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Régulation économique et loyauté probatoire : les limites de l'oeuvre prétorienne

15/09/2011


A la faveur de plusieurs décisions récentes, la Cour de cassation fait oeuvre créatrice en imposant l'exigence de loyauté dans l'administration de la preuve comme principe général de droit. Selon elle, seule la volonté contraire du législateur est susceptible de tenir en échec ce principe qui s'applique en tout domaine.


En matière boursière, les éléments recueillis au cours d'une audition informelle ne sont ainsi recevables que si la personne interrogée a au préalable expressément renoncé aux dispositions protectrices applicables aux auditions(1). Plus précisément, la communication préalable à l'audition d'une personne par les enquêteurs habilités de l'AMF d'une copie des droits dont cette personne bénéficie ainsi qu'un document récapitulatif de ces droits ne satisfait pas le principe de loyauté posé par les juges de cassation et étendu à la phase d'enquête(2). Solution de prime abord incontestable en droit, s'agissant de l'application de dispositions législatives précises ou de celle de l'exigence d'une manifestation de volonté non équivoque emportant renonciation à un droit.

La décision est assurément d'importance. En raison tout d'abord du contexte dans lequel elle est rendue alors même que la phase d'enquête vient de s'enrichir d'une mesure de contradictoire instillée, sur modification du Règlement général de l'AMF, par la «lettre circonstanciée(3)» émise avant rédaction du rapport définitif, et également, de la création d'une charte des enquêtes informant les personnes auditionnées des droits et comportements attendus de leur part, par alignement sur la procédure de contrôle des PSI. Cette charte devra être amendée pour intégrer les enseignements du présent arrêt.

Ensuite, rendu au visa d'un principe général prétorien(4), celui de la loyauté dansl'administration de la preuve,l e mouvement apparait plus profond, l'exigence plus élevée, et le champ plus général poursuivant son irrépressible extension aux diverses matières du droit, ici le droit boursier après la matière concurrentielle. S'agissant de cette dernière, l'enregistrement d'une conversation téléphonique à l'insu de l'auteur des propos a été considéré(5) en 2011 comme un procédé déloyal rendant irrecevable son admission à titre de preuve devant l'ADLC. Rappelant toutefois l'attachement de la Cour à «la jurisprudence de la Chambre criminelle tenant compte de la spécificité de la matière pénale», l'assemblée plénière impose à la cour d'appel de Paris son credo :à défaut de texte contraire, les règles de procédure civile doivent prévaloir et conduire à écarter la production d'éléments obtenus de manière illicite.

La recherche de manquements économiques tend ainsi à subir ou à garantir -selon le point de vue adopté- l'exigence prétorienne de loyauté dans l'administration de la preuve, ici dans des procédures de sanctions devant deux autorités administratives indépendantes, l'Autorité de la concurrence et l'AMF.

Evolution de prime abord logique sinon prévisible lorsque l'on sait que le droit des affairespris dans son acception la plus large avait pu -mais par exception seulement— s'accommoder d'exigences plus souples, dans le respect du principe du contradictoire et sous l'oeil bienveillant des juges. La lutte contre la délinquance économique (infractions d'initié, pratiques anticoncurentielles...) primait alors.

Au résultat, le mouvement actuel de normalisation n'emporte pourtant pas totalement la conviction. Tout d'abord, de façon paradoxale sinon contradictoire, cette même Cour, qui dès 1996(6) a lancé le processus d'extension des garanties procédurales du procès équitable aux autorités de régulation (COB/AMF, Autorité de la concurrence(7)...) en matière pénale, vient désormais imposer l'application d'un principe général qui limite la liberté reconnue au pénal de recherche et de production des preuves. Doit-on alors comprendre que la haute cour souhaite une nouvelle intervention d'un législateur déjà fort sollicité ? Ensuite et surtout, en faisant prévaloir la loyauté sur la liberté dans l'administration de la preuve et les principes fondament aux qui fondent la légitimité de l'action(8)» du juge sur «les enjeux économiques», c'est l'efficacité de la régulation économique qui s'en trouve quelque peu bridée et menacée pour partie. Il n'est guère certain que le bénéfice attendu pour les justiciables compense les freins posés à la recherche de la vérité dans des matières quasi pénales.


1. C. mon. fin. art. L. 621-11 et R. 621-35.

2. Cass. com., 24 mai n°2011, 10-18.267.

3. Régi, gén. AMF, art. 144-2-1.

4. Ensemble avec l'article 651 de la CEDH et l'article 9 du Code de procédure civile.

5. Ass. Plén., 7 janvier 2011, P+B+R+l, n° 09-14.316. Lire Analyse juridique, E. Flaicher-Maneval, Op. Fin. du 24 janvier 2011.

6. Cass. com., 9 avril 1996, JD n°1996-001496.

7. Cass. com., 5 oct. 1999, n°98-30.001 et 98-30.284.

8. C. cass., Prem. Prés., comm. presse relatif à l'arrêt n°587 du 7 janvier 2011.


Par Bruno Zabla, avocat ,CMS Bureau Francis Lefebvre

Article paru dans la revue Option Finance le 29 août 2011

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