
simulations qui devraient s'avérer particulièrement intéressantes.
Une proposition de directive est annoncée pour la fin de 2008. Pour
être adopté, le texte devra recueillir l'unanimité des Etats de l'Union
européenne. Nous croyons savoir que la France est très intéressée par
ce projet et poussera à son adoption. Mais le résultat est loin d'être
acquis. Une alternative intéressante et peut-être plus réaliste
pourrait être l'adoption de ce projet dans le cadre de la coopération
renforcée. Il suffirait alors d'obtenir l'accord de certains Etats
membres pour que le projet devienne, du moins dans ces Etats, une
réalité.
Article paru dans la revue Option Finance du 10 mars 2008
Authors:
Emmanuelle Féna-Lagueny, Avocat
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