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Quand construire en vertu d'un permis de construire objet d'un recours ?

18/02/2005

1. Nombreux sont les promoteurs d'un programme, ou les entreprises commerciales ou industrielles, qui s'interrogent sur le délai de validité d'un permis de construire si un opposant au projet exerce un recours à son encontre.

En principe, le délai de validité d'un permis dans lequel les travaux autorisés doivent être entrepris de façon effective, est de deux ans à compter de sa notification1, ce délai pouvant être prorogé d'une année2.

Mais ce délai de validité peut être suspendu3. En pareil cas un nouveau délai ne recommencera pas à courir à compter de la décision juridictionnelle définitive constatant la validité du permis de construire; c'est le délai de deux ans (ou de trois ans tel qu'issu de la prorogation) qui va recommencer à courir4 (le délai déjà écoulé antérieurement à la décision de suspension étant définitivement pris en compte).

Si le maître d'ouvrage choisit de ne pas commencer les travaux en raison du recours5, il s'interroge légitimement sur l'exacte échéance du délai de validité du permis de construire dès lors qu'une demande de référé suspension viendrait à être exercée concurremment au recours au fond en première instance ou en appel6.

2. Au cours du contentieux, le délai de validité est susceptible d'être suspendu si le permis de construire vient à être annulé par un jugement d'un Tribunal administratif frappé d'appel7, et ce jusqu'à l'arrêt rendu par la Cour administrative d'appel. Il peut aussi l'être tant par le Tribunal administratif, qu'ensuite par la Cour administrative d'appel, si une demande de suspension en référé est déposée par le requérant8. L'effet du prononcé du sursis à exécution d'un jugement ou d'un arrêt reste, en revanche, non résolue.

I- La suspension du délai de validité du permis de construire

3. Ce cas, le plus simple, est prévu par l'article R. 421-32 alinéa 4 du Code de l'urbanisme.

Le délai de validité du permis de construire est suspendu en cas d'annulation du permis de construire par jugement du Tribunal administratif frappé d'appel jusqu'à la décision rendue par la Cour administrative d'appel9.

La suspension du délai de validité du permis de construire prend effet à compter de la lecture de la décision d'annulation du Tribunal administratif. Elle se termine, et le délai de validité court donc de nouveau, à compter de la notification de la décision de la Cour administrative d'appel10 .

II- Le référé suspension

4. Le régime du référé suspension est organisé par l'article L. 521-1 du Code de justice administrative.

L'opposant au permis de construire peut présenter au juge des référés, à tout moment, sans être enfermé dans le délai de recours contentieux11, une ou plusieurs demandes successives de référé aux fins qu'il soit ordonné la suspension de l'exécution du permis.

Ce type de demande peut donc intervenir au cours de l'instance devant le Tribunal administratif, mais aussi devant la Cour administrative d'appel12, même si aucune demande de référé n'a été présentée en première instance13, et alors même que la requête au fond a été déclarée irrecevable par le Tribunal administratif. En revanche, une demande de référé-suspension ne peut pas être déposée en principe devant le Conseil d'Etat, une fois l'arrêt de la Cour administrative d'appel rendu14.

S'il est fait droit à une telle demande, le délai de validité du permis de construire est suspendu jusqu'à la décision de la juridiction saisie, le délai de validité étant augmenté d'autant.

5. La situation issue de cette suspension n'est toutefois pas définitivement figée puisque le juge des référés peut à tout moment, au vu d'un élément nouveau, mettre fin à la décision de suspension15.

Le maître d'ouvrage peut le saisir afin qu'il mette fin aux mesures de suspension du permis de construire qu'il avait ordonnées: la délivrance d'un permis modificatif peut fonder une telle demande16. Le délai de validité du permis recommence alors à courir et les travaux peuvent être entrepris.

III- Sursis a execution du jugement ou de l'arrêt

6. Le juge administratif peut être saisi17 d'une demande visant à suspendre provisoirement l'exécution du jugement ou de l'arrêt rendu. Le sursis à exécution peut être sollicité devant la Cour administrative d'appel mais également devant le Conseil d'Etat, par l'une ou l'autre des parties :

- Initiative du bénéficiaire du permis : lorsqu'il est fait appel d'un jugement de Tribunal administratif prononçant l'annulation de l'arrêté de permis de construire, le bénéficiaire de ce dernier peut demander à la juridiction d'appel d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement. Mais les moyens invoqués doivent apparaître, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation (de l'opposant) pourtant accueillies par ce jugement18 ;

- Initiative de l'adversaire du projet : lorsqu'il est fait appel d'un jugement de Tribunal administratif rejetant la demande d'annulation du permis de construire, l'opposant au projet peut demander à la juridiction d'appel d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement ; cette demande sera accueillie si l'exécution du jugement attaqué est susceptible d'entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens énoncés dans la requête paraissent sérieux en l'état de l'instruction19 ;

- Initiative du bénéficiaire du permis ou de l'adversaire du projet : devant le Conseil d'Etat, l'auteur du pourvoi peut demander qu'il soit sursis à l'exécution de l'arrêt de la Cour administrative d'appel, si celui-ci risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens invoqués paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation de la décision de la Cour, l'infirmation de la solution retenue par les juges du fond20.

