L’adoption par le défunt d’un régime de communauté universelle avec clause d’attribution intégrale au conjoint survivant ne fait pas obstacle à ce qu’un héritier réservataire puisse, le cas échéant, « prétendre au partage de ceux des biens demeurés propres au défunt sur lesquels il détient une quote-part indivise, que l’indivision porte sur la pleine propriété desdits biens ou l’un de ses démembrements, ainsi qu’au rapport ou à la réduction des libéralités consenties par le défunt ».
Cass. 1re civ., 15 janv. 2025, no 22-24672, F–B (cassation sans renvoi CA Rennes, 25 oct. 2022, n° 22/00318) : DEF 23 janv. 2025, n° DEF223x4
1. Il existe une certaine croyance selon laquelle, en cas d’attribution intégrale de la communauté universelle au conjoint survivant, la succession de l’époux prédécédé est, dans tous les cas, « vidée » de sa substance. Se pose donc la question de savoir si un tel avantage matrimonial, qui s’exprime souvent en des termes radicaux dès la liquidation du régime matrimonial, ne rend pas sans objet les opérations ultérieures de liquidation et de partage de la succession du conjoint prédécédé. Le présent arrêt, dans le sillage de précédentes décisions qu’il complète et précise, s’inscrit une nouvelle fois en faux contre ce raccourci source d’erreurs en droit patrimonial de la famille.
2. Des époux se marient le 10 avril 1965 sous le régime, alors conventionnel 1, de la communauté réduite aux acquêts. Le temps passant, ils anticipent progressivement leur succession dans une optique de protection du survivant. Ils se consentent d’abord, le 17 décembre 1983, une donation au dernier vivant. Ils décident ensuite d’opter, le 28 mai 2009, pour le régime de la communauté universelle. Ils conviennent toutefois d’exclure de cette dernière les biens que l’article 1404 du Code civil déclare « propres » par leur nature 2, ainsi que les biens immobiliers appartenant à l’épouse. Il est prévu l’attribution au conjoint survivant, à son choix, soit de la totalité des biens communs en toute propriété, soit de la moitié en pleine propriété et l’autre moitié en usufruit.
3. L’épouse décède le 19 juin 2016, laissant venir à sa succession son époux et ses deux enfants. Notons que les enfants étant issus des deux époux, aucune action en retranchement de l’avantage matrimonial découlant de la clause d’attribution intégrale ne leur était ouverte (C. civ., art. 1527, al. 2). Il résulte d’un acte de notoriété du 22 novembre 2017 que le conjoint survivant a opté :
- conformément au contrat de mariage, pour l’attribution en toute propriété des biens communs ;
- en application de la donation au dernier vivant, pour l’usufruit de l’universalité des biens relevant de la succession de son épouse.
4. L’un des deux enfants, le fils, assigne par exploits en dates des 8 et 14 juin 2021 respectivement son père et sa sœur, aux fins de voir ordonner l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de sa mère et, le cas échéant, de la communauté, ainsi que le rapport à la succession des donations consenties à ses héritiers et la réduction des libéralités excédant la quotité disponible.
Le conjoint survivant et sa fille saisissent le juge de la mise en état aux fins de voir déclarer l’action introduite par le fils irrecevable en l’absence d’indivision successorale. Par ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Quimper du 14 janvier 2022, confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Rennes du 25 octobre 2022, ils obtiennent gain de cause, l’action du fils étant jugée par deux fois irrecevable.
Le fils forme un pourvoi en invoquant un unique moyen de cassation. La Cour de cassation, par un arrêt ayant vocation à recevoir les honneurs du Bulletin, casse et annule l’arrêt d’appel en toutes ses dispositions (I) et, sans renvoi, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, statue au fond (II).
I – Cassation de l’arrêt de la cour d’appel de Rennes
5. L’article 815 du Code civil dispose que « Nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention ». La première chambre civile de la Cour de cassation déclare que la cour d’appel, n’ayant pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations (A), a violé le texte susvisé (B).
