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La notion de co-employeurs : dangers et incertitudes

05/12/2011


Par des arrêts du 18 janvier 2011(1) et du 22 juin 2011(2) la Cour de cassation a complété sa jurisprudence sur la problématique des licenciements pour motif économique dans une société appartenant à un groupe en mobilisant de manière plus qu'audacieuse la notion de co-employeurs.


Si cette notion de co-employeurs n'est pas nouvelle en soi, les modalités de son application dans ces cas particuliers ainsi que les conséquences qui en sont tirées par les juges méritent qu'il soit porté une attention toute particulière à ces décisions.

En effet, ces positions de la Haute Juridiction pourraient à l'avenir créer un véritable bouleversement en matière de droit social et préfigurer une évolution de la prise en compte, pour la détermination du périmètre des obligations des employeurs dans ce domaine, non plus, selon les cas, des notions de société, d'unité économique et sociale (UES) ou de groupe, mais de celle plus globale « d'entreprise » au sens fonctionnel et économique du terme, sans que cette notion ne fasse l'objet d'une définition précise.

Épée de Damoclès pour les entreprises appartenant à un groupe

Il en découlerait ainsi une importante source d'incertitude pour les entreprises appartenant à un groupe sur lesquelles planerait une quasi permanente épée de Damoclès ayant trait au risque de remise en cause judiciaire d'une procédure (de licenciement pour motif économique, de reclassement d'un salarié inapte, de négociation obligatoire à titre d'exemples) qui n'aurait pas été initiée dans le bon périmètre.

Concrètement, dans les arrêts du 18 janvier 2011, nuançant sa jurisprudence antérieure selon laquelle la cessation d'activité de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement, sauf quand elle est due à une faute de l'employeur ou à sa légèreté blâmable(3), la cour de cassation a estimé que, si deux entités faisant partie d'un même groupe ont la qualité de co-employeurs, « la cessation d'activité de l'une d'elles ne peut constituer une cause économique de licenciement qu'à la condition d'être justifiée par des difficultés économiques, par une mutation technologique ou par la nécessité de sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité du groupe dont elles relèvent ».

La Haute Juridiction relève un certain nombre d'éléments factuels permettant de déduire l'existence d'une confusion d'intérêts, d'activités et de directions entre différentes entités d'un même groupe, caractérisant, selon elle, l'existence d'une situation de co-employeurs.

Dans sa décision du 22 juin 2011, la notion de co-employeurs est également invoquée pour justifier que le co-employeur, la Société Novoceram, « devait supporter les conséquences [financières] de la rupture des contrats de travail des salariés, alors même que la Société BSA en avait pris l'initiative. »

De même, et pour considérer que les licenciements étaient sans cause réelle et sérieuse, et ainsi condamner la Société Novoceram à verser des dommages-intérêts aux salariés de la Société BSA, la Haute Cour retient que « le plan de sauvegarde de l'emploi avait été établi dans le seul cadre de cette société alors qu'il devait être mis en place par chacun des co-employeurs (...). »

Ainsi, la Société Novoceram qui n'était pas partie à la procédure de licenciement aurait donc dû mettre en place un PSE au profit des salariés de la Société BSA, Société juridiquement distincte faut-il le rappeler, et faute d'avoir anticipé cette improbable « obligation » se trouve condamnée à payer des dommages-intérêts pour des licenciements sans cause réelle et sérieuse qu'elle n'a jamais prononcés !

Il convient en outre de préciser que, tout comme dans les arrêts du 18 janvier 2011, il n'était pas soutenu qu'il aurait existé un lien de subordination entre les salariés en question et leur « co-employeur » ... La solution peut laisser perplexe et le renouveau de cette notion de co-employeurs vient considérablement compliquer la détermination précise du cadre dans lequel s'inscrivent les obligations des employeurs. En effet, et selon le type d'obligation, le Code du travail et la jurisprudence renvoient à la notion d'entreprise (ou d'employeur), d'unité économique et sociale ou de groupe.

Or, si l'entreprise ou l'UES (du fait de sa nécessaire reconnaissance par voie conventionnelle ou judiciaire) sont clairement identifiables, il n'en va pas de même du groupe, et ce en l'absence d'une définition précise et commune du groupe en droit du travail.

Recherche au cas par cas, indépendamment de l'organisation

Comme nous l'avons dit précédemment, les derniers arrêts sur la notion de co-employeurs permettent légitimement de se demander si la tendance de la jurisprudence de la Cour de cassation n'est pas de rechercher au cas par cas, indépendamment de l'organisation juridique des entités le périmètre exact de « l'entreprise », son centre de direction réel pour, selon les situations d'espèces, juger dans quel cadre doit s'inscrire telle ou telle obligation.

Aussi, la mise en oeuvre pratique risque de s'avérer particulièrement délicate.

Comment en effet devront réagir les entreprises d'un groupe conduites à devoir engager des licenciements pour motif économique ? Devront-elles pour se prémunir d'une remise en cause éventuelle de la mesure mettre en place systématiquement un PSE au niveau de la structure « de tête » ? Comment gérer en pratique l'existence de plusieurs PSE pour une même mesure de licenciements comme l'exige manifestement l'arrêt du 22 juin 2011 ?

De même, la notion de co-employeur va-telle avoir d'autres impacts, en matière de représentation du personnel, d'épargne salariale, d'obligation de négociation (sur les salaires, la pénibilité, l'égalité entre les hommes et les femmes etc..) ?

Va-t-elle se substituer à celle d'UES ? Une intervention du législateur pourrait s'avérer opportune afin de ne pas laisser les employeurs face à ces incertitudes et de leur assurer un minimum de sécurité juridique.


1. Cass. Soc. 18 janvier 2011 n° 09-69.199 ; Cass. Soc. 18 janvier 2011 n° 09-70.662

2. Cass. Soc. 22 juin 2011 n° 09-69021

3. Cass. Soc. 16 janvier 2001 n° 98-44.647


Par Françoise Albrieux-Vuarchex, avocat associé
Christophe Girard, avocat, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon

Article paru dans la revue Décideurs de novembre 2011

Auteurs

Françoise Albrieux-Vuarchex
Christophe Girard