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Quel traitement fiscal pour la rémunération d'un factor établi hors de France ?

Jean-René Bénichou

15/12/2009

L’affacturage doit-il être regardé comme une opération de crédit rendant la retenue à la source de l’article 125 A III du CGI exigible sur la fraction de la commission versée à un factor établi à l’étranger supposée représenter l’intérêt de financement ? C’est à cette question que la Cour administrative d’appel de Versailles(1) vient d’apporter une réponse qui ne convainc pas.

L’affacturage est une technique de gestion des créances commerciales permettant leur mobilisation. La société d’affacturage (ou « factor ») se substitue à son client (« l’adhérent ») pour gérer et recouvrer les créances dont il est titulaire, et qu'il lui transfère, généralement par le jeu d’une subrogation conventionnelle. Le « factor » peut ou non accepter de prendre également en charge le risque d’insolvabilité du débiteur.

1. Quelle qualification pour la rémunération du factor ?

La question s’est posée de savoir, pour une société française qui avait eu recours aux services d’une société d’affacturage établie en Belgique et lui avait vendu ses créances à une valeur décotée, si une fraction de cette décote devait être qualifiée d’intérêt susceptible d’entraîner l’exigibilité du prélèvement visé à l’article 125 A III du CGI (limité en l’occurrence à 15 % par application de la convention franco-belge). Les cessions en cause avaient été conclues de façon définitive, sans recours possible de l'acheteur contre le vendeur.

L’Administration se prévalait de la jurisprudence rendue par le Conseil d’Etat en matière de TVA, selon laquelle le règlement au comptant par le factor de créances non encore exigibles constitue une opération de crédit rémunérée par des intérêts (2). Elle invoquait également le plan comptable qui prescrit d'enregistrer la rémunération d’affacturage en distinguant la commission rémunérant la gestion du recouvrement et la commission de financement, représentant le coût du financement anticipé.

Ces éléments sont-ils suffisants pour conclure qu’une telle opération génère des intérêts rattachés à la créance du factor qu'il y a lieu de soumettre obligatoirement à retenue à la source lorsqu'ils sont encaissés par des personnes morales qui n'ont pas leur siège social en France, comme vient de le juger récemment la CAA de Versailles, confirmant en cela le jugement du TA de Versailles ?

Nous ne le pensons aucunement. L'article 125 A du CGI soumet au prélèvement les intérêts et produits attachés à toute forme de créances.

Ainsi une partie de la rémunération versée par l’entreprise adhérente au factor ne pourrait être qualifiée d'intérêt que pour autant que ce dernier détienne une créance sur la première : tel serait le cas si les sommes versées par le factor ne l'étaient qu'à titre de simple avance, la dette correspondante du cédant ne s'éteignant qu'à la date où le factor encaisse le montant des créances cédées et à hauteur du seul montant effectivement encaissé.

Dans le cas qui nous occupe, où les cessions de créances ne comportent pas de recours du cessionnaire sur le cédant en cas d'insolvabilité du débiteur cédé, le prix de cession des créances est définitivement encaissé par le cédant et le cessionnaire ne dispose d'aucune créance sur le cédant susceptible d'être rémunérée par des intérêts visés par l'article 125 A du CGI. Aucune relation de prêteur à emprunteur ne peut alors apparaître dans une opération qui ne constitue qu’une pure cession de créance à valeur décotée.

Quant à l'enregistrement comptable d'une fraction de la commission dans un poste de charges financières, il n'autorise pas plus à conclure que cette charge a la nature d'un intérêt. Le simple fait d'intégrer un taux d'intérêt dans une formule de calcul de la commission ne permet certainement pas de considérer qu'il y a paiement d'intérêt.

Il nous semble donc que la Cour se méprend lorsqu’elle énonce que constitue une opération de crédit l’opération par laquelle « la société d’affacturage règle au comptant le montant de créances non encore exigibles, qui est distincte de celle par laquelle elle prend en charge le recouvrement des créances qui lui sont cédées ».

 

2. La qualification d'opération de crédit devrait conduire à l'exonération du prélèvement prévue à l'article 131 quater du CGI

Nous avouons ne pas plus suivre la Cour lorsqu’elle refuse d’assimiler ce qu’elle regarde comme une opération de crédit à une opération d’emprunt au sens de l’article 131 quater du CGI « dès lors que la contrepartie de la cession de l’intégralité des droits et intérêts attachés aux créances vendues a le caractère d’un prix et non celui de la mise à disposition d’un prêt ou d’une avance remboursable ».

