1.1. On sait que, dans le cadre d'une opération de fusion, le transfert
à la société absorbante des déficits de la société absorbée est
subordonné à l'obtention d'un agrément administratif.
En
1975, les dispositions de l'article 209 II du Code Général des Impôts
conféraient à l'administration fiscale un pouvoir de décision qui, sans
être discrétionnaire, autorisaient une certaine latitude dans
l'appréciation des situations qui lui étaient soumises.
On comprend
dans ces conditions l'intérêt pratique qui pouvait être trouvé, dans
certaines opérations, à attribuer la qualité de société absorbante à la
société qui disposait de reports déficitaires.
1.2. C'est d'ailleurs
ce choix qui fut retenu lors de la fusion des sociétés PROMOBEL et VBF
Diffusion de sorte que la société absorbante PROMOBEL a pu reporter,
sur les résultats réalisés postérieurement à l'opération, les déficits
reportables antérieurement constatés.
Relevant que la société
absorbante réalisait avant la fusion un chiffre d'affaires de près de
cinq fois inférieur à celui de la société absorbée et qu'elle avait,
suite à la fusion, changé de siège social et de dénomination sociale,
l'administration fiscale avait remis en cause, sur le terrain de l'abus
de droit, l'imputation de ses déficits. Sans contester l'intérêt
économique de l'opération de fusion, l'administration fiscale soutenait
que son mode de réalisation n'avait pour seul objectif que de
contourner l'obligation d'obtenir l'agrément ministériel susvisé.
Saisi
en dernier instance de ce litige 1, le Conseil d'Etat retient que "si le
ministre critique les conditions dans lesquelles a été réalisée la
fusion, il résulte de l'instruction que celle-ci n'a pas eu un
caractère fictif et répondait à un intérêt économique et que, dès lors,
le ministre n'établit pas l'abus de droit allégué".
En confirmant le
jugement du Tribunal Administratif et en suivant les conclusions de son
Commissaire du Gouvernement, le Conseil d'Etat a confirmé, sous la
seule limite de l'intérêt économique des opérations, la possibilité
pour les parties à une fusion de choisir librement le sens qui leur est
le plus favorable sur le plan fiscal.
1.3. Tout en rappelant que les
déficits d'une société absorbante, à la différence de ceux de la
société absorbée, peuvent, sauf changement d'activité réelle, être
imputés sur les résultats réalisés postérieurement à la fusion, le
Commissaire du Gouvernement avait reconnu que l'Administration avait
probablement raison d'affirmer que le sens de la fusion avait été
délibérément choisi pour ne pas avoir à solliciter l'agrément
ministériel. Pour autant, l'administration fiscale reconnaissant
l'intérêt économique de l'opération, celle-ci ne pouvait être inspirée
par le seul souci d'éluder l'impôt.
Aussi, le Commissaire du
Gouvernement, écartant implicitement mais nécessairement la fictivité
de la fusion, rappela que les sociétés avaient "le choix d'organiser
l'opération de fusion dans le sens qu'elles désiraient, et ont préféré
très normalement la solution fiscalement la plus favorable".
A notre
connaissance, cette décision n'a jamais été commentée par
l'administration fiscale. Mais depuis sa publication, aucun contentieux
n'est plus venu devant les juridictions sur ce terrain.
2.2. Dans un cas similaire (arrêt du 18 juin 2007) 2, la Cour
Administrative d'Appel de Paris vient de rejeter à son tour
l'argumentation développée par l'Administration fiscale visant à
refuser, sur le fondement de l'abus de droit, l'imputation des déficits
de la société absorbante. La
cour ne s'est cependant pas bornée à relever que la fusion avait pour
objet une restructuration interne "destinée à rationaliser et
simplifier les structures afin d'améliorer le réseau de vente et, par
conséquent, la rentabilité".
Elle affirme "qu'en outre, il ressort
des écritures non contestées de la requérante que la société absorbante
avait connu une augmentation substantielle de son chiffre d'affaires
grâce à l'apport, concomitant au traité de fusion, de quatre nouvelles
enseignes" de sorte que son chiffre d'affaires et son personnel étaient
légèrement supérieurs à ceux de la société absorbée.