A – Absence d’indivision entre le conjoint usufruitier et les héritiers réservataires nus-propriétaires
6. Pour apprécier la recevabilité de l’action intentée par le fils, la cour d’appel a constaté, à raison, qu’il n’y avait, au cas particulier, aucune indivision entre le conjoint usufruitier et les héritiers réservataires nus-propriétaires. Elle a retenu qu’au décès de l’épouse, en raison des « conventions patrimoniales » et options exercées par le conjoint survivant, ce dernier était bénéficiaire (i) de la totalité des biens communs en toute propriété et (ii) de l’usufruit de l’universalité de la succession.
(i) Seul et unique attributaire de la totalité de la communauté universelle en pleine propriété, il n’y avait aucune indivision portant sur ces biens. Notons que cette solution eût été différente si le père avait opté pour l’autre option (la moitié de la communauté en pleine propriété, le surplus en usufruit). En effet, pour cette dernière hypothèse, il a déjà été jugé qu’il y a une indivision entre, d’une part, le conjoint survivant, plein propriétaire de la moitié de la communauté, et d’autre part, le(s) héritier(s), le cas échéant nu(s)-propriétaire(s) de l’autre moitié des biens communs 3.
(ii) En outre, nous avons relevé qu’il avait été convenu entre les époux que les biens propres par nature à chacun d’entre eux (article 1404 du Code civil), ainsi que les biens immobiliers de l’épouse, résisteraient à l’attraction de la communauté universelle. Au décès de l’épouse, ces biens existants, qui font l’objet de reprises en nature, relèvent de sa succession. Or, le conjoint survivant a opté pour l’usufruit de la totalité de la succession (article 1094-1 du Code civil). C’est l’occasion pour nous de rappeler qu’il n’existe pas d’indivision entre usufruitier et nu-propriétaire, dont les droits sont de nature différente 4. Par conséquent, il n’y avait pas non plus d’indivision à partager entre le conjoint survivant et les enfants réservataires sur les biens de la succession.
7. Dès lors que le partage consiste à sortir de l’état d’indivision, et que la cour d’appel n’a pas constaté l’existence d’une indivision entre le père et son fils, elle conclut à l’irrecevabilité de l’action intentée par le fils. Par voie de conséquence, la cour d’appel juge que son action en rapport ou en réduction des donations consenties par sa mère également irrecevable. Son erreur réside dans le fait qu’elle a déduit des éléments ci-dessus exposés que l’action engagée par le fils était également irrecevable envers sa sœur, ce qui conduit la Cour de cassation à prononcer la censure de l’arrêt d’appel.
B – Existence d’une indivision successorale entre les héritiers réservataires nus-propriétaires
8. C’est le leurre de la communauté universelle avec clause d’attribution intégrale. L’arrêt d’appel indique à cet égard que « les droits des enfants communs sont différés au décès du survivant de leurs parents », avec l’idée sous-jacente qu’il n’y avait pas à procéder, dès le premier décès, aux opérations de comptes, liquidation et partage de la succession. La cassation était inévitable : « En statuant ainsi, après avoir constaté l’existence d’une indivision successorale entre [le frère] et sa sœur portant sur la nue-propriété des biens dépendant de la succession de leur mère, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé [l’article 815 du Code civil] » (pt 11 de l’arrêt).
9. À la différence de précédentes affaires 5, l’actif net successoral n’était pas nul et était notamment composé d’actifs immobiliers. Or l’alinéa premier de l’article 825 du Code civil prévoit que « la masse partageable comprend les biens existant à l’ouverture de la succession, ou ceux qui leur sont subrogés, et dont le défunt n’a pas disposé à cause de mort, ainsi que les fruits y afférents ». Au cas particulier, si la donation au dernier vivant a privé les héritiers réservataires de l’usufruit des biens existants, la nue-propriété de ceux-ci relevait toujours de la succession. En présence de plusieurs successeurs à titre universel, il en résultait une indivision en nue-propriété. Or, comme pour l’usufruit (article 817 du Code civil), chacun des nus-propriétaires indivis peut solliciter le partage de la nue-propriété indivise (article 818 du Code civil). Le partage intervient par voie de cantonnement sur un ou plusieurs biens. Concrètement, en l’espèce, le partage a pour finalité de rendre chacun des héritiers unique nu-propriétaire des différents biens, sous l’usufruit unique de leur père. Lorsqu’un tel partage de la nue-propriété est impossible, une licitation de celle-ci peut être ordonnée. En cas d’accord de l’usufruitier, la licitation de la pleine propriété du bien est également envisageable (articles 818 et 815-5, alinéa 2, du Code civil).
