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Trust me ?

15/09/2011

Après trois années de débats et discussions, la loi définit un régime fiscal à la française pour les trusts

Ce régime, codifié dans quatre nouveaux articles du CGI (art. 792-0 bis, 885 G ter, 990 J et 1649 AB) créés par la loi de finances rectificative pour 2011, fixe les solutions applicables en matière de droits de mutation à titre gratuit et d’ISF. Les dispositions existantes relatives aux revenus des trusts sont en outre complétées.

1. Définition du trust

Selon le nouvel article 792-0 bis du CGI, « on entend par trust l’ensemble des relations juridiques créées dans le droit d’un Etat autre que la France par une personne qui a la qualité de constituant, par acte entre vifs ou à cause de mort, en vue d’y placer des biens ou droits, sous le contrôle d’un administrateur(1) , dans l’intérêt d’un ou plusieurs bénéficiaires ou pour la réalisation d’un objectif déterminé. »

La loi apporte une définition générale du trust en droit français dont les effets étaient jusqu’à ce jour reconnus seulement par la jurisprudence. La France a signé, mais n’a pas ratifié, la Convention de la Haye du 01/07/1985 sur la loi applicable au trust et sa reconnaissance. Cependant le droit français reconnaît (hier par la jurisprudence, aujourd’hui par la loi) la validité des trusts créés conformément aux lois en vigueur dans le pays de leur constitution pour autant qu’ils ne heurtent pas l’ordre public français.

2. Droits de mutation à titre gratuit

Désormais, les droits de mutation à titre gratuit seront applicables au décès du constituant sur les biens ou droits composant le trust, que ces biens soient immédiatement transmis aux bénéficiaires ou qu’ils demeurent dans le trust(2) .Conformément aux règles de territorialité applicables en la matière, ces droits frappent les actifs en trust, sans égard à leur localisation, si le constituant et/ ou les bénéficiaires sont des résidents de France. Inversement, si ces derniers résident à l’étranger, les droits sont dus exclusivement à raison des actifs situés en France.

Si ces règles de territorialité entrent en conflit avec les conventions fiscales, les dispositions conventionnelles devraient prévaloir, tout au moins dans les cas où la loi qualifie ces transmissions de donation ou de succession soumises aux règles d’imposition de droit commun. Une vraie question se posera s’il n’en est pas ainsi.

Les droits de donation deviennent applicables notamment lorsque, du vivant du constituant, la propriété d’un actif est effectivement remise à un bénéficiaire.

Les droits de succession seront dus au décès du constituant même si les biens figurant dans le trust ne sont pas effectivement remis aux bénéficiaires. Ils seront à nouveau dus au décès des bénéficiaires car les intéressés se voient conférer la qualité de constituant après le décès du constituant initial. Par conséquent, même si les actifs restent dans le trust, les droits sont dus à chaque transmission d’une génération à l’autre.

Le taux des droits de succession applicables à la date du décès du constituant dépendra principalement du lien de parenté avec les bénéficiaires :

a) si, à la date du décès, la part due à un bénéficiaire identifié est déterminée, les droits seront dus suivant le barème des droits de succession en fonction du lien de parenté. L’administrateur du trust n’intervient alors pas dans le paiement des droits dus par les bénéficiaires.

b) Si, à la date du décès, la part est déterminée mais il s’agit d’une transmission globale à plusieurs descendants, les droits seront dus au taux de 45%. Ces droits sont versés au comptable public compétent, par l’administrateur, dans le délai de six mois ou d’un an selon que le constituant était ou non résident de France à la date de son décès.

c) Dans les autres cas, notamment, lorsque les actifs demeurent dans le trust ou s’il y a transmission globale à des personnes dont certaines ne sont pas descendants du constituant, le taux applicable sera celui des transmissions entre personnes non parentes (60 %). Ces droits sont versés au comptable public compétent, par l’administrateur.

Si le trustee est soumis à la loi d’un Etat ou un territoire non coopératif (ETNC) ou si le constituant est un résident de France au moment de la création du trust pour les trusts créés après le 11 mai 2011, le taux de 60% s’appliquera en tout état de cause.

Dans les cas b) et c), les bénéficiaires sont solidairement responsables du paiement avec l’administrateur du trust lorsque celui-ci est soumis à la loi d’un ETNC ou d’un Etat n’ayant pas conclu avec la France « une convention d’assistance mutuelle en matière de recouvrement »(3).

Aucun droit n’est dû si le bénéficiaire exclusif du trust est une entité de bienfaisance qui, en l’absence de trust, serait exonérée de droits de mutation à titre gratuit.

Enfin, la présomption de propriété de l’article 752 du CGI est étendue aux « biens ou droits placés dans un trust (…) dont le défunt a eu la propriété, a perçu les revenus ou à raison desquelles il a effectué une opération quelconque moins d’un an avant le décès. »

Les nouvelles dispositions s’appliquent aux donations consenties et aux décès survenus à compter de l’entrée en vigueur de la loi, c’est-à-dire le lendemain de sa publication au Journal officiel, à savoir à compter du 31 juillet 2011.

3. Impôt de solidarité sur la fortune

L’ISF frappe au taux de 0,25% les personnes physiques titulaires d’un patrimoine d’une valeur nette de marché comprise entre 1,3 million et 3 millions d’euros, et au taux de 0,5% celles titulaires d’un patrimoine dépassant 3 millions d’euros. Le nouvel article 885 G ter du CGI prévoit que le constituant, lorsqu’il est assujetti à l’ISF, doit comprendre dans son patrimoine imposable la valeur vénale nette des biens, droits ou produits capitalisés au sein du trust au 1er janvier de l’année d’imposition, indépendamment des caractéristiques du trust (irrévocable ou non, discrétionnaire ou non). Après son décès, l’imposition incombe aux bénéficiaires du trust, réputés alors constituants.

