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Publication de l’ordonnance portant réforme du droit des obligations | Flash info Droit des affaires

12/02/2016

Référence : ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Un pan entier de notre Code civil, donc de l’ensemble de notre système juridique, est réformé avec l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Le Gouvernement aura ainsi attendu la date ultime, dans le délai d’un an qui lui était imparti (loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, art. 8 et 27), pour faire paraître le texte.

Selon ses promoteurs, la réforme poursuit plusieurs buts ambitieux : « moderniser, simplifier, améliorer la lisibilité, renforcer l’accessibilité du droit commun des contrats » ; « garantir la sécurité juridique et l’efficacité de la norme ». L’avenir dira si ces objectifs sont atteints.

Pour l’heure, il apparaît que, pour l’essentiel, les rédacteurs du texte se sont attachés à intégrer au Code civil des solutions acquises, pour certaines de longue date, en jurisprudence. Point de révolution donc, mais un travail de clarification des règles de droit. Néanmoins, l’ordonnance porte un certain nombre de modifications importantes, mentionnées ci-après. Notre cabinet diffusera prochainement, dans un numéro spécial de la revue Option Finance, une analyse plus développée de l’ensemble des dispositions ayant une portée pratique significative.

Entrée en vigueur

L’ordonnance prévoit que les règles nouvelles entreront en vigueur le 1er octobre 2016. A cette date, la loi de ratification, qui doit donner valeur législative au nouveau dispositif, devrait avoir été adoptée.

Les règles nouvelles ne seront pas applicables aux contrats en cours (ord. n° 2016-131, art. 9). Les contrats irrévocablement conclus avant cette date seront donc gouvernés par les anciennes dispositions.

Quelques exceptions sont néanmoins prévues, imposant une application des règles nouvelles aux contrats en cours :

  • l’article 1123, al. 3 et 4 : ce texte traite de la violation d’un pacte de préférence. Appliquant une solution déjà dégagée par la jurisprudence, il prévoit que « lorsque le tiers connaissait l'existence du pacte et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, ce dernier peut également agir en nullité ou demander au juge de le substituer au tiers dans le contrat conclu ». Les deux alinéas visés disposent que : « le tiers peut demander par écrit au bénéficiaire de confirmer dans un délai qu'il fixe et qui doit être raisonnable, l'existence d'un pacte de préférence et s'il entend s'en prévaloir.
    L'écrit mentionne qu'à défaut de réponse dans ce délai, le bénéficiaire du pacte ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou la nullité du contrat
    » ;
  • l’article 1158 : ce texte concerne le mécanisme de la représentation. Il prévoit que « le tiers qui doute de l'étendue du pouvoir du représentant conventionnel à l'occasion d'un acte qu'il s'apprête à conclure, peut demander par écrit au représenté de lui confirmer, dans un délai qu'il fixe et qui doit être raisonnable, que le représentant est habilité à conclure cet acte » ;
  • l’article 1183 : inséré dans des développements qui explicitent le régime de la nullité, cet article dispose qu’« une partie peut demander par écrit, à celle qui pourrait se prévaloir de la nullité, soit de confirmer le contrat, soit d’agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion. La cause de la nullité doit avoir cessé ».

Dans le même ordre d’idées, l’ordonnance précise que les règles nouvelles n’auront pas vocation à s’appliquer, non plus, aux instances introduites avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance ; et ce, y compris en appel et en cassation.

1 - Généralisation du concept de bonne foi

Déjà mentionné dans le Code civil à l’ancien article 1134, le « standard » de la bonne foi voit son champ d’application étendu et son importance renforcée. Le nouvel article 1104, logé dans les « dispositions préliminaires » et déclaré d’ordre public, dispose ainsi « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ».

2 - Généralisation de l’obligation d’information

L’obligation d’information est un corollaire naturel de la bonne foi. Elle devient désormais un des principes directeurs du droit des contrats. Le nouvel article 1112-1 s’exprime en effet en ces termes dans son premier alinéa : « Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ».

On remarque le champ d’application très large de l’obligation, qui s’impose à l’une et l’autre des parties.

La portée de la règle est renforcée par l’indication que « les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir » (alinéa 5).

Outre l’allocation de dommages-intérêts, la dissimulation intentionnelle d’une information sera constitutive d’un dol susceptible d’entraîner la nullité du contrat (nouvel art. 1137, al. 2).

3 - Introduction de la notion de violence économique

La notion de « violence économique » ou « d’abus de dépendance économique », susceptible d’être invoquée pour obtenir la nullité d’un contrat, est introduite dans le Code civil.

Le nouvel article 1143 prévoit, parmi d’autres manifestations, qu’il y a « violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ».

4 - Disparition de la cause mais maintien de ses fonctions correctrices

Jusqu’à présent, l’existence d’une cause licite figurait parmi les quatre conditions essentielles à la validité d'une convention (ancien article 1108).

Les rédacteurs de l’ordonnance ont souhaité que cette notion ne figure plus au centre du droit français des obligations, arguant de la difficulté d’en saisir la portée et, peut-être surtout, du fait que nombre de droits étrangers concurrents du nôtre ne connaissent pas ce concept.

