Editorial : Clauses de non-concurrence : le conflit de principes
Le régime juridique des clauses de non-concurrence a été construit par les juges qui ont dû arbitrer entre des principes très forts, mais qui s’opposent inexorablement. L’existence de ces clauses est justifiée par la nécessaire protection de l’entreprise : celle-ci a le droit de se protéger contre les agissements concurrentiels qui pourraient être le fait d’anciens salariés, d’anciens dirigeants, d’anciens propriétaires. Ignorer ce droit de protection serait profondément irresponsable.
La jurisprudence parle volontiers des intérêts légitimes de l’entreprise. Cette considération a conduit parfois le législateur et souvent les juges à valider les diverses clauses de non-concurrence.
Mais on voit bien ainsi la force des principes que ces clauses vont mettre à l’épreuve. Pour les salariés, c’est la liberté du travail, droit constitutionnellement reconnu (Cass. soc., 19 novembre 1996).
Pour les cédants de fonds de commerce ou de droits sociaux, pour les anciens dirigeants, c’est la liberté d’entreprendre, la liberté du commerce et de l’industrie qui sont en cause. Or, ces libertés sont constitutionnellement reconnues également (décision du Conseil constitutionnel du 16 janvier 1982 ; décision du 20 mars 1997). Chaque fois, les clauses de non-concurrence limitent ces libertés.
Ne pouvant arbitrer au profit d’un principe et au détriment des autres, les juges ont constamment recherché le point d’équilibre. Jusqu’où pouvait-on aller dans le respect de chacun sans atteindre le point de rupture du principe antagoniste ?
D’abord, les juges ont mis en oeuvre l’idée que les clauses devaient être limitées dans l’espace et dans le temps. Certains arrêts ont pu sembler moins vigilants sur ce point à certaines périodes, mais l’exigence est indubitablement très prégnante. Puis leur souci a été de s’assurer que la restriction de la liberté avait une cause véritable : le fait que le débiteur de l’obligation de non-concurrence ait une activité nouvelle ne pouvait être reproché dès lors que la clause de non-concurrence n’était pas indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise. Enfin est venue l’idée d’une nécessaire contrepartie financière, exigence requise par la chambre sociale de la Cour de cassation et dont la portée sera précisée dans le présent dossier.
L’extrême difficulté de trouver un juste équilibre entre des principes contradictoires explique le caractère évolutif de la jurisprudence et la nécessité d’observer avec une certaine vigilance les décisions rendues. Un récent arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation a ainsi suscité beaucoup d’interrogations, probablement exagérées au demeurant. La pratique redoute toujours un alignement général de la jurisprudence sur celle qui est la plus exigeante, à savoir la jurisprudence de la chambre sociale. Il convient toutefois de savoir raison garder en ce domaine, le fondement des exigences de cette chambre étant moins pertinent au regard d’autres situations du droit des affaires.
Ce juste équilibre, l’avocat rédacteur doit le traduire lors de la rédaction des clauses dans des termes garants de la sécurité des divers acteurs. Les professionnels rédacteurs du présent dossier ont tous acquis en ce domaine une réelle maîtrise.
Alain Couret, avocat associé
Dossier : Les clauses de non-concurrence
- Les clauses de non-concurrence dans le champ du contrôle des concentrations p2
- Droit au licenciement en cas de cession de contrôle : licéité de la clause p3
- Salarié et pacte d’actionnaires : attention danger ! p4
- Les clauses de non-concurrence non rémunérées sont-elles condamnées ? p5
Actualités
- Les nouveaux principes en matière de rémunération à l’épreuve de la réalité p6
- Déduction des frais d’acquisition des LBO : première jurisprudence favorable p7
- Etude : CMS publie son troisième rapport annuel sur les fusionsacquisitions en Europe p8
- Titres, sicav, carried et PEA : faut-il craindre l’exit tax ? p10
- De la «double peine» en cas de recours à une «double LuxCo» ? p11
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