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L'externalisation des prestations intellectuelles. Une pratique risquée

18/05/2005

Qu'entend-on sous le vocable "prestations intellectuelles"

Les "prestations intellectuelles" désignent traditionnellement les prestations qui sont effectuées sans fourniture de matériel. En quelque sorte, l'homme, et plus précisément sa matière grise, son savoir-faire, ses compétences "intellectuelles" suffisent.

Dès lors, sous-traiter ce type de prestations revient en pratique à les faire effectuer par les salariés d'une autre entreprise sans que ces derniers aient recours à un outillage spécifique.

Ajoutons que souvent, ces compétences "intellectuelles" doivent être utilisées "in situ" c'est-à-dire dans les locaux même de l'entreprise cliente, précisément pour intervenir directement sur son équipement. L'intervention sur le matériel de l'entreprise fait même parfois partie de la prestation. Tel est le cas d'une mise en réseau ou encore de l'installation d'une application informatique particulière.

Et l'on en vient à l'une des prestations intellectuelles classiques : la prestation informatique. Cette prestation peut se traduire concrètement par l'étude d'un projet informatique, la mise en place de ce projet, l'assistance technique ...

Ainsi, nombre d'entreprises ont recours à du personnel pour installer et assurer le bon fonctionnement d'applications informatiques ... sans procéder à aucune embauche puisque le personnel utilisé est celui d'un prestataire. Pourtant, ce personnel travaille dans les locaux de l'entreprise cliente, souvent à proximité de son propre personnel, déjeune dans le restaurant d'entreprise et a des horaires de travail fréquemment calqués sur ceux de ses salariés. En apparence, tout se passe comme si le personnel du prestataire était simplement "mis à disposition" de l'entreprise cliente.

Aussi, l'inspecteur du travail, voire un agent d'une autre administration (notamment de la direction générale des impôts) de même que le personnel "détaché" ou encore les syndicats 1 intéressés pourraient être tentés de voir caractériser dans cette situation non pas une prestation de services régulière mais un prêt de main d'oeuvre qu'ils qualifieraient d'illicite dans la mesure où il est réalisé hors du cadre légal du contrat d'intérim !

Rappelons que pour caractériser le délit de prêt de main d'oeuvre illicite, il suffit que l'opération ait pour objet exclusif une mise à disposition de personnel et ait un but lucratif (article L. 125-3 du Code du Travail). Dès lors qu'une prestation de services est "disqualifiée", elle est rapidement considérée comme constituant exclusivement une mise à disposition de personnel ; de plus, l'existence d'un but lucratif est peu contestable dans la mesure où la recherche d'un gain pécuniaire est la raison d'être de toute société commerciale.

Il suffit alors que l'opération cause par ailleurs un préjudice aux salariés "utilisés" ou viole une disposition législative, réglementaire ou conventionnelle, indépendamment de tout préjudice ou perte d'avantage 2 , pour que le délit de marchandage soit caractérisé (article L. 125-1 du Code du Travail).

Et force est de constater que le préjudice souffert par les salariés est facilement caractérisé : il suffit notamment que la convention collective de l'entreprise utilisatrice comporte des dispositions "globalement plus favorables", lesquelles peuvent consister dans l'existence d'un conseil de discipline, le versement d'une indemnité de mutation, des possibilités de reclassement renforcées en cas de licenciement économique collectif et une majoration de l'indemnité de licenciement 3 .

Le préjudice peut également consister dans le fait que la société utilisatrice a maintenu artificiellement son effectif en dessous du seuil l'obligeant à créer un comité d'entreprise, privant ainsi ses salariés et ceux des sous-traitants des avantages sociaux correspondants 4 .

Dès lors, il convient de s'attacher aux critères d'une prestation de services licite et à l'application de ces critères aux prestations dites intellectuelles et notamment informatiques.

Les critères de la prestation de services sont aujourd'hui bien connus compte tenu de la jurisprudence fort abondante sur le sujet.

La définition suivante peut être donnée : l'entreprise cliente doit avoir recours au prestataire pour l'exécution sous sa responsabilité d'une tâche précise et ponctuelle, qui nécessite un savoir-faire spécifique, moyennant une rémunération forfaitaire et globale, le prestataire devant conserver le pouvoir de direction et de contrôle sur son personnel, sur le matériel employé et sur la réalisation et le suivi des travaux.