Cependant, si le terme disparaît du Code civil, les fonctions régulatrices ou correctrices que la jurisprudence avait, de longue date, attribuées à la notion de cause sont conservées et réapparaissent au sein de trois dispositions :

  • le nouvel article 1162, selon lequel « le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties » ;
  • le nouvel article 1168 qui consacre, sans le dire, la règle de la nullité pour absence de cause en énonçant qu’« un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire » ;
  • le nouvel article 1170 qui consacre la jurisprudence « Chronopost » en déclarant que « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ».

5 - Introduction de la notion de clause abusive

Bien connue en droit de la consommation, comme en droit de la concurrence sous l’appellation de « déséquilibre significatif », la notion de clause abusive fait son entrée dans le Code civil, mais son champ d’application est logiquement restreint aux seuls contrats d’adhésion (dont une définition est donnée dans le nouvel article 1110, alinéa 2).

Le nouvel article 1171 s’exprime ainsi : « Dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ». Toutefois, « l’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation ».

6 - Introduction de la notion d’imprévision

Voilà une des ruptures les plus notables opérées par la réforme. Depuis le 19e siècle, la jurisprudence de la Cour de cassation n’admet pas que puisse être invoquée l’imprévision pour échapper à des obligations contractuelles.

Le nouvel article 1195 rompt avec cette solution. Il prévoit que « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation ».

Lorsque les parties ne parviennent pas à s’entendre amiablement pour faire évoluer les termes de leur contrat, le second alinéa du texte admet que « le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».

7 - Renforcement de l’efficacité des promesses unilatérales

Depuis 1993, la Cour de cassation juge que l’inexécution d’une promesse unilatérale, de vente notamment, ne peut être sanctionnée que par l’allocation de dommages-intérêts. En d’autres termes, le bénéficiaire de la promesse ne peut obtenir du juge qu’il force le promettant à s’exécuter.

Le nouvel article entend renverser cette solution et renforce grandement, ce faisant, l’efficacité des contrats de promesse à un double égard.

D’abord, le nouvel article 1124, alinéa 2, dispose que « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis ».

Ensuite, le troisième alinéa du même article 1124 indique que « le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l'existence est nul ».

8 - Allègement de la cession de créance

Le mécanisme de la cession de créance, de pratique courante, était jusqu’alors relativement lourd car l’opposabilité aux tiers supposait, soit une signification au débiteur cédé, soit une acception de la cession dans un acte authentique (ancien art. 1690). De surcroît, le régime de la cession de créance figurait dans les dispositions du Code civil traitant de la vente.

Désormais, la cession de créance est intégrée dans les règles générales du droit des obligations et, surtout, son utilisation est rendue plus aisée. Le recours à la signification, c’est-à-dire à un acte d’huissier, n’est plus requis. Le nouvel article 1324 énonce ainsi que « la cession n’est opposable au débiteur, s’il n’y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s’il en a pris acte ». Quant aux tiers (autres que le débiteur cédé), la cession leur est opposable à la date de l’acte rédigé, nécessairement par écrit, entre les parties (art. 1323, qui précise « qu'en cas de contestation, la preuve de la date de la cession incombe au cessionnaire, qui peut la rapporter par tout moyen ».

9 - Introduction de la « cession de dette »

Des dispositions réglementant la cession de dette figurent aux nouveaux articles 1327 et suivants du Code civil. Encore convient-il de bien préciser la portée de ce mécanisme. Il est évident qu’on ne saurait permettre à un débiteur de transférer comme il l’entend et à qui il le souhaite le fardeau d’une dette qui lui incombe. Deux règles entérinent cette donnée.

D’abord, le nouvel article 1327 énonce que l’accord du créancier est, en toute hypothèse, nécessaire, pour pouvoir céder une dette : « un débiteur peut, avec l'accord du créancier, céder sa dette ». Mais cet accord de principe est insuffisant pour libérer le débiteur originel de son obligation. Ce n’est que si le créancier y consent expressément, que « le débiteur originaire est libéré pour l'avenir ». Le nouvel article 1327-2 poursuit en indiquant que « à défaut [d’accord du créancier pour libérer le débiteur] , et sauf clause contraire, il est tenu solidairement au paiement de la dette ».

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A peine la réforme du droit des contrats achevée, que s’annonce déjà celle de la responsabilité civile. Si l’ordonnance du 10 février 2016 reproduit en effet dans le chapitre consacré aux sources des obligations, en les renumérotant (nouveaux articles 1240 et suivants), les dispositions figurant actuellement sous les articles 1382 à 1386-18 du Code civil, la réforme du droit des obligations ne sera véritablement parachevée qu’avec la révision des règles régissant la responsabilité civile. Cette révision pourrait intervenir très rapidement à la faveur, cette fois-ci, d’un projet de loi et non d’une ordonnance, le garde des sceaux ayant annoncé lors du dernier conseil des ministres son intention de soumettre à la consultation publique, dans les semaines qui viennent, un avant-projet de réforme élaboré parallèlement aux travaux ayant abouti à l’adoption de l’ordonnance.

Auteurs

Portrait deElisabeth Flaicher-Maneval
Elisabeth Flaicher-Maneval
Counsel
Paris
Portrait deArnaud Reygrobellet
Arnaud Reygrobellet
Associé
Paris