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Y a-t-il un Etat de droit... en droit de la négociation collective ?

01/06/2010

La question posée l’est au-delà de la simple provocation. L’actualité sociale récente amène sérieusement à s’interroger sur un constat purement factuel : dès lors que les séquestrations de cadres ou de dirigeants s’imposent comme moyen d’obtenir par la force ce que la discussion ou la négociation n’a pas permis, le droit doit-il l’admettre ?


Parodiant le titre d’une chronique récente (« Quand la séquestration est saisie par le droit », Semaine sociale Lamy du 5 mai 2009), il faudrait se demander si le droit n’est pas saisi par la séquestration ! Que des situations telles que restructurations d’entreprises, fermetures de sites soient difficilement vécues par les salariés concernés, que le discours politique dénonce à l’occasion les iniquités ou injustices (réelles ou non) les ayant générées, nul ne saurait le discuter. Mais admettre que la restriction à la liberté de mouvement (même temporaire) imposée à certains s’invite comme outil (ultime ?) de discussion et soit par ailleurs ressentie avec sympathie par nos concitoyens n’est pas anecdotique et sans poser certaines questions.

Les moyens de droit existants mais peu mobilisés

Au niveau pénal, la séquestration est un délit sanctionné par l’article 224-1 du Code pénal :

  • de cinq ans et 75 000 € d’amende si le séquestré est libéré volontairement avant le septième jour,
  • ou de vingt ans de réclusion criminelle.

Au niveau droit disciplinaire du travail, le licenciement des salariés, notamment représentants du personnel peut être envisagé. Les faits étant généralement commis au cours d’une grève, une faute lourde devra être caractérisée. S’agissant des représentants du personnel, l’autorisation de leur licenciement devra être demandée auprès de l’Inspecteur du travail.

Sous l’impulsion du Ministère public, il est envisageable de faire intervenir la force publique afin de mettre un terme à la voie de fait commise. Nulle décision de justice n’est juridiquement nécessaire, un délit pénal étant en cours de commission. Cette voie est très rarement mise en oeuvre afin de préserver l’ordre public.

Que reste-t-il du dialogue social ?

Évoquons ici le dialogue social imposé par les textes en matière de licenciement collectif pour motif économique : nombre de réunions, recours à un expert-comptable, possibilité de négocier des accords de méthode « offensifs » ou « défensifs », intervention de l’administration du travail…

Que faut-il de plus pour parvenir à des solutions concertées et efficaces ? Que chacun veuille écouter l’autre ? Oui évidemment, mais penser que toutes les séquestrations récentes ne sont que la conséquence d’un échec des outils mis à disposition des partenaires sociaux serait un peu rapide !

Le fait est, cependant, que les instances élues du personnel suivent souvent le mouvement de colère des salariés parfois menés par les organisations syndicales et leurs représentants. Dès lors, le système a-t-il dysfonctionné ? Faudrait-il que la procédure évoquée ci-dessus soit marquée légalement d’une obligation de résultat ? Ou bien que son déroulé prévoit plus de temps pour la discussion de l’accompagnement social des restructurations ? Ou encore que les moyens consacrés à celui-ci ne visent qu’à une réelle sauvegarde de l’emploi (repositionnement professionnel), en interdisant les indemnités complémentaires de licenciement (ou en les plafonnant), car trop souvent, ce sont ces dernières qui constituent l’enjeu ultime des discussions et donc des dérapages constatés ?

En tout état de cause, le juriste ne pourra que s’étonner que la séquestration soit établie comme levier pour arracher une victoire qui ne sera qu’à la Pyrrhus… les excès des uns engendrant souvent ceux des autres qui auront subi les premiers…

Verrons-nous les négociations sociales s’ouvrir sous la protection des forces de l’ordre ou de sociétés de sécurité : même si elles soulèveraient un tollé de protestations, les demandes en ce sens ne sauraient être critiquées dès lors que la séquestration pourrait s’inscrire en filigrane de tout ordre du jour d’une réunion avec des délégués syndicaux ou un comité d’entreprise !

Faut-il subir et renoncer ?

Constat factuel par ailleurs, les séquestrés choisissent de ne pas agir contre ceux qui les ont temporairement privés de liberté : pas de dépôt de plainte, ni par eux ni par les dirigeants des entreprises concernées. Reconnaissance du bien-fondé du comportement adopté ? Mise en avant du contexte très particulier l’ayant généré ? Souhait de ne pas faire de vague et de ne pas en rajouter ? Regrettons également que le ministère public ne s’empare pas plus souvent et spontanément de ce type de situation afin de mettre en oeuvre lui-même l’action publique répressive.

Peu importe au fond : le fait de séquestration paraît dès lors comme acceptable et gérable en tant que tel.

La prévention de telles situations doit donc devenir la priorité : recensement des facteurs de risque dans le contenu même de la restructuration (délocalisation, entreprise ou groupe à capitaux étrangers, fermeture de site,…). Mais à ce stade, il est peut-être déjà trop tard.

L’anticipation passera aussi, très en amont, par la définition et l’affichage d’une stratégie claire telle que par exemple : pas de négociation sous la pression de ce type d’événement (position souvent retenue en cas de blocage des locaux ou d’entrave complète au fonctionnement d’un site), prévoir expressément de retirer tout mandat et pouvoirs aux personnes pouvant être engagées dans les éventuelles négociations, choix de porter en justice la situation, même si la négociation a une chance d’aboutir, la voie contentieuse étant elle aussi un levier de négociation utile, et parfaitement légal quant à lui !

D’une façon générale, nul n’a à gagner à voir ce genre de comportement s’inscrire durablement dans le paysage du dialogue social en France : inadmissible dans son principe, la séquestration ne peut tirer de légitimité du seul fait de son efficacité dans des situations dont le caractère marginal aurait dû amener les parties qui en furent victimes à réagir autrement que par un « laisser-admettre » coupable !

Droit exorbitant du droit commun, le droit du travail doit néanmoins rester un droit !


Guillaume Bossy et François Coutard, avocats associés
CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon

Article paru dans la revue Décideurs | Avril 2010