Ce dispositif met fin à l’interprétation de la jurisprudence française qui permettait tant au constituant qu’aux bénéficiaires d’un trust irrévocable et discrétionnaire d’être exonérés de l’ISF.

L’article 990 J du CGI crée un prélèvement spécifique de 0,50%, payable par le trustee, mais auquel les bénéficiaires et le constituant sont solidairement tenus.

Les personnes domiciliées en France sont visées par le prélèvement à raison de l’ensemble des biens, droits ou produits capitalisés dans le trust, sans égard à leur localisation. Celles domiciliées hors de France y sont soumises exclusivement sur les biens situés en France, sous réserve de l’exonération des placements financiers.

Le prélèvement ne s’applique pas si les actifs du trust ont été régulièrement déclarés dans le patrimoine imposable à l’ISF du constituant ou des bénéficiaires réputés constituants. Il s’applique en cas de manquement aux obligations déclaratives (du constituant ou du trustee, tenu de son côté de déclarer la valeur et la consistance des biens, droits et produits capitalisés du trust) même si la valeur du patrimoine imposable, incluant les biens mis en trust, est inférieur au seuil d’imposition à l’ISF.

Ce prélèvement spécifique est fixé au taux maximum de l’ISF (0,5%), mais la base du prélèvement est différente dès lors que nombre d’exonérations prévues en matière d’ISF ne sont pas applicables pour le prélèvement. La question se pose de savoir si les dispositions des conventions fiscales visant l’ISF sont applicables au prélèvement : ce point ne fait, à ce jour, l’objet d’aucun commentaire.

En cas de rectification d’ISF réintégrant des biens non-déclarés, ces biens devraient, en l’état des textes, être doublement imposés à l’ISF et au prélèvement.

4. Impôt sur le revenu

Jusqu’à présent, l’article 120, 9° du CGI soumettait à l’impôt dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers « les produits des trusts quelle que soit la consistance des biens composant le trust. »

La loi modifie cette rédaction de sorte que l’imposition se limite désormais aux « produits distribués par un trust défini à l’article 792-0 bis du CGI », à l’exclusion des produits réinvestis dans le trust.

La nouvelle législation invite a priori à distinguer, au sein des versements provenant d’un trust, entre la part effectivement prélevée sur l’actif (biens, droit et produits capitalisés) imposée aux droits de mutation à titre gratuit, et les produits constitutifs de revenus soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu, et aux prélèvements sociaux (pour les résidents).

L’article 123 bis du CGI demeure quant à lui inchangé. Il permet donc l’imposition des produits réinvestis dans le trust.

5. Responsabilité du trustee

Indépendamment de celles déjà mentionnées, la loi introduit de nouvelles obligations déclaratives à la charge du trustee.

Ce dernier devra déclarer la constitution du trust, sa modification ou son extinction ainsi que le contenu de ses termes. Il sera tenu de déclarer la valeur vénale au 1er janvier des biens, droits et produits capitalisés entrant dans le champ du prélèvement spécifique de 0.50%.

L’inobservation de ces obligations expose le trustee (et conjointement le constituant et les bénéficiaires) à une amende de 10 000 € ou, s’il est plus élevé, à un montant égal à 5% de la valeur des actifs susmentionnés.

Ceci pose un réel problème car la divulgation de ces informations n’est pas toujours compatible avec les termes du mandat que le trustee a reçu.

Conclusion

Le nouveau régime est de manière générale non respectueux des règles juridiques applicables en droit étranger, ce qui n'était pas jusqu’à présent l'approche des Cours Suprêmes. Il apparait punitif envers certaines catégories de trusts en ce qu’il vise à imposer le bénéficiaire sur des biens dont la propriété lui échappe et le constituant sur des biens qu’il ne détient plus et qu’il ne contrôle pas d’une quelconque manière. De plus, en cas de manquement, les biens en seront eux-mêmes affectés et la famille entière devra en supporter conjointement les conséquences.

Les trustees doivent se poser la question de la portée de leurs mandats relatifs aux trusts impliquant des résidents de France ou comportant des biens situés en France. Ils seront conduits à vérifier leurs prérogatives et les aménager, si besoin est, pour être autorisés à divulguer les informations requises par l’administration française et à prélever l’impôt, et les éventuelles pénalités juridiquement dues.

La loi vise à clarifier la situation. Cependant, le manque de prise en compte des spécificités de l'institution qu'est le trust ne manquera pas de provoquer des litiges. La nouvelle législation pourra aussi avoir un effet dissuasif sur les bénéficiaires ou constituants établis en France pour des raisons personnelles ou professionnelles ou qui projetaient de s'y établir.


1. Le trustee

2. CGI art. 792-0 bis II

3. La loi n’indique pas si la clause d’assistance en matière de recouvrement doit être applicable aux droits de mutation par décès ou s’il suffit qu’elle soit applicable à d’autres impôts et taxes.

Par Pierre-Jean Douvier, Adea Meidani et Xenia Lordkipanidzé, Avocats, CMS Bureau Francis Lefebvre

Article paru dans la revue Option Finance le 29 août 2011

Auteurs

Portrait dePierre-Jean Douvier
Pierre-Jean Douvier
Associé
Paris
Adea Meidani
Xenia Lordkipanidzé
avocats
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