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L’investissement dans une activité économique ou le parcours du combattant du cédant ré-investisseur (2ème partie)

Article paru dans la revue Option Finance du 19 novembre 2012

19/11/2012


Les précédents développements (1ère partie) ont été l’occasion d’illustrer que, plus de douze ans après l’entrée en vigueur du dispositif d’apport en sursis (CGI, art. 150-0 B), le juge de l’impôt semble être passé à côté de l’intention réelle du législateur instituant le différé d’imposition. La doctrine administrative s’avère quant à elle particulièrement balbutiante sur le terrain de l’apport-cession. Dans cet environnement cacophonique, le législateur, plutôt que de clarifier le traitement de ces opérations, n’en finit plus de superposer des régimes successifs.


1. Une doctrine administrative qui se perd dans ses propres contradictions

Il est troublant, compte tenu de la multiplicité des contrôles et des contentieux en matière d’apport-cession (tant en report qu’en sursis), que l’administration centrale n’ait jamais pris le soin de formaliser sa doctrine dans une instruction commentant avec précision les conditions de mise en œuvre de ces opérations. A fortiori après s’être rangée à la doctrine du Comité consultatif pour la répression des abus de droit (CCRAD), selon laquelle le mécanisme de sursis d’imposition excluait l’application de la procédure de l’abus de droit.

Rappelons en effet que dans son rapport annuel pour 2005, publié au Bulletin officiel des impôts (13-L-3-06 du 30 mars 2006), le Comité a exprimé la position de principe suivante :

« Les montages destinés à bénéficier abusivement du sursis d'imposition prévu par l'article 150-0 B du CGI (cf. affaires n° 2004-35 à 38, 63 et 64 en annexe III) :

Le Comité a examiné au fond les premières affaires mais a considéré par la suite que le mécanisme de sursis d'imposition automatique ne laissait désormais aucun autre choix au contribuable qui souhaiterait être immédiatement imposé que de procéder à une cession directe des titres, l'opération d'échange étant en effet traitée comme une opération intercalaire ne donnant pas lieu à liquidation de l'impôt sur le revenu, la plus-value d'échange étant imposée ultérieurement, notamment lors de la cession des titres reçus en échange.

Le Comité a donc conclu que le bénéfice de ce nouveau dispositif légal n'était pas constitutif d'un abus de droit ».

Cette analyse a été réaffirmée dans les termes suivants par le Président du Comité à l’occasion des « Entretiens du Palais-Royal » du 7 mars 2007(1) (dont le thème était l'abus de droit en matière fiscale) :

« (…) Quand c'était un mécanisme de report, on a suivi l’administration dans les redressements. Depuis 2000, c'est un mécanisme de sursis d'imposition et là nous avons déconseillé à l'administration de redresser. L'administration nous a suivi : elle a retiré toute une série d'affaires en 2006 pour suivre l'avis du Comité ».

L’administration centrale, à cette occasion, a exprimé que les avis du CCRAD constituaient un « filtre efficace », raison pour laquelle ils étaient « très largement suivis par l’administration », garants d’une « sécurité juridique accrue, autant d'évolutions qui vont dans le sens de la confiance légitime ».

Dans ces conditions, les contribuables ont pu légitiment suivre les préconisations de l’administration.

Les rectifications mises en œuvre, en complète contradiction avec la prise de position de l’administration centrale, sont d’autant plus étonnantes qu’elles sont assorties des sanctions pour abus de droit … voire de poursuites pénales !

2. L’analyse de régimes limitrophes semble néanmoins dessiner une ligne directrice

Au-delà de ces revirements et des contradictions qui en résultent, l’analyse plus large de la doctrine administrative sur des sujets limitrophes illustre une tendance à exiger du contribuable, dans la structuration de son patrimoine, un investissement prépondérant dans une activité économique.

Ainsi :

  • en matière de « pacte Dutreil » ISF ou transmission, l’administration autorise(2) l’interposition de sociétés holdings exerçant simultanément une activité opérationnelle et une activité civile « pour autant que cette dernière ne soit pas prépondérante » ;
  • en matière de « biens professionnels », la doctrine non écrite de l’administration centrale (à l’origine d’un certain nombre de contentieux en cours !) qui exclut la prise de participation minoritaire pour la qualification de holding animatrice, s’inscrit dans une même conception restrictive de l’investissement intermédié. On pourrait craindre que, par une transposition (contestable) de cette analyse à la sphère de l’apport-cession, l’administration ne tente (au-delà du quantum du réinvestissement) d’écarter les prises de participations minoritaires.

