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La relance de l'ACCIS : une révolution en perspective pour les groupes français

27/10/2016

La Commission européenne a présenté le 25 octobre 2016 un nouveau "paquet" de mesures fiscales concernant spécifiquement les groupes de sociétés. Cet ensemble est composé de règles destinées à garantir et accélérer la résolution de tous les problèmes de double imposition des sociétés (proposition de directive COM (2016) 686 final), à lutter contre le recours à des entités ou des instruments financiers hybrides dans les relations avec les Etats tiers (proposition de directive COM (2016) 687 final) et surtout à harmoniser l’assiette taxable en Europe. A ce dernier titre, la Commission a publié les détails de son plan de relance de l’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés (ACCIS), un plan qui pourrait changer très rapidement les règles du jeu pour tous les groupes français ayant des implantations dans d’autres Etats de l’Union européenne (UE).

Présentation générale de la démarche de la Commission

La Commission européenne avait proposé en 2011 le lancement d’une ACCIS qui reposait sur deux piliers indissociables l’un de l’autre : l’harmonisation de l’assiette imposable à l’impôt sur les sociétés (IS) pour les groupes de sociétés (sur une base optionnelle) et la consolidation des résultats au niveau du groupe. Une fois calculé le résultat du groupe consolidé, la proposition de 2011 prévoyait sa ventilation entre Etats membres selon une clé de répartition tenant compte des ventes, des actifs corporels et de la main d’œuvre.

La proposition du 25 octobre 2016 n’innove pas fondamentalement, sauf sur un point : elle dissocie les deux piliers de la proposition de 2011. Pour des raisons politiques tenant à la difficulté des Etats membres à s’accorder sur le mécanisme de consolidation, la Commission a choisi d’avancer sur le terrain de l’harmonisation, quitte à reporter à une seconde étape l’adoption de règles en matière de consolidation. Elle a donc présenté deux propositions de directive : l’une, ayant vocation à être appliquée très rapidement, sur l’harmonisation de l’assiette commune (COM (2016) 685 final) ; l’autre, dont la négociation est renvoyée à plus tard, sur le mécanisme de consolidation (COM (2016) 683 final).

Le délai de transposition proposé par la Commission pour la directive "harmonisation" est extrêmement bref : les Etats membres sont en effet invités à intégrer dans leur droit interne le contenu de la directive avant le 31 décembre 2018, pour une application au 1er janvier 2019. Compte tenu de l’importance des changements apportés par cette directive à la fiscalité des sociétés, il est essentiel d’identifier rapidement les principaux éléments contenus par le texte.

Les principaux aspects de la proposition de directive sur l’assiette commune

La proposition de directive sur l’assiette commune emprunte un grand nombre de traits à celle de 2011. Elle s’inspire également de certaines règles issues de la directive (UE) 2016/1164 du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur (la directive "ATAD"). Mais on observera que sur plusieurs points (imposition à la sortie, charges financières, produits hybrides, etc.), les deux textes divergent dans leurs formulations et leurs conséquences techniques.

 Groupes concernés

Les groupes concernés par l’ACCIS sont ceux dont le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 750 millions d’euros. Pour eux, et contrairement à la proposition de directive de 2011, l’application des règles de l’ACCIS serait obligatoire. Les groupes ayant un chiffre d’affaires inférieur pourraient néanmoins opter pour l’ACCIS pour une durée de cinq ans, avec renouvellement possible. Ils devront donc faire une comparaison entre les règles fiscales françaises ordinaires et celles prévues par la directive pour choisir ce qui leur paraîtra le plus avantageux.

Principales règles d’assiette

La proposition de directive sur l’assiette commune contient de très nombreuses règles qu’il conviendra d’étudier de près : produits taxables et exonérés, charges non déductibles, amortissements, provisions, etc. En voici les principales.

  • Règles de territorialité

La proposition de directive prévoit que les bénéfices des établissements stables étrangers mais situés dans l’UE sont en principe exonérés (et les déficits non imputables) dans l’Etat du siège. Une définition nouvelle (par rapport à 2011) de l’établissement stable figure dans le texte ; elle est très fortement inspirée de celle qui résulte des travaux "BEPS" de l’OCDE mais ne concerne que l’hypothèse dans laquelle le siège, comme l’établissement stable, sont situés sur le territoire de l’UE. La proposition de directive ne règle donc intentionnellement pas le cas des établissements stables situés dans des Etats tiers à l’UE, dont la définition est laissée aux conventions fiscales bilatérales conclues avec ces Etats.

