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Cession de créance

15/06/2023

A l’occasion d’un contentieux relatif à une cession « Dailly » de créance de précompte, le Conseil d’Etat précise le traitement fiscal de la cession d’une créance de restitution d’un impôt non déductible.

Contexte

A l’époque où le précompte existait encore, un certain nombre de sociétés ont cédé à des établissements financiers, via la technique de la cession « Dailly » (art. L. 313-23 et L. 313-24 du Code monétaire et financier), des créances correspondant à la restitution du précompte mobilier qu’elles avaient préalablement acquitté. Ces sociétés considéraient en effet que le précompte était contraire au droit de l’Union européenne, si bien qu’elles disposaient d’un droit à restitution qu’elles étaient en mesure de céder à des tiers.

A l’occasion de contrôles fiscaux, la non-imposition du produit de cession a été contestée par l’administration fiscale qui a considéré que ce produit devait s’analyser comme un profit résultant de la monétisation d’un droit potentiel sur le Trésor, imposable sur le fondement de l’article 38. 2 du CGI.

Ce contentieux met en lumière la difficulté à analyser sous le prisme du droit fiscal un outil juridique, la cession « Dailly », qui présente plusieurs caractéristiques : si son mécanisme s’apparente à celui d’une cession de créance classique, il n’en est pas moins vrai que cette opération constitue également un moyen de financement. Ainsi que le relève Madame Bokdam-Tognetti dans les conclusions publiées sous l’affaire commentée ci-après, « la cession de créances Dailly opérée à titre d’escompte se prête ainsi au même constat que celui opéré, s’agissant des opérations d’escompte d’effets de commerce, par la doctrine : celui d’une « opération sui generis qui se situe à mi-chemin entre le prêt et la vente et utilise les techniques cambiaires », (Deen Gibirila, Rep. de droit commercial Dalloz, Escompte, janvier 2023) ou encore d’une technique de crédit reposant sur la transmission en pleine propriété, et pas seulement à titre de gage, d'un titre de créance à terme, dont le banquier anticipe le paiement par l’octroi d’une avance au client qui constitue juridiquement la contrepartie, le prix de la cession ».

Nous ne reviendrons pas ici sur l’histoire du contentieux qui a opposé ces sociétés (et au cas particulier, la société Suez, devenue Engie à la suite de diverses restructurations) à l’administration fiscale et qui a conduit la cour administrative d’appel de Versailles à rejeter l’argumentation de cette société (CAA Versailles, 17 décembre 2021, n° 19VE02003). Nous commenterons seulement la décision du 14 avril 2023 (n° 461811, Société Engie) par laquelle le Conseil d’Etat se prononce sur le traitement fiscal des produits engrangés à raison de telles cessions et en profite pour dégager des principes généraux applicables aux cessions portant sur des créances de restitution d’un impôt non déductible.

La décision du Conseil d’Etat

La décision du Conseil d’Etat a un objet nettement circonscrit : elle concerne les cas où une société cède une créance de restitution d’un impôt non déductible dans les conditions prévues par les articles précités du Code de commerce. Au cas particulier, on rappelle que le précompte prévu à l’article 223 sexies du CGI est un impôt non déductible, ce qui avait déjà été jugé par le passé (CE, 30 juin 2004, Société Freundenberg, n° 253513). Ceci est réaffirmé par le Conseil d’Etat qui rappelle qu'en instituant le précompte mobilier, le législateur a entendu éviter que les bénéficiaires de la distribution de dividendes ouvrant droit à l’avoir fiscal et prélevés sur des bénéfices qui n'ont pas fait l'objet d'une imposition à l'impôt sur les sociétés au taux normal, n'obtiennent un avantage fiscal indu. Il résulte, par suite, de ces dispositions, combinées à celles des articles 39-1, 209 et 213 de ce code, que le précompte ne figure pas au nombre des charges déductibles du bénéfice net.

La position du Conseil d’Etat repose sur une distinction entre plusieurs cas de figure : celui où la créance cédée est enregistrée en comptabilité dans le respect des règles comptables et celui où aucune créance n’a été constatée en comptabilité.

