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Restructurations : les conséquences fiscales de la nouvelle donne comptable

17/03/2005

1. Situation actuelle

Jusqu'à présent, il n'existait aucune règle impérative pour la transcription des apports dans le cadre des opérations de fusion, d'apport partiel d'actif et de scission. Celles-ci pouvaient ainsi régulièrement être réalisées soit sur la base de la valeur réelle des éléments transmis, soit sur la base de leur valeur nette comptable. Seules les opérations de confusion de patrimoine devaient, à défaut de traité d'apport, être réalisées impérativement en valeur comptable.

Au plan fiscal, l'administration déduisait de cette souplesse comptable que si, en principe, ces opérations doivent être réalisées en valeur réelle, les parties pouvaient retenir les valeurs comptables, à la double condition que l'opération soit placée sous le régime de faveur des articles 210 A et B du CGI, et que l'entité bénéficiaire de l'apport reprenne à son bilan les écritures comptables de l'entité apporteuse (valeur brute, amortissements, provisions).

Les entreprises pouvaient ainsi librement arbitrer entre une opération réalisée en valeur nette comptable ou en valeur vénale, en relation avec le choix de placer ou non l'opération sous le régime fiscal de faveur. Cet arbitrage reposait principalement sur le caractère bénéficiaire ou déficitaire des entités concernées. Ainsi, en cas d'absorption d'une société déficitaire, le choix pouvait être fait de réaliser l'opération en régime de droit commun et en valeur réelle, afin de compenser les plus-values d'apport avec les déficits reportables, et de transférer ainsi à l'absorbante des actifs réévalués (source d'économies fiscales ultérieures au travers des amortissements, provisions ou résultats de cessions minorés). Même en régime de faveur, le recours aux valeurs réelles offrait l'avantage d'augmenter les fonds propres de l'entité bénéficiaire des apports, et de faciliter la reconstitution des provisions et réserves réglementées qui figuraient au bilan de l'apporteuse.

2. Des nouvelles règles comptables impératives

A compter de 2005, des règles strictes s'imposeront aux parties en fonction des conditions objectives de l'opération. Dorénavant :

  • La valeur comptable devra obligatoirement être retenue dans le cadre d'opérations réalisées entre entités "sous contrôle commun", quel que soit le sens de l'opération. Sont visées les situations dans lesquelles l'une des entités parties à l'opération contrôle préalablement l'autre, ou les deux entités concernées sont sous le contrôle d'une même société mère. Le contrôle peut également résulter de l'exercice d'une influence dominante, à raison d'un contrat ou de clauses statutaires.

La valeur comptable s'imposera également en cas d'opérations entre entités "sous contrôle distinct", mais réalisées "à l'envers". Sont visées les opérations entre entités sans liens avant l'opération, mais qui conduisent à ce que l'actionnaire principal de l'absorbée prenne le contrôle de l'absorbante (qui est en réalité la cible de l'opération).

Exemple

F1 absorbe F2. A l'issue de l'opération, M1 ne détient plus que 25% de F1, M2 recevant 75% des titres de F1 en échange de ses titres F2 . Cette opération doit être réalisée obligatoirement en valeur comptable, et ne conduit donc à aucune réévaluation des actifs, ni au niveau de F1 absorbante, ni au niveau de F2 absorbée.

: M1 et M2 détiennent respectivement 100% de F1 et F2. F1 est valorisée à 1 MEuro, et F2 à 3 MEuro.

  • Lorsque l'opération concerne des entités sous contrôle distinct et est réalisée "à l'endroit", c'est la valeur réelle qui alors s'imposera.

Suite de l'exemple

La valeur réelle devra également être retenue, alors même que l'opération est réalisée entre entités sous contrôle commun, dans deux cas dérogatoires : (i) apport partiel d'actif, lorsque la filiale bénéficiaire est appelée à être cédée à une société sous contrôle distinct, en vertu d'un engagement préalable de cession ou d'introduction en bourse ; (ii) en toutes situations, lorsque l'actif net apporté est insuffisant pour permettre la libération des apports.

: Si c'est F2 qui absorbe F1 (ce qui conduit à la même répartition entre M1 et M2 dans le capital de l'entité issue de la fusion), l'opération devra impérativement être réalisée en valeur réelle. Le bilan à l'issue de l'opération sera donc différent par rapport à l'hypothèse précédente.

