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Réforme de la commande publique : refonte du droit des concessions sous l’influence du droit de l’Union européenne

03/02/2016

Référence :
Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession
Décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession

L’ordonnance du 29 janvier et le décret du 1er février 2016, publiés au Journal officiel respectivement les 30 janvier et 2 février, procèdent à une refonte des dispositions de droit interne régissant les contrats de concession.

Le nouveau dispositif entrera en vigueur le 1er avril 2016 et s’appliquera aux contrats de concession pour lesquels une consultation sera engagée ou un avis de concession sera envoyé à la publication à compter de cette date, sauf exceptions mentionnées aux points 4 et 5 ci-dessous.

Après l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, marquant la première étape de la transposition en droit interne des nouvelles directives européennes "marchés publics" – les décrets d’application sont toujours en cours d’élaboration –, l'ordonnance du 29 janvier et le décret du 1er février 2016 ont cette fois pour vocation de transposer la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 sur l’attribution des contrats de concession.

Les nouveaux textes emportent quelques points d’évolution notables au regard du droit existant, qu’il convient de mettre ici rapidement en exergue, sans prétendre à l’exhaustivité ni à un examen détaillé.

1 - Une définition de la concession qui reprend celle retenue par la directive

Auparavant, les formes de concessions qui existaient en droit français étaient essentiellement la délégation de service public depuis 1993, puis la concession de travaux à compter de 2009.

Les délégations de service public ont fait l’objet de dispositions contenues dans la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite loi "Sapin". Il s’agit de contrats administratifs par lesquels une personne morale de droit public – l’autorité "délégante" – confie la gestion d’un service public à un tiers – le "délégataire" – dont la rémunération est "substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service". La concession de travaux publics est apparue en droit interne avec l’entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009 relative aux contrats de concession de travaux publics. Son objet principal porte sur la réalisation de travaux de bâtiment ou de génie civil.

L'ordonnance relative aux contrats de concession prévoit désormais que la concession est un contrat par lequel une ou plusieurs autorités concédantes confient à un concessionnaire, auquel est transféré un risque d’exploitation, soit l’exécution de travaux (dans le cas d’une concession de travaux), soit la gestion d’un service (dans l’hypothèse d’une concession de service). La rémunération du concessionnaire consiste dans le droit d’exploiter l’ouvrage ou le service – ce qui se traduit fréquemment par la perception de recettes auprès des usagers –, ou dans ce droit assorti d’un prix versé par l’autorité concédante.

Une autorité concédante peut être un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice. Rappelons que les pouvoirs adjudicateurs sont les personnes morales de droit public ainsi que les personnes morales de droit privé, créées spécifiquement pour satisfaire des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel et commercial (au sens spécifique de la jurisprudence européenne) et se trouvant sous influence publique, et les organismes de droit privé constitués par des pouvoirs adjudicateurs en vue de réaliser certaines activités en commun. Les entités adjudicatrices sont les pouvoirs adjudicateurs, les entreprises publiques et des organismes bénéficiant de certains droits spéciaux ou exclusifs, qui exercent une activité d’opérateur de réseaux (énergie, eau, transports, poste…). Lorsqu’un contrat de concession porte sur des travaux et des services, il constitue une concession de travaux si son objet principal est de réaliser des travaux (règle qui avait déjà été retenue par le Conseil d’Etat pour distinguer les délégations de service public des concessions de travaux – dans le cas, notamment, des concessions autoroutières, qualifiées de concessions de travaux : CE, avis, 16 mars 2010, n° 383668 et CE, avis, 21 juin 2011, n° 385183).

L’objet d’une concession peut, à l’instar, auparavant, de la délégation de service public, comporter la délégation de la gestion d’un service public. Si le contrat est qualifié de concession de travaux au regard de son objet principal, il peut donc également comporter une part "service", portant le cas échéant sur la délégation de la gestion d’un service public.

Le critère principal de qualification de la concession, qui la distingue du marché public, repose sur le transfert au concessionnaire d’un risque d’exploitation. Ce critère est réputé rempli lorsque, dans des conditions d’exploitation normales, le concessionnaire n’est pas assuré d’amortir les investissements ou les coûts qu’il a supportés au titre de l’exploitation des ouvrages ou services qui font l’objet de la concession.

L’origine de la rémunération du concessionnaire étant indifférente, il conviendra d’adapter en conséquence les vocables actuellement employés dans la pratique (notamment fiscale) : au sein des délégations de service public, la notion de concession recouvre ce que l’on désigne habituellement comme des "concessions" (investissements réalisés par le concessionnaire), mais aussi l’"affermage" (investissements réalisés par la personne publique), ainsi que la "régie intéressée" (financement des investissements et versement de la rémunération par la personne publique).

2 - Une uniformisation du régime juridique des concessions : focus sur quelques règles de passation et d’exécution communes

L’ordonnance et le décret relatifs aux contrats de concession constituent un corps de textes unique régissant les concessions de travaux et les concessions de service.

Ces textes permettent, en outre, une mise en cohérence des concessions sectorielles (concessions de port et d’aéroport, concessions de plage, concessions d’aménagement, concessions hydroélectriques, etc.), sous réserve de certaines particularités prévues par ailleurs par des textes spécifiques.