L'application de ces critères aux prestations intellectuelles devrait naturellement être adaptée compte tenu de la particularité de ces prestations qui ne nécessitent aucun matériel spécifique et sont souvent réalisées au sein des locaux de l'entreprise cliente. En effet, la proximité tant géographique que fonctionnelle qui en résulte rend plus délicate l'appréciation des conditions de régularité de la prestation.

Une jurisprudence contrastée

Ces particularités des prestations intellectuelles et notamment informatiques ont été prises en compte par la Cour de cassation dans certains de ses arrêts, soit pour renforcer la qualification de prêt de main d'oeuvre illicite, soit au contraire pour atténuer l'effet "mise à disposition" de l'opération et justifier l'existence d'une véritable prestation de services.

Ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que ne constituaient pas des contrats de sous-traitance mais des prêts de main-d'oeuvre à but lucratif, les conventions passées avec une société qui ne disposait d'aucun bureau d'études, d'aucun matériel, d'aucune marchandise et qui ne pouvait offrir à ses clients que le seul travail de ses employés sans être en mesure de leur fournir un encadrement, une organisation, des modalités d'exécution originales traduisant "un savoir-faire" quelconque 5 .

En l'espèce, la qualification de prêt de main d'oeuvre illicite s'imposait plus particulièrement dans la mesure où la société ne facturait pas à ses clients sa compétence mais établissait ses factures sur la base de la seule chose qui en définitive comptait : le nombre d'heures de travail passées.

En d'autres termes, le fait que la prestation intellectuelle soit réalisée in situ, sans fourniture de matériel spécifique, n'a fait qu'accroître les soupçons d'irrégularité de la prestation, qui résultaient de l'absence de savoir-faire spécifique, de l'absence d'encadrement des travaux par le prestataire et de la rémunération à l'heure.

Ainsi, si la réalisation de la prestation in situ, sans apport de moyens techniques spécifiques, ne paraît pas susceptible en soi d'emporter la qualification de prêt de main d'oeuvre illicite, elle peut néanmoins d'après cet arrêt constituer un indice supplémentaire d'une fausse sous-traitance.

Quelques années plus tôt, la Chambre criminelle avait pourtant laissé espérer une prise en compte "positive" de ces particularités des prestations intellectuelles.

Le 7 février 1984, a en effet été rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation un arrêt ADIDA, relatif à l'exécution par quatre salariés d'une société, dénommée Alpha Informatique, de prestations informatiques pour la Régie Nationale des Usines Renault (RNUR), dans le cadre d'un programme de recherches mis au point par cette dernière.

La Cour d'appel de Paris avait considéré que Monsieur Adida, le directeur de la société Alpha Informatique, était coupable de prêt à but lucratif de main d'oeuvre dans la mesure où les contrats conclus salarié par salarié avec la RNUR ne précisaient pas d'autres obligations que la mise à disposition desdits salariés, que la société Alpha Informatique n'assurait ni la définition, ni l'exécution, ni la responsabilité du programme de recherches et qu'en définitive les opérations avaient pour but exclusif un prêt de main d'oeuvre.

La Cour de cassation a considéré en revanche qu'il ne s'agissait pas d'une simple fourniture de main d'oeuvre et a censuré l'arrêt d'appel dans les termes qui suivent :

"Attendu cependant que le prévenu soutenait dans ses conclusions, régulièrement déposées, que la société "Alpha-Informatique" est une société de services et de conseils en informatique dont l'une des activités essentielles l'oblige à déléguer son personnel auprès de sa clientèle ; qu'elle assure, à cet effet, la formation technique de ses employés en vue de l'exécution des programmes prévus, contrôle, de l'origine à la fin de la mission, toutes les opérations, en liaison avec l'utilisateur, intervient fréquemment pour effectuer de nouvelles études à la lumière des résultats constatés dans le travail du personnel délégué, donne des suggestions et conseils et assume les corrections nécessaires ; que les contrats signés avec les clients sont établis en conformité avec un contrat type mis au point par la Chambre syndicale des sociétés d'Etudes et de Conseils ; que tel était le cas en ce qui concerne les conventions liant "Alpha-Informatique" à la Régie Renault lesquels prévoyaient expressément l'encadrement et le "suivi" des travaux par Adida, qui effectuait un contrôle hebdomadaire et établissait un rapport mensuel du "suivi" permettant de mesurer l'avancement des tâches servant de base à la facturation et au "planning" prévisionnel des travaux ; qu'il en résultait que les contrats litigieux étaient, en réalité, des contrats de prestation de services ;"

La Cour de cassation a donc considéré que les conditions classiques de la prestation de services étaient réunies (accomplissement d'une tâche précise, autonomie des salariés du prestataire, savoir-faire particulier du prestataire et caractère forfaitaire de la rémunération).