3. Les conséquences fiscales

Ces règles comptables s'appliqueront de façon impérative, sans considération du régime fiscal des sociétés concernées et de celui qui sera appliqué à l'opération. Voilà qui modifie radicalement les termes du choix entre le régime de faveur des fusions et le régime de droit commun de la cessation d'activité.

Les entreprises auront de facto l'obligation de retenir le régime de faveur chaque fois que l'opération doit être réalisée en valeur comptable (à raison des liens ou du sens de l'opération) alors que l'actif de l'apporteuse recèle des plus-values latentes. A défaut, l'opération conduirait à l'imposition des plus-values au niveau de l'apporteuse (au titre de la cessation totale ou partielle d'activité), sans que la bénéficiaire de l'apport dispose d'actifs réévalués générateurs de déduction futures. L'administration fiscale a en effet fait savoir qu'elle n'accepterait pas, s'agissant tout au moins de l'amortissement ou du provisionnement des actifs transférés, une déconnexion entre la fiscalité et la comptabilité.

La contrainte de la valeur comptable obligatoire pourra, dans certains cas, être atténuée par le recours à une réévaluation libre préalable à l'opération. Cette solution n'est toutefois concevable en pratique que si l'apporteuse dispose de déficits reportables pour un montant au moins égal à l'écart de réévaluation portant sur l'ensemble des immobilisations corporelles et financières (et pas seulement sur celles comprises dans l'apport)

4. Des difficultés à prévoir dans les apports partiels d'actif.

Dans le cas général des filialisations soumises à transcription aux valeurs comptables, les parties seront tentées d'appliquer systématiquement le régime de faveur. Celui-ci suppose toutefois (notamment) que l'apporteuse souscrive, et respecte, un engagement de conservation pendant trois ans des titres de la bénéficiaire reçus en contrepartie de l'apport.

La rupture (ou la non souscription) de cet engagement conduirait à (re)placer l'opération sous le régime de droit commun, faisant courir un risque de triple imposition économique : (i) au niveau de l'apporteuse, sur les plus-values dégagées fiscalement (mais non comptablement) par l'apport ; (ii) au niveau de la bénéficiaire de l'apport, qui, ayant repris à son bilan les valeurs comptables, devra, en cas de cession d'un élément d'actif reçu, imposer une plus-value déterminée par référence à sa valeur comptable ; (iii) à nouveau chez l'apporteuse, lors de la cession ultérieure des titres de la bénéficiaire de l'apport, la plus-value étant déterminée par rapport à la valeur (non réévaluée) des titres dans ses comptes.

A l'inverse, dans le cas particulier des filialisations précédées d'un engagement de cession, c'est le non-aboutissement du projet de cession qui serait potentiellement problématique. En effet, l'opération, initialement en valeur réelle, devrait rétroactivement être re-comptabilisée en valeur comptable. Or, l'opération ayant a priori été placée en droit commun (compte tenu du projet de cession), le risque de triple imposition économique sera là encore encouru.

On peut espérer que des mesures d'adaptation seront prises par le législateur ou l'administration pour gommer ces anomalies.

5. Autres effets indésirables

En matière de taxe professionnelle

En matière de droits d'enregistrement

ensuite, dans le cadre des opérations de filialisation précédées d'un engagement de cession. Alors même que cette séquence d'opérations est "consacrée" par la comptabilité, l'administration a fait savoir qu'elle continuerait à se réserver le droit de la requalifier sur le fondement de l'abus de droit comme dissimulant la cession des actifs composant la branche apportée. Bien que cette position soit contestable (compte tenu de ce qui différencie ces deux types d'opérations dans leurs effets juridiques), il est à craindre que l'existence (révélée par le recours aux valeurs réelles) d'un engagement préalable de cession soit de nature à aggraver le risque de contestation. tout d'abord. L'administration devrait en effet confirmer que, pour les opérations faites en valeur comptable sous le régime de faveur, la bénéficiaire des apports sera tenue de reprendre les valeurs historiques. Or, on sait que les vérificateurs s'appuient, de façon contestable, sur cette donnée pour considérer que les éléments transférés doivent continuer à être taxés sur la valeur brute, et non sur la valeur nette d'apport (cf notre précédente chronique au n° 809).

Chronique parue dans OPTION FINANCE du 03/01/05

Authors:
Renaud Grob, Avocat Associé