II – Décision au fond
10. La Cour de cassation déclare qu’« il résulte des articles 720, 815, 825, 843, 920 et 924-3 du Code civil, que, malgré l’adoption par le défunt d’un régime de communauté universelle de biens avec clause d’attribution intégrale au conjoint survivant, un héritier réservataire peut, le cas échéant, prétendre au partage de ceux des biens demeurés propres au défunt sur lesquels il détient une quote-part indivise, que l’indivision porte sur la pleine propriété desdits biens ou l’un de ses démembrements, ainsi qu’au rapport ou à la réduction des libéralités consenties par le défunt » (pt 14 de l’arrêt).
11. La solution, qui avait déjà été énoncée dans de précédents arrêts 6, appelle trois remarques.
12. En premier lieu, on notera que les précédents arrêts étaient notamment fondés sur les articles 1397 et 1526 du Code civil.. Il y était intégré une précision sur la date à laquelle les donations éventuellement consenties par le conjoint prédécédé étaient réalisées, avant ou après l’adoption du régime de communauté universelle avec clause d’attribution intégrale, suggérant que le droit à demander le partage se limitait aux seules indemnités de rapport ou de réduction afférentes à des donations de biens propres. La référence à ces articles et cette précision sont, à juste titre, abandonnées par la Cour de cassation dans la présente décision du 15 janvier 2025. Si un époux donne un bien personnel, avant le mariage ou l’adoption du régime conventionnel, cette donation est présumée rapportable au décès du donateur par l’héritier donataire. Cependant, l’adoption d’une communauté universelle avec attribution intégrale ne décharge aucunement l’héritier donataire de son obligation le cas échéant au rapport. Corrélativement, s’il est question d’une donation de biens communs et qu’elle a été consentie avec l’autorisation ou la participation de l’époux en tant que codonateur, elle est tout autant présumée rapportable, de sorte qu’il y a également lieu à rapport, au moins pour moitié s’agissant de biens communs et, par principe 7, dès le règlement de la succession de l’époux prédécédé. Il n’y avait donc pas lieu de limiter le droit à demander le partage aux seules indemnités de rapport ou de réduction afférentes à des donations consenties avant l’adoption du régime de la communauté universelle. D’où l’abandon de la référence à ces deux articles.
13. En deuxième lieu, il est ajouté dans le présent arrêt, la référence aux articles 815 et 825 du Code civil précités.. Concernant l’article 825, son alinéa second prévoit que la masse successorale « est augmentée des valeurs soumises à rapport ou à réduction, ainsi que des dettes des copartageants envers le défunt ou envers l’indivision ». Il faut ici comprendre que le droit au partage de l’héritier réservataire ne s’arrête pas, dans une hypothèse telle que celle de l’arrêt commenté, aux biens existants (au cas particulier en nue-propriété). En cas d’atteinte à la réserve, l’indemnité de réduction fait partie de la masse à partager ; elle est donc susceptible d’être partagée, malgré l’adoption d’une communauté universelle avec attribution intégrale au profit du conjoint survivant. En réalité, en présence d’une telle organisation, cela sera souvent le cas dès lors que l’actif net successoral sera, le plus souvent, proche d’être nul. Dit autrement, l’adoption d’une communauté universelle avec attribution intégrale augmente le risque de réduction des donations consenties par le défunt.
