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Restructurations patrimoniales : le gouvernement renforce son arsenal anti-abus

Article paru dans la revue Option Finance du 17 décembre 2012 par Olivier de Saint Chaffray et Thomas Laumière

17/12/2012


C’est un scénario classique. L’administration fiscale s’émeut de la propagation d’un schéma d’optimisation fiscale. Lorsque ce schéma a été avalisé et encadré par le juge de l’impôt, elle s’adresse au législateur pour faire cesser la pratique qu’elle estime indésirable.


1. Apport à une société contrôlée : report versus sursis

Certains contribuables ont tiré profit d’un dispositif consistant à effacer l’imposition de la plus-value afférente à des titres en phase de cession : les titres étaient vendus (sans plus-value) par la société à laquelle ils venaient d’être apportés (en sursis d’imposition), un court instant auparavant. Cette séquence a été regardée (et sanctionnée) comme abusive par le Conseil d’Etat, sauf remploi par la société cédante d’une fraction significative du produit de la cession dans l’acquisition d’autres titres d’entreprise. Les intérêts du Trésor étaient ainsi désormais préservés et nul ne se hasardait plus à recourir à la formule sans respecter les exigences posées par le juge.

Le gouvernement a proposé mi-novembre un texte qui, tout en encadrant cette pratique et en la légitimant (ce qui pousse à reconsidérer le bien-fondé de la majoration pour abus de droit appliquée dans les contentieux en cours en matière d’apport-cession), affecte aussi les contribuables qui font apport à une société soumise à l’IS qu’ils contrôlent d’une participation destinée à être durablement conservée par celle-ci. Pour ces contribuables, l’apport cesse d’être considéré comme une opération intercalaire. La plus-value d’apport est extériorisée et placée en report. Les débats parlementaires ont été l’occasion d’assouplir le projet sur certains points essentiels.

Ainsi, alors qu’initialement la plus-value d’apport n’ouvrait droit au report que sur demande expresse du contribuable, le report est désormais automatique. Le contribuable reste néanmoins tenu de mentionner la plus-value en report dans sa déclaration de revenus, sans que le défaut de déclaration n’entraîne la déchéance du report.

Par l’effet des amendements parlementaires, le report ne sera plus appelé à tomber du fait du décès de l’apporteur ni, sauf exceptions, de la donation des titres.

Le report d’imposition est préservé si une durée de trois ans au moins à compter de la réalisation de l’apport s’écoule avant que la société cède tout ou partie des titres qui lui ont été apportés.

Le traitement des apports-cessions a lui-même évolué. Initialement subordonné à un engagement de réinvestissement du produit de la cession dans un délai de 5 ans (à compter de l’apport), le maintien du report d’imposition s’articule désormais autour d’un double délai : « il n’est pas mis fin au report lorsque la société bénéficiaire de l’apport cède les titres dans un délai de trois ans à compter de l’apport et prend l’engagement d’investir le produit de leur cession dans un délai de deux ans à compter de la cession et à hauteur d’au moins 50% du montant de ce produit ».

S’agissant de la nature du réinvestissement, le texte permet désormais, outre le financement d’une activité industrielle (omise dans le projet présenté par le gouvernement) et la souscription au numéraire au capital d’une ou plusieurs sociétés opérationnelles, « l’acquisition d’une fraction du capital d’une société exerçant une telle activité (…) qui a pour effet (d’en) conférer le contrôle ».

C’est dorénavant seulement en cas de manquement à cette obligation de réinvestissement que la plus-value rendue imposable sera assortie de l’intérêt de retard, décompté depuis l’année de l’apport.

Si l’on peut se féliciter de ces aménagements, on regrettera la persistance de certaines difficultés qui seront laissées à l’appréciation de l’administration : pourquoi autoriser la souscription au capital de plusieurs sociétés mais l’acquisition d’une seule ; pourquoi exiger dans cette dernière hypothèse l’exercice d’un contrôle quand il n’est pas requis en matière de souscription ; l’exigence d’un contrôle sera-t-elle continue, compromettant les arbitrages futurs qui caractérisent la vie des entreprises ?

On regrettera également qu’en l’état actuel du texte, la déchéance du report d’imposition encourue en cas de réinvestissement insuffisant ne soit pas proportionnelle à la fraction du prix de cession non réinvestie (comme c’est le cas sous le régime de l’article 150-D bis du CGI). Soulignons pour conclure que l’application d’un report d’imposition pourrait être jugée incompatible avec les prescriptions de la directive européenne fusions du 19 octobre 2009 en vertu de laquelle la France est tenue de reconnaître un caractère intercalaire à l’échange d’actions, défini comme l’apport d’une participation majoritaire à une société soumise à l’impôt sur les sociétés établie dans un autre Etat membre. Les contribuables qui constituent leur société holding en Belgique ou au Luxembourg pourront tester le point.