Ils emportent unification des règles de passation applicables aux concessions : les contrats de concession "sont passés dans le respect des règles procédurales communes" prévues par le décret. En outre, des règles de passation particulières sont applicables, respectivement, aux contrats dont le montant est égal ou supérieur au seuil européen (5 225 000 € hors taxes), et à ceux dont le montant est inférieur au seuil européen ou dont l’objet porte sur certains services exclus de la directive, quel qu’en soit le montant (eau, transport de voyageurs, communication électronique, services sociaux ou autres services spécifiques), cette deuxième catégorie de concessions bénéficiant d’un certain allégement de la procédure, dans le cadre d’une procédure "simplifiée". Une négociation avec le ou les soumissionnaires pourra toujours être organisée. Il y a lieu de noter, également, que l'ordonnance reprend l'exception à la mise en concurrence dite de quasi-régie ("in house") déjà existante en matière de marchés publics.

Par ailleurs, ils prévoient expressément la faculté, pour le concessionnaire, de confier à des tiers au contrat de concession l’exécution d’une part des services ou des travaux sur lesquels porte le contrat. L’autorité concédante peut d’ailleurs imposer aux soumissionnaires de confier une part minimale (10% au moins) des services ou travaux, soit à des petites et moyennes entreprises, soit à des tiers de manière générale – ou encore leur imposer d’indiquer dans leur offre s’ils envisagent de confier à des tiers une part des travaux ou services, et le cas échéant, le pourcentage que ces travaux ou services représentent par rapport à la valeur estimée de la concession. Ces textes mettent fin à l’obligation, pour les concessionnaires de travaux, de recourir, en principe, à une procédure de publicité et de mise en concurrence aux fins de sélectionner leurs sous-contractants, titulaires de marchés de travaux. Notons toutefois qu’une dérogation sur ce point est prévue s’agissant des concessions d’autoroutes par les dispositions de l’article 13 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi "Macron", introduites aux articles L.122-12 et suivants du Code de la voirie routière : dans ce domaine spécifique, les concessionnaires seront tenus, quelle que soit la qualification du sous-contrat en cause (marchés de travaux, fournitures et services du réseau autoroutier concédé, contrats portant sur la construction, l’exploitation ou l’entretien des installations annexes à caractère commercial), de sélectionner leurs sous-contractants au terme d’une publicité et d’une mise en concurrence (sauf pour la réalisation des ouvrages et aménagements initiaux).

3 - Les concessions doivent être conclues pour une durée limitée

La durée d’une concession, nécessairement limitée, est déterminée par l’autorité concédante en fonction de la nature et du montant des travaux ou services demandés.

En principe, cette durée doit être de cinq ans au maximum, mais elle peut être beaucoup plus longue en cas de réalisation d'investissements par le concessionnaire : dans ce cas, la durée maximale ne doit pas excéder le temps raisonnablement escompté par le concessionnaire pour qu’il recouvre les investissements réalisés pour l’exploitation des ouvrages ou services. A l’instar de la durée maximale prévue précédemment par la loi "Sapin", la durée d’une concession ne peut, en principe, excéder vingt ans dans les domaines de l’eau potable, de l’assainissement, des ordures ménagères et autres déchets, sauf examen préalable, par le directeur départemental des finances publiques à l’initiative de l’autorité concédante, des justificatifs de dépassement de cette durée.

Si les textes ne comportent pas d’indications quant aux modalités de calcul de la durée, il en résulte que, d’une part, elle inclut le retour sur capitaux investis, d’autre part, doivent être pris en considération à cet effet les investissements initiaux comme les investissements réalisés pendant la durée du contrat, nécessaires pour l’exploitation des ouvrages ou des services concédés. Sont considérés comme tels les travaux de renouvellement, les dépenses liées aux infrastructures, aux droits d’auteur, aux brevets, aux équipements, à la logistique, au recrutement et à la formation du personnel.

A cet égard, les précisions apportées par les nouveaux textes impliquent une certaine souplesse en matière de durée, qui s’inférait déjà de la jurisprudence du Conseil d’Etat. La Haute juridiction avait notamment pu indiquer que la durée d’amortissement des investissements ne saurait être réduite par principe à la durée de leur amortissement comptable : elle peut correspondre à la durée normalement attendue pour couvrir les charges d’exploitation et d’investissement, compte tenu des contraintes d’exploitation liées à la nature du service et des exigences du délégant ainsi que de la prévision des tarifs payés par les usagers (CE, 11 août 2009, n° 303517, Sté Maison Comba). Les textes vont toutefois plus loin en fournissant par ailleurs des indications quant au type d’investissements, le cas échéant réalisés en cours d’exécution, devant être pris en compte pour apprécier la durée.

Nonobstant cette souplesse, il convient d'être attentif à ce qu'une durée trop longue n'ait pas été fixée. En pareille hypothèse, la concession pourrait en effet, notamment, faire l’objet d’une résiliation unilatérale par l’autorité concédante pour motif d’intérêt général, le concessionnaire étant réputé avoir économiquement amorti ses investissements (cf. pour une illustration : CE, 7 mai 2013, n° 365043, Société auxiliaire de parcs de la région parisienne).