Mais, ce qui rend effectivement l'arrêt intéressant est que, d'une part, la Cour de cassation n'a pas considéré que l'opération avait pour but exclusif une mise à disposition de main d'oeuvre, alors même qu'en apparence elle pouvait ne se résumer qu'à cela ..., et que, d'autre part, elle a étudié les critères de la prestation de services au regard de la particularité de l'activité de la société Alpha Informatique qui "l'oblige à déléguer son personnel auprès de la clientèle" et ce afin d'assurer la "formation technique" du personnel de l'entreprise cliente.

Un arrêt a été rendu dans le même sens, un an après l'arrêt précité, dans une autre catégorie de prestations intellectuelles.

La Chambre criminelle a en effet jugé que le contrat de sous-traitance liant une société cliente à diverses entreprises prestataires pour la réalisation d'une documentation spécialisée sur les produits fabriqués par la société cliente ne constitue pas une opération de prêt de main d'oeuvre prohibée par la loi dès lors notamment que si les employés des entreprises prestataires se trouvent en quasi permanence dans les locaux de l'entreprise donneuse d'ouvrage, au sein même des équipes en place spécialisées, cette présence est rendue nécessaire par la consultation de documents confidentiels qui ne peuvent pas quitter l'usine et par la volonté de l'entreprise donneuse d'ouvrage de conserver l'exécution d'une partie des activités considérées 6 .

Il semble malheureusement que cette jurisprudence ait connu une évolution consistant à appliquer plus strictement les critères de licéité de la prestation de services. Aussi, le domaine des prestations intellectuelles comme les prestations informatiques est-il moins à l'abri qu'il ne l'a été.

Peut notamment être cité en ce sens un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 24 avril 2001 7 .

Par cet arrêt, les juges ont considéré qu'une convention conclue entre deux entreprises, en l'occurence l'entreprise cliente représentée par le Commissariat à l'Energie Atomique (C.E.A.) et le prestataire, la Société de communications et systèmes, systèmes d'information (C.S.S.I.), qui avait pour objet la réalisation de prestations d'informatique scientifique (élaboration de programmes destinés à la simulation scientifique), constituait une fourniture de main d'oeuvre illicite.

La Cour d'appel de Paris a justifié sa décision en énonçant que nombre des critères de la prestation de services régulière n'étaient pas remplis.

Ainsi, la rémunération était déterminée "exclusivement par le nombre d'heures réalisées" et "le taux de facturation établi en fonction de la qualification des salariés". De plus, la haute qualification du personnel détaché était "analogue à celle de certains agents du C.E.A." et le prestataire n'avait transmis aucun savoir-faire relevant de sa spécificité propre, les "compétences spécifiques" des salariés étant "acquises au C.E.A. au cours de leur carrière". Enfin, le personnel du prestataire travaillait "sous les ordres, la surveillance et la responsabilité des cadres" de l'entreprise utilisatrice, "lesquels, conservant l'entière maîtrise de l'ouvrage, leur fixaient eux-mêmes, comme aux autres agents, les tâches à accomplir".

Le point particulièrement intéressant de cet arrêt consiste dans le fait que la Cour a relevé que les prestations étaient directement liées à l'activité de l'entreprise, et en l'occurrence qu'elles s'étaient inscrites "dans le cadre d'un programme du C.E.A. relevant de l'activité principale de cet établissement".

Effectivement, l'un des dangers actuels de la réalisation de prestations intellectuelles, révélé par la jurisprudence, réside dans le fait que la prestation constitue en fait un pan de l'activité de l'entreprise cliente.

Dans une telle hypothèse, la prestation ne peut en effet faire l'objet d'une "véritable sous-traitance" et ne peut qu'être dans les faits assurée par du personnel placé sous l'autorité directe du chef de l'entreprise cliente ou de ses cadres. Aussi, la prestation de services est-elle alors nécessairement considérée comme étant irrégulière.