1. Les deux hypothèses susceptibles de se présenter :

a. décision juridictionnelle rétablissant le permis de construire :

7. Si la Cour administrative d'appel prononce l'annulation du jugement ayant antérieurement annulé le permis de construire, ce dernier est rétabli et les travaux peuvent être entrepris. En pareille hypothèse, le Conseil d'Etat a admis que soit formée une demande de sursis à exécution d'un tel arrêt, alors même que le prononcé du sursis affecterait nécessairement le caractère exécutoire du permis de construire21.

En conséquence, l'opposant au permis de construire peut demander au juge administratif de suspendre l'exécution de la décision juridictionnelle rétablissant le permis de construire, et ainsi ensuspendre l'exécution. Dans ces conditions, le bénéficiaire du permis ne pourra pas entreprendre les travaux autorisés par ce dernier.

b. décision juridictionnelle annulant le permis de construire :

8. Le bénéficiaire d'un permis de construire peut valablement saisir le juge administratif d'une demande de sursis à exécution d'une décision d'annulation de ce permis. Si la requête est accueillie, le pétitionnaire obtient le sursis à exécution de la décision d'annulation. Tel est le cas lorsque le juge considère que les moyens invoqués par le bénéficiaire à l'encontre du jugement par lequel le Tribunal administratif a annulé le permis de construire paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué.

La décision juridictionnelle annulant le permis de construire sera alors suspendue jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête au fond. Le cours du délai de validité du permis de construire reprend, et le bénéficiaire du permis de construire peut entreprendre les travaux.

2. L'effet du sursis à exécution sur le délai de validité du permis de construire

9. L'article R. 421-32 du Code de l'urbanisme n'envisage pas la suspension du délai de validité du permis de construire dans le cas où il serait sursis à l'exécution de la décision confirmant ou annulant ce dernier.

Le Conseil d'Etat ne s'est, à notre connaissance, pas prononcé sur le caractère suspensif du délai de validité du permis de construire lorsqu'il est sursis à l'exécution de la décision juridictionnelle ayant confirmé ledit permis. La doctrine administrative semble également muette à cet égard.

Dès lors, même si un parallèle avec les effets accordés au référé-suspension est tentant, rien ne permet d'affirmer avec certitude que la décision d'octroi du sursis du jugement ou de l'arrêt par le juge suspendrait le délai de validité du permis; une telle solution s'avèrerait pourtant pour le moins inéquitable, sinon contestable, pour le détenteur du permis de construire.

10. Lors de la discussion de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain, le Gouvernement avait indiqué qu'il envisageait une extension des cas de suspension du délai de validité du permis de construire " en cas de recours administratif ou contentieux ". Mais le gouvernement n'a pas procédé, par voie réglementaire, à la modification à laquelle il s'était engagé22.

Cette question est aujourd'hui sur le point d'évoluer : par lettre de mission du 29 juin 2004, M. le ministre de la Justice, et M. le ministre de l'Equipement ont chargé un groupe de travail de faire des propositions de nature à assurer une meilleure sécurité juridique des autorisations d'urbanisme. Ce groupe de travail23, censé représenter l'ensemble des milieux professionnels et associatifs concernés, a débuté des auditions et invite les élus, les Administrations et les professionnels à lui remettre leur contribution écrite24. Cette concertation devra déboucher sur un rapport courant novembre, puis sur la publication d'une ordonnance et d'un décret au cours de l'année 2005, lesquels devront définir un meilleur équilibre entre la possibilité de remettre en cause des autorisations d'urbanisme illégales et la stabilité juridique de ces autorisations lorsqu'elles sont légales ou définitives.

11. Dans l'attente de ce nouveau régime, qui ne devrait pas manquer de redéfinir le délai de validité du permis de construire, notamment lorsqu'il fait l'objet d'un recours, le maître d'ouvrage doit faire preuve d'une vigilance particulière quant au calcul du délai de validité du permis de construire et plus particulièrement lorsque l'opposant au permis en demande la suspension par voie de référé.