2.3. Dès lors,
il est légitime de se demander si la Cour aurait statué dans le même
sens dans l'hypothèse où la société absorbante n'aurait pas,
concomitamment à la fusion, reçu par voie d'apport des actifs conférant
à son activité une importance au moins identique à celle de la société
absorbée.
Cette interrogation revient finalement à se demander si le
motif lié à l'importance de l'activité est ou non surabondant dans la
décision de la Cour.
2.4. A notre avis, il y a lieu de considérer
que les éléments liés à l'importance des activités respectives des
sociétés fusionnantes n'ont pas été déterminants.
Tout d'abord,
c'est en effet sans évoquer ces éléments que la Cour écarte, en
conclusion, l'existence d'un abus de droit, tout simplement parce qu'il
n'est démontré ni que l'opération concernée aurait présenté un
caractère fictif (ce qui n'était pas-même allégué) ni qu'elle ne
répondrait pas à un réel intérêt économique.
C'est donc bien, nous
semble-t-il, en raison du seul intérêt économique de l'opération que la
cour rejette l'analyse de l'administration fiscale. Par ailleurs,
l'idée selon laquelle la cour aurait pu être sensible à l'existence des
apports réalisés concomitamment à l'opération de fusion ne nous semble
pas convaincante dès lors que, s'agissant, ainsi que cela ressort
d'ailleurs expressément de la décision, d'une opération globale, les
apports auraient pu tout à fait être effectués au profit de l'une ou
l'autre des sociétés selon le sens retenu pour la fusion.
Les interrogations soulevées par la décision de la Cour Administrative d'Appel ne concernent plus, à notre avis, les opérations réalisées depuis le 1er janvier 2002.
En effet, quand bien même l'importance de l'activité de la société absorbante aurait pu antérieurement à cette date constituer un critère d'obtention de l'agrément ministériel de transfert des déficits de la société absorbée, on rappellera que cet agrément est désormais de droit lorsque l'opération poursuit des motivations économiques.
On comprendrait ainsi difficilement, quelle que soit la disproportion entre l'activité de chaque société concernée, que le report des déficits de la société absorbante puisse être contesté sur le terrain de l'abus de droit dans une hypothèse où, eu égard à l'intérêt économique poursuivi, l'agrément afférent au transfert de ces déficits aurait dû être accordé dans le cas où la société déficitaire aurait été absorbée. Selon nous, l'intérêt économique doit être apprécié de manière identique tant en ce qui concerne l'obtention de l'agrément que la question du sens de la fusion.
Dans ces conditions, si l'opération de fusion n'a aucun fondement économique, l'agrément afférent au transfert des déficits ne peut être obtenu et l'attribution de la qualité de société absorbante à la société déficitaire peut, le cas échéant, être considérée comme ayant pour unique objectif de contourner les conditions d'obtention de l'agrément.
Si, au contraire, l'opération de fusion est économiquement fondée, le choix du sens de la fusion ne doit pas pouvoir être contesté sur le terrain de l'abus de droit dès lors que les déficits peuvent, selon le choix opéré, être transmis par voie d'agrément ou être reportés par la société absorbante (sous réserve des conséquences d'un éventuel changement d'activité).
En conclusion, nous pensons que la décision rendue par la Cour Administrative d'Appel, d'abord ne remet pas en cause la solution retenue par le Conseil d'Etat en 1986 et ensuite traite d'une question devenue sans portée pratique pour les opérations réalisées depuis le 1er janvier 2002 autres que celles qui seraient dépourvues de fondement économique.
________________________________________________
1 CE 21 mars 1986, n°53002, société Auriège » ; RJF 5/86 n° 470, conclusions Monsieur Olivier FOUQUET, p. 287 de la même RJF.
2 CAA Paris 18 juin 2007, n°06PA01941
Article paru dans la Revue Option Finance du 5 novembre 2007
Authors:
Philippe Grousset, Avocat Associé - Pierre Carcelero, Avocat
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