C'est ainsi que des juges ont estimé que la gestion des stocks ne pouvait être sous-traitée dans la mesure où elle fait partie de l'activité normale de l'entreprise 8 . Leur analyse a été en toute logique semblable s'agissant de la réalisation de l'analyse des besoins d'un magasin spécialisé en électro-ménager, de la promotion, la conduite de la vente et la tenue du stock, tâches qui relèvent pareillement de "l'activité normale du magasin" 9 .

Concernant l'activité de prestations informatiques, il n'existe pas de réponse générale à la question de savoir si cette activité est ou n'est pas indissociablement liée à l'activité normale de l'entreprise. Tout dépend en effet de la nature des prestations demandées, de leur caractère pérenne ou ponctuel et de savoir si elles requièrent une technicité spécifique.

Ainsi, la Cour d'appel de Paris a considéré que le contrat conclu avec une société informatique n'est licite que dans la mesure où la prestation ne se limite pas à un apport de personnel et que tel est le cas si la prestation porte sur l'assistance technique et plus précisément sur la réalisation d'études d'organisation, la formation du personnel de l'entreprise cliente - le "transfert du savoir-faire" - et l'accès à la documentation technique du prestataire 10 .

Néanmoins, même si la prestation a un lien avec l'activité normale de l'entreprise, il est légitime de penser que cet élément ne devrait pas en soi pouvoir emporter la requalification des relations contractuelles, même si l'on prend en compte le fait que la prestation est réalisée in situ et sans moyens spécifiques.

Il existe en effet des prestations de services concourrant, même indirectement, à l'activité normale de l'entreprise, dont, peu à peu, l'on a fini par admettre qu'elles pouvaient être pérennes, alors même qu'elles s'exercent dans les locaux de l'entreprise et sans transfert de moyens techniques. A titre d'illustration, l'on peut citer la prestation "accueil-réception-standard" de plus en plus fréquemment "externalisée". Force est pour autant de constater que malgré "l'acceptabilité" grandissante de cette prestation, elle donne encore lieu à des litiges (ou des interventions d'inspecteurs du travail) pour lesquels l'incrimination de marchandage et/ou de prêt de main d'oeuvre à but lucratif n'est jamais très loin.

En tout état de cause, par prudence, il convient plus particulièrement, en cas de conclusion d'un contrat sur la réalisation d'une prestation de services informatique in situ, ayant un lien avec l'activité quotidienne de l'entreprise, de définir très précisément les tâches à effectuer, d'insister sur la spécificité du savoir-faire du prestataire et sur le caractère temporaire de la mission, de justifier la nécessité d'une intervention in situ, de décrire précisément les modalités de direction et de contrôle des salariés "délégués" par le prestataire et de ne pas définir une rémunération en considération du nombre d'heures ou de jours de travail effectués par les salariés, afin de ne pas donner l'impression d'un simple apport de personnel.

Relevons également que diverses questions se posent aujourd'hui non plus seulement vis-à-vis de prestations informatiques réalisées in situ mais plus généralement de tous types de prestations utilisant les moyens modernes de télécommunications, qui entretiennent pour certaines des liens très privilégiés avec l'activité normale de l'entreprise cliente... Une réflexion doit également être menée s'agissant des prestations qui seraient réalisées non pas dans les locaux de l'entreprise prestataire ou cliente mais à domicile par des télétravailleurs.

Il est manifeste que la jurisprudence doit évoluer en fonction de l'évolution des métiers et des technologies.

La menace pénale et civile

La menace du délit de prêt de main d'oeuvre illicite et du marchandage est réelle, tant pour les fournisseurs de main d'oeuvre que pour les utilisateurs, ces derniers étant considérés par les juges et par l'administration comme des co-auteurs de l'infraction 11 .

Nombre d'entreprises utilisatrices et de leurs dirigeants ont ainsi été condamnés au titre de l'une ou des deux infractions, la condamnation consistant fréquemment dans une peine d'amende (qui peut atteindre 30 000 Euro pour les dirigeants et 150 000 Euro pour les sociétés) et beaucoup plus rarement, pour les dirigeants, dans une peine d'emprisonnement (pouvant aller, selon le texte légal, jusqu'à deux ans).