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1Article R. 421-32 du Code de l'urbanisme. Par ailleurs, les travaux ne doivent pas avoir été interrompus pendant un délai supérieur à une année, y compris, le cas échéant, dans ce premier délai de deux ans (CE, 8 novembre 2000, EURL Les Maisons traditionnelles, n° 197.505)

2 Le bénéficiaire du permis de construire doit en faire la demande expresse, deux mois au moins avant l'expiration du délai de validité; les prescriptions d'urbanisme et les servitudes administratives de tous ordres auxquelles est soumis le projet ne doivent pas avoir évolué de façon défavorable à son égard (Art. R. 421-32 du Code de l'urbanisme). De même, les travaux ne doivent pas avoir été interrompus pendant un délai supérieur à une année
3 Nous précisons que le délai de validité du permis de construire peut également être interrompu du fait de l'administration (le maire peut, par exemple, enjoindre au bénéficiaire du permis de construire d'arrêter la construction d'un immeuble (CE , 24 avril 1981, SCI Jacqueline, n° 15417). L'interruption fait naître un nouveau et entier délai de validité
4 Par exemple : CE, 27 mai 1991, commune de Mably, n° 112798
5 Après avoir procédé à une première évaluation de la teneur du recours, mais aussi souvent sous la pression des organismes qui financent l'opération
6 Encore convient-il de ne pas négliger le risque de voir ordonnée la démolition de l'ouvrage achevé, avant qu'il ne soit statué au fond
7 Article R. 421-32 du Code de l'urbanisme
8 Au stade de l'appel, il faut également prendre en compte la portée d'une demande de sursis à exécution du jugement, lorsqu'elle est déposée seule, ou en combinaison avec un référé-suspension (cf. infra)
9 L'article R. 421-32 du Code de l'urbanisme vise la décision renduepar le Conseil d'Etat. Une telle rédaction est obsolète, ainsi que l'a confirmé le Conseil d'Etat (CE, 10 octobre 2003, commune de Soisy-sous-Montmorency, n° 242373)
10 Pour exemple : CAA Paris, 27 novembre 2001, commune de Soisy-sous-Montmorency, n° 00PA00468, Construction urbanisme 2002, n° 100
11 Pourvu qu'une requête en annulation soit présentée dans le délai de recours contentieux. En outre, mais telle n'est pas l'hypothèse de cette étude, la demande de suspension sera rejetée si les travaux sont entièrement exécutés à la date à laquelle le juge des référés se prononce. Relevons également que l'irrecevabilité du recours au fond entraîne nécessairement le rejet du référé suspension (CE, 11 mai 2001, Commune de Loches, n° 231802)
12 CE, 14 mars 2003, Association Air pur environnement, n° 251335. Cette solution peut s'expliquer en ce que l'appel et le référé suspension constituent deux opérations juridiques distinctes, dans la mesure où le référé porte seulement sur l'examen du bien fondé de la demande de suspension (urgence, doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse)
13 Ce sera le cas, en pratique, si les travaux n'avaient pas débuté, et que l'écoulement du délai de validité du permis de construire invite son bénéficiaire à commencer leur exécution alors qu'un appel a été interjeté
14 CE, 6 mars 2002, Kansoy, n° 233877 ; sans préjudice du sursis à exécution de la décision de la Cour administrative d'appel (cf. infra)
15 Article L. 521-4 du Code de justice administrative
16 CE, 24 février 2003, M. Perrier, n° 251928, BJDU 4/2003, p. 271. La possibilité de neutraliser les effets d'une décision de suspension suppose que le permis de construire puisse être effectivement modifié sur les points litigieux. Soulignons que par l'arrêt SCI La Fontaine de Villiers du 2 février 2004, le Conseil d'Etat a jugé que les illégalités qui affectent un permis de construire peuvent être couvertes par un permis de construire modificatif, qu'il s'agisse d'illégalités de fond ou d'irrégularités qui tiennent à la forme ou à la procédure de délivrance, pourvu que ce modificatif assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, réponde aux exigences de forme ou ait été précédé de l'exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises
17 Article R. 811-15 du Code de justice administrative
18 Article R. 811-15 du CJA
19 Article R. 811-17 du CJA
20 Article R. 821-5 du CJA
21 CE, 21 juin 2002, Association seine-et-marnaise pour la sauvegarde de la nature, n° 232582
22 QE n° 46327, JOAN 15 mai 2000, p. 2966 ; Débats Sénat, séance 4 mai 2000
23 Auquel participe, notamment, M. le Professeur FATOME
24 Selon un modèle-type qui peut être téléchargé sur le site du ministère de l'Equipement 

Article paru dans Construction-Urbanisme
N°11- Novembre 2004
(Editions JurisClasseur

Authors:
Jean-Luc Tixier, Avocat Associé - Paul Elfassi, Avocat