Plus récemment, l’article 9 du projet de loi de finances pour 2013 rédigé par la Direction de la législation fiscale, quand il invite pour les besoins du plafonnement de l’ISF à prendre en compte le bénéfice distribuable des sociétés, à l’exclusion de celles « exerçant de manière prépondérante une activité industrielle, commerciale… », confirme cette tendance de fond et une forme d’approche « homogène » du réinvestissement intermédié.

On regrettera dans ces conditions que le législateur, plutôt que d’aligner les différents régimes de différé d’interposition, persiste à les superposer.

3. Le différé d’imposition : un environnement légal qui peine à se stabiliser

Confronté à une jurisprudence contestable et à une doctrine administrative qui se cherche encore, le législateur propose au cédant réinvestisseur une alternative à la mise en œuvre d’une opération d’apport-cession, au travers d’un régime qui désormais appréhende la globalité de l’opération de l’opération de cession puis de réinvestissement.

L’article 150-0 D bis du CGI permet en effet au cédant de titres d’entreprise qui acceptent de réinvestir une partie du produit de la cession dans une ou plusieurs autres entreprises, d’accéder, à compter de 2012, à un report d’imposition susceptible de se transformer en une exonération d’impôt sur le revenu. Ce régime n’a pas trouvé grâce aux yeux des contribuables dans la mesure où l’obligation de remploi portait sur 80 % de la plus-value nette, soit un montant potentiellement supérieur à celui requis en matière d’apport-cession (cf. 1ère partie).

Ce régime devrait, s’agissant des cessions réalisées à compter de 2013, être aménagé sur plusieurs points :

  • le délai laissé au cédant pour procéder à ses réinvestissements serait ramené de 36 à 24 mois ;
  • l’engagement de réinvestissement ne porterait plus obligatoirement que sur 50 % au moins (au lieu de 80 %) du montant de la plus-value déterminée, s’il y a lieu, après application de l’abattement pour durée de détention puis diminuée des prélèvements sociaux ;
  • corrélativement, sur la fraction de la plus-value qui n’aurait pas été effectivement réinvestie (normalement la moitié au plus du montant, net de prélèvements, de la plus-value d’origine), le cédant perdrait le bénéfice du report d’imposition et supporterait à retardement l’imposition, augmentée de l’intérêt de retard.

Compte tenu à la fois de la brièveté du délai de réinvestissement, mais surtout parce que l’exonération complète est subordonnée à une exigence de remploi de 100 % (et non plus de 80 %), ce dispositif « de faveur » apparaît comme un trompe l’œil ; aussi, il risque fort, à l’instar de celui qu’il réforme, de ne pas susciter l’enthousiasme.

L’apport-cession reste-t-il, dans ces conditions, la voie royale ?

Répondre à cette question ne va pas de soi dans la mesure où elle tend à comparer un dispositif d’exonération conditionnelle d’une part à un mécanisme de différé d’imposition d’autre part (à raison duquel, outre le fait que le contribuable n’appréhende pas directement le produit de la cession, une fiscalité latente perdure).

Le projet de loi de finances rectificative pour 2012 devrait réformer pour le futur les opérations d’apport-cession, en instaurant un mécanisme de report d’imposition subordonné à un réinvestissement, par le holding intermédié, dans un délai de trois ans à compter de la cession, de 50 % du produit de ladite cession dans une activité économique ou dans des souscriptions au capital de sociétés exerçant elles-mêmes une telle activité.

Parmi les multiples questions que cette réforme soulève :

  • les réinvestissements par acquisitions de titres seront-ils éligibles, comme le sont les souscriptions au capital ?
  • la participation pourra-t-elle être minoritaire ?

Selon la date de réalisation de l’opération, l’exigence de réinvestissement sera donc distincte, variant de 39 % (à s’en tenir aux avis du CADF) à 50 %. Quant à la nature du réinvestissement « dans une activité économique », on forme le vœu que le législateur saisisse l’occasion de préciser les contours de cette notion, épargnant par là même au contribuable les affres du contentieux.


1. Droit Fiscal n° 47 - 22 novembre 2007

2. BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10-20120912 n° 20 (donation) et BOI-PAT-ISF-30-40-60-10-20120912 n° 10.

Auteurs

Portrait deThomas Laumière
Thomas Laumière
Associé
Paris
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Olivier de Saint Chaffray
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