4 - Un régime de modification des contrats de concession qui sera très proche de celui applicable aux marchés publics

Compte tenu des règles de la directive, le régime de modification des contrats de concession est quasi-identique à celui retenu pour les marchés publics.

Une liste, détaillée et limitative, d’hypothèses de recours aux avenants aux contrats de concession en cours d’exécution, sans nécessité de mettre en œuvre de procédure de mise en concurrence nouvelle, se substitue à un régime jurisprudentiel de grands principes. Cette liste peut être ainsi synthétisée (le texte du décret apportant plus de précisions) :

  • lorsque les modifications, quel qu’en soit le montant, sont prévues par une clause du contrat initial ;
  • dans la limite, pour chaque modification, de 50% du montant du contrat initial :
    o en cas de travaux ou services supplémentaires devenus nécessaires, si le changement de concessionnaire est impossible pour des raisons économiques ou techniques, qu’il présenterait pour l’autorité concédante un inconvénient majeur ou entraînerait pour elle une augmentation substantielle des coûts ;
    o en cas de circonstances imprévues ;
  • en cas de changement de concessionnaire, soit en application d’une clause initialement prévue, soit en cas de cession consécutive à une opération de restructuration du concessionnaire initial ;
  • pour des modifications non substantielles, quel qu’en soit le montant (une modification étant considérée comme substantielle lorsqu’elle modifie la nature globale du contrat de concession, qu’elle introduit des conditions qui auraient pu exercer une influence sur la procédure de mise en concurrence initiale, qu’elle modifie l’équilibre économique du contrat, en étend considérablement le champ ou a pour effet de remplacer le concessionnaire initial par un nouveau concessionnaire en dehors des hypothèses susvisées) ;
  • lorsque la modification est inférieure à 5 225 000 € hors taxes et à 10% du montant du contrat initial, sans qu'il soit nécessaire de vérifier si les conditions visées au dernier point ci-dessus sont remplies.

Il s’agit là d’un changement de paradigme par rapport à la jurisprudence du Conseil d’Etat, selon laquelle un avenant au contrat était réputé emporter un nouveau contrat en cas de "modification substantielle d’un élément essentiel de la délégation" (CE, avis, 19 avril 2005, n° 371234 ; CAA Paris, 17 avril 2007, n° 6PA02278, Société Kéolis).

La pratique et la jurisprudence à venir devraient permettre de déterminer si ce nouveau prisme est plus, ou au contraire moins, souple que le critère auparavant employé. L’appréciation sera, du reste, probablement quelque peu différente selon le cas de modification considéré.

Le nouveau régime s’appliquera aux nouveaux contrats de concession mais également aux autres contrats s’analysant comme tels, antérieurs au 1er avril 2016, date d’entrée en vigueur de l'ordonnance.

5 - Des précisions sur les modalités d’indemnisation en cas de remise en cause juridictionnelle d’un contrat de concession illégalement conclu

A l’instar de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, l’ordonnance portant sur les contrats de concession comporte des dispositions relatives aux modalités d’indemnisation en cas de remise en cause juridictionnelle du contrat de concession. Ces modalités peuvent faire l’objet d’une clause particulière réputée divisible. De façon générale, l’indemnisation du concessionnaire, qui a vocation à être versée en cas d’annulation, de résolution ou de résiliation du contrat par le juge consécutivement au recours d’un tiers, est destinée à couvrir "les dépenses qu’il a engagées conformément au contrat, dès lors qu’elles ont été utiles à l’autorité concédante, parmi lesquelles figurent, s’il y a lieu, les frais financiers liés au financement mis en place dans le cadre de l’exécution du contrat y compris, le cas échéant, les coûts pour le concessionnaire afférents aux instruments de financement et résultant de la fin anticipée du contrat. […] Cette prise en compte des frais liés au financement est subordonnée à la mention, dans les annexes du contrat de concession, des principales caractéristiques des financements à mettre en place pour les besoins de l’exécution de la concession."

Quoiqu'elle lève certaines ambiguïtés, la rédaction retenue pour les concessions est ainsi très proche de celle employée pour les marchés de partenariat. Certes, la formulation de ces dispositions demeure encore relativement générique. Cependant, il eût été difficile d’adopter une rédaction plus précise sans préjuger des spécificités de chaque concession au cas par cas, notamment au regard des caractéristiques de financement retenu. A cet égard, les textes relatifs aux concessions présentent d’ailleurs, notamment, une autre évolution positive par rapport à l’ordonnance portant sur les marchés publics : les termes "financements à mettre en place pour les besoins de l’exécution de la concession", plus globaux que la rédaction faisant référence aux "établissements bancaires", permettent en effet, indiscutablement, de couvrir également le financement obligataire.

La définition du contenu de l’indemnisation ayant vocation à être versée en cas de remise en cause juridictionnelle du contrat s’applique aux décisions juridictionnelles rendues à compter du 31 janvier 2016.

Auteurs

Portrait deFrancois Tenailleau
François Tenailleau
Associé
Paris