14. En dernier lieu, il avait été rappelé avec raison par des auteurs qu’une donation ne saurait être à la fois rapportée et réduite 8. En effet, dans la mesure où la donation est rapportée, elle ne saurait également être réduite. C’est ce qui explique qu’il n’est plus énoncé par la Cour de cassation « ainsi qu’au rapport et à la réduction des libéralités consenties par le défunt » 9, mais « ainsi qu’au rapport ou à la réduction des libéralités consenties par le défunt » 10.
15. Sans prétendre à l’exhaustivité, voici quelques situations en présence d’un conjoint attributaire de la communauté universelle, où il y aura lieu de procéder aux opérations de liquidation et partage de la succession de l’époux prédécédé :
- lorsque le conjoint prédécédé laisse des biens propres qui résistent à l’attraction de la communauté universelle (que ces biens soient en toute propriété, en nue-propriété ou en usufruit). Par exemple les biens propres par nature visés par l’article 1404 du Code civil) ;
- lorsque le conjoint prédécédé laisse des biens qui ont été expressément écartés de la communauté universelle au moment de l’adoption du régime. Par exemple les biens immobiliers de l’épouse, dans l’arrêt commenté ;
- lorsque le conjoint survivant a consenti des donations rapportables ou réductibles, qu’elles portent sur des biens communs (avec l’accord du conjoint) ou sur des biens propres de l’époux donateur.
En conclusion, on retiendra de l’arrêt que l’adoption d’un régime de communauté universelle avec attribution intégrale (et clause d’exclusion de la reprise des apports) doit être réfléchie au-delà du seul objectif de protection du conjoint survivant. Il convient de s’interroger sur les conséquences des options susceptibles d’être prises par ce dernier sur les droits des héritiers réservataires. Il convient également d’anticiper les incidences des opérations (donations) réalisées du vivant des époux sur la liquidation au premier décès. L’adoption d’une communauté universelle avec clause d’attribution intégrale est un leurre lorsqu’elle est présentée comme une technique de report « pur et simple » des difficultés successorales au décès du conjoint survivant.
1 – La loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux n’a substitué qu’à partir du 1er février 1966 la communauté réduite aux acquêts à la communauté de meubles et acquêts en tant que régime légal.
2 – Il s’agit des biens ou des droits acquis au cours de l’union et dont le caractère personnel est si marqué qu’il justifie une exclusion de l’actif commun. Plusieurs exemples sont donnés par l’article 1404 du Code civil : les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles, les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux. Cette liste n’est pas limitative.
3 – Cass. 1re civ., 2 mars 2004, n° 01-17.708 : Bull. civ. I, n°68 – Cass. 1re civ., 12 janv. 2011, n° 09-17.298 : Bull. civ. I, n° 10.
4 – Cass. 1re civ., 25 nov. 1986, n° 85-10.548 : Bull. civ. I, n° 282 – Cass. 3e civ., 7 juill. 1993, n° 92-19.193 : Bull. civ. III, n° 112.
5 – V. not. Cass. 1re civ., 3 avr. 2019, n° 18-13.890, P.
6 – Cass. 1re civ., 19 déc. 2012, n° 11-23.378 : RTD civ. 2013, p. 161, note M. Grimaldi – Cass. 1re civ., 3 avr. 2019, n° 18-13.890 : RTD civ. 2020, p. 169, note M. Grimaldi ; RTD civ. 2020, p. 646, note B. Vareille ; AJ fam. 2019, p. 301, obs. N. Levillain ; S. Lerond, « Donations et communauté universelle avec attribution intégrale », GPL 30 juill. 2019, n° GPL357v2.
7 – Clause d’imputation sur la succession du survivant des époux.
8 – M. Grimaldi, note ss Cass. 1re civ., 3 avr. 2019, n° 18-13.890, RTD civ. 2020, p. 169 ; B. Vareille, note ss Cass. 1re civ., 3 avr. 2019, n° 18-13.890, RTD civ. 2020, p. 646.
Article publié dans la Gazette du Palais le 25 mars 2025