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Réseau de distribution sélective

Un refus d’agrément licite en droit de la concurrence ne peut être sanctionné au titre de l’obligation de bonne foi précontractuelle

27/06/2019

La cour d’appel de Paris avait validé un refus d’agrément dans un réseau de distribution sélective au regard du droit de la concurrence tout en le sanctionnant sur le terrain de la responsabilité extracontractuelle (cf. CA Paris, 24 mai 2017, n° 15/12129, voir notre article sur LEXplicite). La Cour de cassation vient de censurer son analyse.

Le contexte de l’affaire - Après avoir cédé son activité, un constructeur automobile avait résilié l’ensemble de ses contrats de concession en annonçant une restructuration du réseau. Quelques jours plus tard, la nouvelle tête de réseau avait invité les concessionnaires intéressés à candidater pour un nouveau contrat de distributeur agréé. A la suite de son refus d’agrément, un candidat évincé avait assigné la tête de réseau en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 1382 du Code civil (aujourd’hui 1240) ; il estimait que le refus était fautif car discriminatoire et injustifié.

La position de la cour d’appel de Paris - La Cour d’appel avait commencé par valider le refus d’agrément au regard des règles du droit de la concurrence : la part de marché détenue, inférieure à 40 %, permettait au réseau de bénéficier de l’exemption automatique catégorielle du règlement 1400/2002, applicable à l’époque des faits, en l’absence de restrictions caractérisées ; en effet, les refus d’agrément discriminatoires ou injustifiés ne constituent pas des restrictions caractérisées entrant dans le champ de la prohibition des ententes anticoncurrentielles (articles L.420-1 du Code de commerce et 101 du TFUE).

Mais les juges d’appel avaient ensuite retenu la responsabilité extracontractuelle du titulaire du réseau. Selon eux, « l’exemption d’un refus d’agrément, qui le fait échapper à la qualification de pratique anticoncurrentielle, ne le fait pas pour autant échapper au droit général des contrats, le concédant étant tenu, dès la phase précontractuelle, de respecter son obligation générale de bonne foi dans le choix de son cocontractant ». Ils en avaient déduit que le titulaire du réseau se devait de sélectionner ses distributeurs sur le fondement de critères définis et objectivement fixés et d’appliquer ceux-ci de manière non-discriminatoire.

La censure de la Cour de cassation - La Haute juridiction vient d’en décider autrement en énonçant que « l’exigence de bonne foi ne requiert pas, de la part de la tête d’un réseau de distribution, la détermination et la mise en œuvre d’un tel processus de sélection ».

Elle censure en conséquence la Cour d’appel pour violation de l’article 1240 du Code civil et des principes de liberté contractuelle et de liberté du commerce et de l’industrie (Cass. com. 27 mars 2019 n° 17-22.083).

Une décision inédite - C’est la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation se prononce sur l’existence, au regard du droit commun des obligations, d’un droit à l’agrément pour les candidats souhaitant intégrer un réseau de distribution sélective lorsqu’ils remplissent les critères posés par la tête de réseau.

En fondant l’existence d’un tel droit sur l’obligation générale de bonne foi précontractuelle, la décision de la cour d’appel de Paris de 2017 avait pu surprendre en raison de sa contrariété avec le droit de la concurrence français comme de l’Union mais aussi de l’approche que cette juridiction retenait jusqu’alors.

La cour d’appel de Paris admettait en effet, dans les réseaux de distribution sélective quantitative (comme en l’espèce les réseaux de distribution automobile), au nom du principe de liberté contractuelle, que le fournisseur pouvait refuser l’agrément d’un candidat sans avoir à en justifier, même si ce dernier remplissait les critères de sélection (CA Paris, 30 septembre 2015, n° 13/07915 ; CA Paris, 19 octobre 2016, n° 14/07956 ; CA Paris, 27 février 2017, n° 15/12029). En d’autres termes, le refus d’agrément ne peut constituer une faute source de responsabilité en l’absence d’obligation pour le promoteur du réseau d’agréer un candidat remplissant les critères qualitatifs de sélection. 

La Cour de cassation vient donc confirmer implicitement cette approche lorsqu’elle affirme que l’exigence de bonne foi ne requiert pas, de la part de la tête d’un réseau de distribution, la détermination et la mise en œuvre d’un processus de sélection reposant sur des critères définis, appliqués sans discrimination. 

Une décision de portée générale ? - La généralité du principe énoncé laisse entendre que la position retenue vaudrait pour l’ensemble des réseaux de distribution sélective, c’est-à-dire non seulement en matière de distribution quantitative, par essence discriminatoire, mais également de distribution purement qualitative. Dans un souci de sécurité juridique, une nouvelle intervention de la Cour de cassation pour clarifier ce point serait opportune.

Une limite au refus d’agréement - Rappelons que la liberté contractuelle de la tête de réseau n’est toutefois pas absolue : le droit de ne pas agréer ne peut en effet être exercé de manière abusive. Tel serait le cas si la tête de réseau laissait entendre aux candidats qu’ils bénéficient d’un droit acquis à l’agrément dès lors qu’ils remplissent les critères de sélection pour finalement refuser de les agréer alors même que ces critères sont satisfaits. Tel n’avait pas été le cas en l’espèce pour la Cour de cassation.


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Cet article a été publié dans notre Lettre des affaires commerciales de Juin 2019. Cliquez ci-dessous pour découvrir les autres articles de cette lettre.

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Elisabeth Flaicher-Maneval
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