2. Prévention des schémas d’optimisation dits de « donation-cession »

A la vente de la fraction des titres qu’ils souhaitent transmettre et qui serait alors amputée de l’impôt de plus-value, les contribuables privilégiaient les donations de titres au profit de leurs enfants, en sorte qu’ils puissent eux-mêmes les céder sans plus-value et financer ainsi les droits de donation.

Pour le Comité de l’abus de droit fiscal, comme pour le juge, cette opération n’encourait aucune critique à la double condition que la donation soit préalable à la cession et que le donateur ne se réapproprie pas le prix de la cession.

Le gouvernement entend désormais neutraliser l’effet de « purge » de la plus-value qu’opère une donation intercalaire. Ainsi, s’agissant des donations de titres consenties à compter du 14 novembre 2012 suivies de leur cession dans les dix-huit mois (en lieu et place des 24 mois initialement envisagés par le projet gouvernemental), le prix d'acquisition à retenir pour le calcul de la plus-value ne sera plus l'évaluation des titres retenue pour la détermination des droits de mutation à titre gratuit, mais leur prix ou valeur d’acquisition par le donateur, majoré des droits grevant la donation supportés par le donataire.

Ce dispositif ouvre une brèche dans un principe de notre droit fiscal selon lequel les droits de mutation qui assortissent une donation sont exclusifs de l’impôt de plus-value. Il conviendra donc désormais pour éviter des impositions en cascade d’assortir les donations d’une clause d’inaliénabilité des titres. Aussi, dans l’hypothèse où la cession serait envisagée dès la donation, il conviendra d’organiser un différé de dix-huit mois du transfert de propriété des titres au profit de l’acquéreur.

3. Cession d’usufruit temporaire : modification des modalités d’imposition du profit réalisé

Très utilisées dans le cadre de la gestion d’un patrimoine immobilier locatif, les opérations de cession d’usufruit temporaire de droits ou biens (le plus souvent au profit d’une société passible de l’IS contrôlée par les cédants) permettent aux contribuables de percevoir par anticipation l’équivalent des revenus produits par le bien sur la durée de l’usufruit, moyennant une fiscalité réduite. Compte tenu des règles de détermination du résultat soumis à l’IS (déduction des charges financières, amortissement de l’usufruit temporaire…) les revenus générés par le bien se trouvent faiblement imposés.

Le gouvernement entend désormais imposer le produit de la cession de l’usufruit temporaire selon les modalités propres à la catégorie de revenus dont dépend l’élément sur lequel porte l’usufruit : revenus fonciers ou revenus de capitaux mobiliers selon qu’il s’agit d’immeubles locatifs ou d’actions.

Le champ d’application de ce dispositif soulève un certain nombre d’interrogations.

Au premier rang de celles-ci figure le traitement de l’apport en société de l’usufruit temporaire d’un bien. Il semble peu douteux que la notion de « cession à titre onéreux d’un usufruit temporaire » englobe aussi bien la vente que l’apport. Il est non moins douteux qu’un produit de cession s’exprime par des espèces sonnantes.

A suivre l’esprit du législateur tel qu’il ressort de l’exposé des motifs du projet de loi, lequel vise « des contribuables (qui) peuvent percevoir en une seule fois et sans imposition (…) l’équivalent des revenus que produira le bien », l’apport d’usufruit temporaire en ce qu’il ne génère aucun « produit de cession » et ne se traduit par la perception d’aucun revenu, devrait logiquement ne pas être concerné par cette réforme.

Cette contrariété entre l’exposé des motifs et la lettre de la loi se retrouve dans l’exigence de « contrôle » de la société cessionnaire : nécessaire à la requalification du produit de cession dans l’esprit du législateur, cette condition ne figure pas dans le projet de loi.

Une autre difficulté qu’il faudra rapidement dissiper tient à ce que, dans l’hypothèse de cession de l’usufruit temporaire de valeurs mobilières, le produit de cession requalifié en revenu de capitaux mobiliers pourrait être regardé comme non éligible à l’abattement forfaitaire de 40% que l’article 158 3.2° du CGI réserve aux distributions « résultant d’une décision régulière des organes compétents ». Espérons sur ce point une interprétation compréhensive de la loi.

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