La société faisait valoir en effet que l’Administration ne pouvait justifier l'application du prélèvement par l'existence d'une opération de crédit donnant lieu au versement d'intérêts sans admettre corrélativement que ces intérêts bénéficient de l'exonération prévue par l'article 131 quater aux termes duquel « les produits des emprunts contractés hors de France par des personnes morales françaises (…) sont exonérés du prélèvement prévu au III de l'article 125 A ».

Le bénéfice de l'exonération est subordonné aux deux conditions suivantes ici remplies :

  1. les produits doivent résulter d'un contrat d'emprunt préalable à la mise à disposition des fonds : à supposer qu'elle s'analyse en une avance, la somme reçue du factor résulte bien du contrat d'affacturage préalable à la mise à disposition des fonds
  2. l'emprunt doit être contracté hors de France.

Le Conseil d’Etat exige à cet effet que les fonds aient été mis à la disposition de l’emprunteur au moyen de versements effectués par le prêteur depuis l’étranger (3). Mais là encore, si l'opération d'affacturage doit être analysée comme une opération de crédit, elle s'accompagne alors, comme le relève la Cour, « d'un règlement au comptant du montant des créances non exigibles » et donc, si ce règlement est le fait d'un factor étranger, d'une mise à disposition de fonds depuis l'étranger.

Le raisonnement de la Cour nous semble, en définitive, contradictoire dès lors que l'analyse qu'elle retient pour écarter l'application de l'article 131 quater du CGI est très exactement celle que soutenait la société pour contester, dans son principe, l'application du prélèvement. Si l'opération d'affacturage doit être regardée comme une opération de crédit, elle emporte nécessairement la naissance d'une relation prêteur-emprunteur.

3. Le prélèvement de l'article 125 A ne devrait pas pouvoir concerner des intérêts qui sont versés à une société de capitaux

La société avait soutenu - argument auquel la Cour n’a pas d’ailleurs pas répondu - que le prélèvement libératoire n'est pas susceptible de s'appliquer à des intérêts qui, bénéficiant à une société de capitaux, constituent des recettes professionnelles.

L'article 124 du CGI énonce en effet le principe de l'imposition en tant que revenus de capitaux mobiliers des intérêts et autres produits de créances sous la réserve expresse que ces produits ne figurent pas dans des recettes professionnelles.

En dépit de l'absence de référence expresse à l'article 124 du CGI, l'article 125 A est étroitement commandé par les dispositions dudit article si bien que le prélèvement forfaitaire qu'il institue est conçu pour s'appliquer aux seules sommes que la loi range dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers à l'exclusion des intérêts et autres produits qui entrent dans les recettes d'une entreprise.

C'est à cette interprétation que s'est d’ailleurs rangé le Conseil d'Etat à plusieurs reprises (4) en considérant que « l'article 125 A du CGI se borne à prévoir un mode d'imposition particulier à l'impôt sur le revenu pour certains des revenus de capitaux mobiliers déjà définis dans les dispositions précédentes ; il n'a ni pour objet, ni pour effet d'élargir le champ d'application de ces dispositions ».

Les entreprises étrangères devraient donc, pour cette raison également, échapper au prélèvement à la source.

Il reste à espérer que le Conseil d’Etat, auprès duquel la société s’est pourvue en cassation, sera sensible à cette argumentation et permettra aux sociétés d’affacturage établies à l’étranger d’être à l’abri du prélèvement à la source sur les commissions versées par leurs clients français.

(1) CAA de Versailles 19 mai 2009 n° 07VE00157 
(2) CE 27 juillet 1984, n° 29388 ; CE 5 juin 1989, n° 96641, SOFIREC, ccls Fouquet. 
(3) CE 3 novembre 2003, « SARL Méridia France » - CE 18 mai 2009, « Sté Royal Canin », n° 296843 
(4) CE 2 mars 1977, n° 98483 - CE 22 juillet 1977 (n° 3998)

Par Jean-René Bénichou, avocat associé

Article paru dans la revue Option Finance du 31 août 2009

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Jean-René Benichou
Associé
Paris