A titre d'illustration, s'agissant de dirigeants, le 16 mai 2000, la chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé la condamnation d'un chef d'une entreprise utilisatrice à 30 000 francs d'amende, soit 4 573 Euro pour participation à une opération de prêt illicite de main d'oeuvre 12 ; de même, le 19 juin 2001, elle a rejeté un pourvoi contre un arrêt de Cour d'appel qui avait condamné le chef d'une entreprise utilisatrice à 2 mois d'emprisonnement avec sursis et 25 000 francs, soit 3 811 Euro d'amende, pour fausse sous-traitance 13 .

En ce qui concerne les personnes morales, par un arrêt du 17 février 2004, la Cour de cassation a confirmé la condamnation par la cour d'appel de Metz d'une société utilisatrice de main d'oeuvre à 20 000 Euro d'amende et à l'exécution d'une mesure de placement sous surveillance judiciaire, de publication et d'affichage de la décision de justice, dans la poursuite suivie contre elle du chef de prêt illicite de main d'oeuvre suite aux contrôles effectués sur le chantier par des fonctionnaires de la Direction Départementale du Travail 14 .

Et ces sanctions pénales ne sont pas exclusives de toutes autres sanctions. Des sanctions civiles sont également encourues. Ainsi qu'il résulte de l'étude "Prestations de services et marchandage" réalisée par Monsieur le Professeur Coeuret, le contrat de fourniture de main d'oeuvre illicite est considéré comme nul en raison de l'illicéité de la cause 15 et l'utilisateur de la main d'oeuvre risque d'être condamné au paiement de dommages et intérêts dans la mesure où l'opération illicite peut avoir causé un préjudice, d'une part, aux salariés du fournisseur de la main d'oeuvre et, d'autre part, aux syndicats dès lors que l'infraction, en portant atteinte à l'intérêt général et notamment en diminuant la possibilité d'embauche de travailleurs permanents, a causé à la profession qu'ils représentent un préjudice distinct de celui subi par chaque salarié 16 .

N'oublions pas également le risque de requalification des relations entre l'utilisateur et le prestataire en contrat à durée indéterminée !

En effet, si des indices laissent à penser qu'une relation de subordination s'est instaurée entre le salarié du prestataire et le client, les juges procèdent à la requalification de la relation entre l'entreprise cliente et le personnel du prestataire en contrat de travail à durée indéterminée.

Les salariés du prestataire ne doivent donc pas être soumis au pouvoir de direction et de contrôle de la hiérarchie de l'entreprise cliente et les problèmes liés à l'exécution de la prestation doivent être réglés entre un représentant du prestataire et un représentant du client et non directement entre ce dernier et les collaborateurs du prestataire.

Par ailleurs, dans les faits, afin de minimiser le risque, il convient de pouvoir bien distinguer le personnel du prestataire et le personnel de l'entreprise cliente. Aussi, les personnels des deux entreprises ne doivent pas être réunis dans des équipes mixtes ni de surcroît travailler dans les mêmes locaux, avec le même matériel et les mêmes documents.

Il est par ailleurs recommandé de prévoir un traitement différent du personnel du prestataire pour les badges, les conditions d'accès au restaurant d'entreprise, ...

Il faut aussi éviter dans la mesure du possible d'avoir recours au même personnel du prestataire sur une assez longue période : plus les salariés du prestataire restent longtemps chez le client, plus le risque augmente.

Comme l'ont nettement souligné tant les juges que le Ministère, la main d'oeuvre fournie par le prestataire ne doit pas constituer un "volant de personnel" pour l'entreprise cliente 17 .

Si les salariés du prestataire peuvent démontrer qu'ils sont de fait sous la subordination de l'entreprise utilisatrice, celle-ci se voit attribuer la qualité de "co-employeur" 18 et le tribunal de grande instance peut alors ordonner en référés, sous astreinte, à l'utilisateur de conserver à son service les salariés irrégulièrement mis à sa disposition 19 . L'utilisateur pourrait être condamné à payer les cotisations de sécurité sociale 20 .

Les salariés peuvent par ailleurs demander le paiement de rappel de salaires à l'entreprise cliente dans la mesure où les dispositions conventionnelles qui auraient dû leur être appliquées en matière de rémunération en leur qualité de salarié de cette entreprise prévoient le paiement d'un salaire supérieur à celui qu'ils ont perçu.