Le cas où la créance cédée est enregistrée en comptabilité dans le respect des règles comptables

Une créance de restitution d’un impôt non déductible est enregistrée en comptabilité dans le respect des règles comptables lorsque la créance en cause est certaine dans son principe et dans son montant. Si ces conditions sont réunies, le Conseil d’Etat précise que le produit de cession de la créance doit être regardé comme procédant au remboursement anticipé d’un impôt non déductible. Il n’est par suite pas imposable.

Cette solution s’explique aisément à la lecture du raisonnement du rapporteur public. Lorsque l’impôt qu’un contribuable a acquitté à tort n’était légalement pas déductible de son bénéfice imposable, le remboursement par l’Etat de l’imposition indue doit constituer un produit non imposable, par symétrie avec le traitement fiscal initial de l’imposition perçue à tort. Quant à l’hypothèse où une créance de restitution d’un impôt non déductible est cédée, elle est traitée par analogie avec l’hypothèse du remboursement d’un impôt non déductible qui n’est, comme on l’a vu, pas imposable.

Le Conseil d’Etat précise également que dans l’hypothèse où cette cession est assortie d’une garantie solidaire au bénéfice du cessionnaire en cas de non-restitution de l’impôt en cause (ce qui est en principe le cas dans le mécanisme de la cession « Dailly », sauf convention contraire ; art. L. 313-24 du Code monétaire et financier), les sommes versées le cas échéant ultérieurement à ce titre par la société cédante ne sont pas déductibles.

Le cas où la créance cédée n’est pas enregistrée en comptabilité

Lorsque la créance cédée ne présente pas un caractère certain dans son principe et dans son montant, elle ne peut être enregistrée en comptabilité mais cela n’empêche pas son titulaire de procéder à sa cession.

Le mécanisme de la cession « Dailly » peut en effet être utilisé en présence de créances incertaines dont le fait générateur est déjà intervenu mais dont le montant ne peut encore être évalué, ou même de créances dont le fait générateur n’a pas encore eu lieu mais peut être regardé comme suffisamment certain pour intervenir, à la condition que ces créances soient suffisamment identifiables et individualisées sur le bordereau de cession.

L’analyse de ce type d’opération par le Conseil d’Etat repose sur une distinction chronologique :

  • 1er temps : jusqu’à la constatation du caractère certain et liquide de la créance de restitution de l’impôt, le produit reçu par le cédant s’analyse comme un emprunt souscrit par le cédant auprès du cessionnaire ; cet emprunt ne donnant pas lieu à une augmentation d’actif net chez le cédant, il n’est donc pas imposable au titre de l’exercice au cours duquel le produit est perçu ;
  • 2ème temps : lorsque le montant d’impôt remboursable par l’Etat devient déterminé, éventuellement à l’issue d’une procédure contentieuse, la part du produit de cession reçu par la société cédante, net des sommes versées le cas échéant au cessionnaire au titre de la garantie solidaire, n’est pas imposable ; cette solution rejoint logiquement celle, décrite plus haut, en présence d’une créance certaine de remboursement d’impôt non déductible. Toutefois, s’il s’avère que le produit perçu lors de la cession de créance est supérieur au montant d’impôt remboursable par l’Etat, la part du produit excédant ce dernier montant constitue une recette entrant dans la détermination du bénéfice imposable de la société cédante.

Remarque

Comme on l’a vu plus haut, le Conseil d’Etat fait reposer son raisonnement sur la distinction entre le cas d’une créance régulièrement enregistrée en comptabilité et le cas d’une créance non enregistrée. Il peut néanmoins se produire qu’une créance soit irrégulièrement enregistrée en comptabilité, soit qu’elle ne présente pas un caractère certain dans son principe, soit que son montant soit d’un montant supérieur à son montant certain. Ce troisième cas n’est pas examiné explicitement par le Conseil d’Etat mais il ressort des conclusions du rapporteur public que dans cette hypothèse, le vérificateur doit redresser et remettre en cause la comptabilisation de la créance elle-même, pour en tirer les conséquences d’abord sur le bénéfice de l’exercice au titre duquel elle est comptabilisée, puis le cas échéant, dans un second temps, sur le traitement du produit de cession.

Article paru dans Option Finance le 05/06/2023


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