Cette règle de territorialité est complétée par une règle autorisant à titre dérogatoire l’imputation des déficits réalisés par des filiales ou des établissements stables situés dans un autre Etat membre de l’UE. Le mécanisme mis en place est une imputation dans l’Etat de la mère ou du siège avec clause de récupération ultérieure lorsque la filiale ou l’établissement stable redevient bénéficiaire et peut alors imputer ses déficits passés dans son Etat d’établissement ou, en tout état de cause, à l’expiration d’une durée de cinq ans. Il s’agit là de la résurrection du mécanisme que prévoyait l’article 209 C de notre Code général des impôts. Il est à noter que, selon la Commission européenne, cette disposition sera caduque et cessera donc de s’appliquer dès l’adoption de la "phase 2" de la mise en place de l’ACCIS car le passage à un système de consolidation aura pour effet mécanique de permettre la compensation transfrontalière des résultats.

  • Régime des sociétés mères

La proposition de directive retient un principe d’exonération des dividendes reçus par une société mère de ses filiales détenues plus de douze mois à hauteur de plus de 10% des droits en capital ou en droits de vote. La même règle s’applique pour les plus-values sur de tels titres.

La soumission obligatoire à cette règle aurait pour effet de changer substantiellement le fonctionnement du régime français des sociétés mères et des plus-values sur cessions de titres de participations.

En outre, il est à noter que la proposition de directive sur l’assiette commune réintroduit le mécanisme très désavantageux du "switch over" qui avait été écarté lors de l’adoption de la directive "ATAD" du 12 juillet 2016. L’exonération des dividendes et plus-values afférents à des titres d’une filiale étrangère pourrait donc être remise en cause lorsque l’impôt dans l’Etat de la résidence de cette filiale est inférieur à 50% du taux légal d’IS dans l’Etat de la société mère. Elle serait remplacée par un mécanisme d’imposition avec crédit d’impôt étranger, à moins, précise le texte, qu’une convention fiscale conclue entre l’Etat de résidence de la société mère et celui de résidence de la filiale ne s’oppose au "switch over".

  • Création d’une "super-déduction" pour les dépenses de R&D

Afin d’encourager les activités de recherche et de développement, la proposition de directive s’inspire de systèmes existant dans certains Etats de l’UE et autorise, pour toutes les sociétés concernées par l’assiette commune, la déduction de 100% des dépenses de R&D avec, de surcroît, une déduction supplémentaire automatique. Celle-ci s’élève à 50% des dépenses jusqu’à due concurrence de 20 millions d’euros et à 25% pour la partie excédant 20 millions d’euros. Ainsi, par exemple, une dépense de 30 millions d’euros engendre une déduction totale de 42,5 millions d’euros. Les start-up bénéficieraient même d’une déduction supérieure.

  • Un nouveau régime fiscal pour le financement de l’entreprise

Le traitement des charges financières dans la proposition de directive sur l’assiette commune est totalement différent de celui envisagé en 2011. La proposition combine en effet deux règles :

  • l’une est inspirée de la directive "ATAD" et prévoit un mécanisme de "barrière d’intérêts" conduisant à plafonner les charges financières nettes à 30% de l’EBITDA (avec toutefois de sensibles différences rédactionnelles par rapport à la directive "ATAD") ;
  • l’autre vise, non plus à restreindre la déduction des intérêts d’emprunt, mais à inciter les entreprises à augmenter leur capital. Elle institue donc un mécanisme qui consiste à appliquer à toute augmentation du capital au cours d’un exercice un taux (déterminé par référence au taux moyen des obligations d’Etat d’une durée de dix ans dans la zone euro, augmenté d’une prime de risque de 2%), le chiffre obtenu étant traité comme une charge déductible. Ce mécanisme de déduction d’une charge notionnelle paraît de prime abord avantageux pour les sociétés ; il aura toutefois une contrepartie car toute diminution du capital conduira, par symétrie, à l’imposition d’un produit notionnel.

La Commission se voit conférer par la proposition de directive le pouvoir de prendre des actes délégués pour mettre en œuvre cette règle et éviter l’optimisation à laquelle elle pourrait donner lieu.

Conclusion

Le plan présenté par la Commission fera l’objet de négociations dans les mois à venir. Il est délicat de prévoir à quelle date il pourrait aboutir. La négociation de la directive "ATAD" avait pris environ six mois, mais le nouveau texte proposé par la Commission est autrement plus complexe et ambitieux. En effet, il gouverne l’ensemble de la fiscalité des groupes et l’on peut supposer que même si les Etats remettent à plus tard la négociation sur la phase de la consolidation, ils ne pourront en faire abstraction lors de la discussion sur la première phase. Certains Etats ont d’ailleurs d’ores et déjà exprimé de vives réserves sur le texte. Il n’en reste pas moins qu’au vu de l’ambition de la Commission sur le délai de mise en œuvre de la directive sur l’assiette commune, il est de l’intérêt des groupes français de se préparer dès à présent. Nos équipes sont à votre disposition pour vous assister dans cette démarche.