Enfin, la rupture des relations contractuelles s'analyserait en un licenciement ouvrant droit au bénéfice des salariés à diverses indemnités (indemnité conventionnelle de licenciement, indemnité compensatrice de préavis, indemnité compensatrice de congés payés, dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse...). La réintégration ne serait elle envisageable que dans la mesure où l'entreprise utilisatrice donnerait son accord 21 .

Au regard de ce qui précède, il importe, autant que faire se peut, d'anticiper les difficultés sur ce type d'opérations, non seulement en prenant soin à la rédaction des contrats mais aussi, et surtout, en veillant à ce que les modalités pratiques selon lesquelles ils sont mis en oeuvre soient conformes aux règles édictées dans les contrats.

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1)Il ressort ainsi d'un arrêt de la Cour de cassation du 30 septembre 2003 qu'un syndicat, l'Union syndicale des personnels des affaires culturelles CGT, constatant que les salariés d'une entreprise prestataire, aux services de laquelle avait recours le Centre Culturel Georges Pompidou, étaient occupés aux mêmes tâches que les agents spécialisés du Centre, avec le même encadrement, le même matériel et selon les mêmes horaires, a fait citer la société prestataire et son président, devant le tribunal correctionnel du chef de prêt illicite de main-d'oeuvre (Cass. Crim. 30 septembre 2003, Union syndicale des personnels des affaires culturelles CGT).

2) Cass. Crim. 23 juin 1987 : "dans le cas où l'opération aurait eu pour effet d'éluder l'application de la loi ou de dispositions conventionnelles, le délit sera constitué même si les salariés n'ont subi aucun préjudice".

3) Cour d'appel de Paris, ch. 18 D, 24 avril 2001, Etablissement public C.E.A. c/ Delaveau et autres, comparant les dispositions de la convention de travail du C.E.A. et celles résultant de la convention collective nationale Syntec et d'un accord d'entreprise applicables chez le prestataire.
4) Cass. Crim. 10 février 1998.
5) Cass. Crim. 22 novembre 1988, Museur.
6) Cass. Crim. 19 mars 1985, Syndicat "CFDT Métaux".
7) Cour d'appel de Paris, ch. 18 D, 24 avril 2001, Etablissement public C.E.A. c/ Delaveau et autres.
8) Cass. Crim. 5 janvier 1993, Fouquier.
9) Cour d'appel de Bordeaux 18 novembre 1999, SARL Loisirs Confort Distribution.
10) Cour d'appel de Paris, ch. 25 A, 3 novembre 1994, Sté Pragma c/ FNMF ; il est bien évidemment également relevé que le prestataire dispose de l'autorité technique nécessaire et que la rémunération est forfaitaire.
11) Cass. Crim. 25 avril 1989, Lucas et Dransart, RJS 7/89 n° 656 ; en ce sens également, réponse ministérielle n° 29546 du 20 mars 2000.
12) Cass. Crim. 16 mai 2000, Poulain.
13) Cass. Crim. 19 juin 2001, Voillemin. La condamnation valait aussi pour l'entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel.
14) Cass. Crim. 17 février 2004, société Efuba.
15) Cass. Soc. 5 juillet 1984, SARL Chaudronnerie, Tuyauterie, Montage c/ SA Sapeli.
16) En ce sens, Cass. Crim. 22 juin 1993, n° 92-82928 et Cour d'appel de Paris, chambre 18 section D, 24 avril 2001, Etablissement public Le Commissariat à l'Energie Atomique c/ Delaveau et autres : dans cette dernière espèce, la condamnation s'est élevée à 1 franc pour les dommages et intérêts et 4 000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
17) Cass. Crim. 22 novembre 1988 et Cass. Crim. 3 mai 1994, Schiavina ; Rép. Le Pensec, AN 13 mai 1996, p. 2619, n° 25163.
18) Notamment, Cour d'appel de Paris, 24 avril 2001, précité.
19) TGI Paris, 10 octobre 1980, Bellevre et autres c/ Samaritaine.
20) Cass. Soc. 21 janvier 1987, Riganne infinitif c/ URSSAF de Paris.
21) Article L. 122-14-4 du Code du Travail et Cour d'appel de Paris, chambre 18 section D, 24 avril 2001, Etablissement public Le Commissariat à l'Energie Atomique c/ Delaveau et autres.

Article paru dans la Revue Personnel
de Mars-Avril 2005

Authors:
Delphine Pannetier, Avocat

Auteurs

Portrait deDelphine Pannetier
Delphine Pannetier
Counsel
Paris